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Vernon Subutex. Par Alexis Thibault

- Par Alexis Thibault Vernon Subutex, dif fusé sur Canal + à par tir du 8 avril.

Le sulfureux héros du best-seller de Virginie Despentes est adapté en série sur Canal +. Superbemen­t incarné par Romain Duris et plus policé que dans le roman, l’ex-disquaire nous entraîne dans sa vie mouvementé­e, peuplée d’une galerie de personnage­s aussi captivants que névrosés.

Vautré sur une chaise de bureau minable, dans son appar tement parisien impersonne­l, Vernon Subutex lance une vidéo pornograph­ique sur son ordinateur. Un café à la main, il savoure sa condition de cliché ambulant, célibatair­e à la barbe hirsute qui a abandonné tout projet capillaire. Pourtant, sous les traits de Romain Duris, rien ne peut entamer le flegme de ce quadragéna­ire charismati­que. Pas même les trois gus qui déboulent dans son salon pour le dégager manu militari parce que son loyer n’est qu’un lointain souvenir.

Le héros de Virginie Despentes s’en vante :

il est le dernier de son espèce. Devenu légende urbaine, l’ex- patron du Revolver, un magasin de disques branché, s’est entiché du punk- rock et de la locution “carpe diem”. Mais, ces derniers temps, ça ne va pas fort. Le rockeur Alex Bleach, superstar black sulfureuse, vient de snif fer sa dernière ligne. C’était son meilleur ami. À la recherche de ses vieilles connaissan­ces, Vernon Subutex demeure le héraut d’une époque révolue, quoique fantasmée, celle où les gifles n’engendraie­nt pas de polémiques, où le speed se dégustait au petit déjeuner, où les guitares saturées galvanisai­ent la jeunesse jusqu’à l’aube.

Réac, nymphomane, rentière dépressive, hardeuse, toxico, prolo, bobo, lesbienne, trans, trader, étudiante voilée… En 2015, sous couvert d’une enquête alambiquée, prétexte à l’exercice de style politiquem­ent incorrect, Despentes met en scène des personnage­s névrosés, à la fois détestable­s et captivants, drolatique­s et ridicules. La romancière scinde son pavé de 1 400 pages en trois tomes : Vernon Subutex, son septième roman après Baise- moi ( 1993), cartonne en librairie. Déjà aux manettes de la série

Hard, dif fusée sur Canal + de 2008 à 2015, la réalisatri­ce française Cathy Verney reprend

du service sur la même chaîne. Elle adapte le best- seller de Despentes en format court – dix épisodes de trente minutes –, et promet une série “plus catholique” que l’oeuvre d’origine, où l’écriture obscène de l’auteure électrise le récit. Sur Canal, tout passe par Duris : “Vernon n’a pas changé, c’est le monde autour de lui qui s’est transformé. Qui d’autre que Romain pouvait incarner ce symbole d’une jeunesse révolue ?

s’amuse la cinéaste. On a vu grandir cet acteur, il fait partie de la mémoire collective, mais ce n’est pas le Vernon du roman.”

On s’attend à une oeuvre sombre,

irrévérenc­ieuse, voire résolument trash. Pourtant ce Vernon Subutex apparaît plus lumineux que celui de l’ouvrage. Plus drôle aussi, mais dépouillé de l’empathie sidérante qu’il provoque dans le roman, malgré la patte de Benjamin Dupas, scénariste de la série Dix pour cent. Aux côtés de l’acteur fétiche de Cédric Klapisch, une armada de comédiens : Céline Sallette ( De rouille

et d’os), Philippe Rebbot ( L’Ennui), Laurent Lucas ( Le Bureau des légendes) et les chanteuses Flora Fischbach et Calypso Valois. La chaîne mise beaucoup sur ses créations originales, encore davantage depuis qu’elle n’a plus le monopole du football.

L’adaptation de Cathy Verney cherche Despentes du regard, reprenant ses répliques au mot près, mais s’autorisant plusieurs ralentis sur des personnage­s secondaire­s. Quant à la bande- son, la musique est essentiell­ement intradiégé­tique – située à l’intérieur de la narration –, le rock jaillit souvent d’une enceinte ou d’un écouteur d’iPhone. Sans parvenir au niveau d’insolence du roman, la série Vernon Subutex remplit tout de même son contrat : livrer un diver tissement enlevé dans lequel Romain Duris crève l’écran.

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