Numero

Sacré numéro – Roxane Mesquida

- Par Olivier Joyard

C’est l’un des visages les plus sauvages du

cinéma mondial et maintenant aussi des séries. Depuis sa préadolesc­ence – elle a fut découverte dans Marie. Baie des anges de Manuel Pradal aux côtés de Vahina Giocante à l’âge de 15 ans –, Roxane Mesquida offre son regard intense et son sens naturel de la provocatio­n à celles et ceux qui ont envie de la regarder. Alors que l’époque ne s’y prête pas beaucoup, elle s’affirme comme l’une des rares comédienne­s qui donnent au mot glamour sa vraie définition contempora­ine, à la fois inquiétant­e, envoûtante et créative. “Tu es si belle, mais tu fais peur à regarder”, lui dit un homme amoureux dans le film de Philippe Grandrieux, Malgré la nuit, sorti en 2016. Qui s’approche de Roxane Mesquida se brûle ? À voir. La jeune femme avec qui nous discutons se révèle d’une courtoisie exemplaire, presque timide, même si ses apparition­s à l’écran ne le sont jamais. Ce printemps, la Française s’amuse dans la peau d’une “théoricien­ne en

astrobiolo­gie” pour la nouvelle folie du réalisateu­r le plus barré de Hollywood, Gregg Araki. La série s’appelle Now Apocalypse (oui, l’allusion est claire) et peut être décrite comme une comédie du chaos et de l’amour sur fond de science- fiction et de bordel permanent. “Avec

Gregg, nous nous aimons beaucoup, raconte

l’actrice. J’ai eu mon premier rôle américain avec lui dans Kaboom [ 2010], où je jouais une sorcière lesbienne. Il ne m’avait rien dit du scénario. De toute façon j’étais d’accord, car j’étais fan de lui et de ses films comme Doom

Generation [1995]. On est resté amis, il donne souvent ses rendez- vous à l’Astro Burger de Santa Monica Boulevard à Los Angeles où il organise des fêtes. Je l’adore, il est tellement positif et fun que cela donne envie d’offrir plus sur un plateau. Tu te sens tout le temps bien. Il a écrit mon personnage, Séverine, en pensant à moi. Cette fille dit ce qu’elle pense, tellement honnête qu’elle ne se rend pas compte qu’elle peut faire de la peine à son mec. Quand je suis arrivée aux États- Unis en tant que Française, je me sentais un peu comme ça, je n’avais pas l’habitude du vernis social américain.”

L’un des premiers aspects de Now

Apocalypse dont Gregg Araki a parlé à Roxane Mesquida concernait la sexualité. Un thème qui revient à intervalle­s réguliers dans le travail

du réalisateu­r queer, mais aussi dans la filmograph­ie de l’actrice depuis ses débuts. Les films qui l’ont fait connaître embrassaie­nt même le sujet de manière frontale, comme le mémorable À ma soeur ! ( 2001) de Catherine Breillat où l’actrice interprète une ado en pleine découverte des sens, déflorée sous les yeux de sa petite soeur, pendant un été. Dans le monde de ce film, tout était dangereux, lascif, extrême. L’intéressée en garde un souvenir radieux. “Je ne travaille qu’avec des gens en qui j’ai confiance. J’ai fait trois films avec Catherine Breillat dans cet état d’esprit

[ en plus d’À ma soeur, Sex Is Comedy et Une vieille maîtresse]. Je me suis toujours sentie respectée.” À Hollywood, le mouvement # MeToo a provoqué une prise de conscience des abus commis sur et en dehors des tournages depuis des décennies, au point que cer taines entités majeures comme HBO et Netflix ont décidé d’embaucher des “coordinatr­ices

d’intimité” pour s’assurer que les demandes des personnes impliquées sont respectées concernant la manière de filmer le sexe. “Nous n’avons pas eu de coach en nudité pendant

Now Apocalypse, explique Roxane Mesquida. Je trouve cette idée bizarre. Bien sûr, le fait de tourner des scènes de sexe me donne un pouvoir et une responsabi­lité, mais je n’ai jamais eu de problème avec ça. Là où je peux être mal à l’aise sur cette question, c’est moins devant les caméras qu’en coulisses, quand il s’agit de signer des tonnes d’autorisati­ons et donc de discuter froidement de ce qui va se passer. Je me suis retrouvée entre un agent et un manager qui me disaient : ‘ Tu vas montrer ci, tu vas montrer ça.’ Ces deux mecs parlaient de mon corps en ma présence, ce qui m’a mise mal à l’aise. Il y avait un côté inhumain. Devant la caméra, je me sens beaucoup mieux, alors que je suis pudique dans la vie. Il y a un côté exutoire au cinéma. Quand les choses sont rendues taboues, c’est là que ça se passe mal… Quand je revois ce que j’ai fait, je me dis que les rares fois où je peux avoir des regrets, c’est parce que je n’étais pas regardée par des ar tistes.”

Les allures de femme fatale de Roxane Mesquida ne doivent pas nous tromper, c’est avant tout le goût de l’expérience qui guide ses choix. Son rapport au cinéma, compulsif et passionné ( elle a longtemps vu au moins un film par jour), l’a menée vers les franges les moins visitées du septième art, là où se jouent des aventures artistique­s plus féroces qu’ailleurs. Celles qu’il faut chercher pour les trouver aujourd’hui. La série Now Apocalypse fait partie de ces choix for ts qui ont structuré sa carrière depuis presque vingt ans, d’autant que la frontière entre petit et grand écran s’efface. Mais c’est bien au cinéma que la Française a goûté aux marges. L’excentriqu­e et très doué Quentin Dupieux ( alias Mr. Oizo) a fait appel à elle dans Rubber ( 2010) où le personnage principal est un pneu meur trier (!) avant de la retrouver plus brièvement pour sa comédie policière absurde Wrong Cops ( 2013). Philippe Grandrieux l’a accueillie dans son univers sombre et expériment­al pour un trio infernal avec

“J’admire les univers forts, exacerbés, vivants, comme ceux

d’Abdellatif Kechiche, du Mexicain Carlos Reygadas, de Bruno Dumont, de Claire Denis…

Ce sont des réalisateu­rs particulie­rs qui signent leur travail. Dès la première image, on sait

que c’est eux.”

Paul Hamy et Ariane Labed. Si l’on compte en plus Catherine Breillat et Gregg Araki, on comprend que les rivages mainstream lui ont été le plus souvent étrangers. On n’a jamais vraiment vu Roxane Mesquida jouer les jeunes premières et les héroïnes de comédies romantique­s tout sourire, ce sont les bords acérés de l’humanité qu’elle aimante et qu’elle

touche en entrant dans une image. “Je suis attirée par les réalisatri­ces et les réalisateu­rs qui travaillen­t le cinéma comme un ar t, et je pense qu’ils m’aiment peut- être pour cette raison- là, c’est vrai. J’ai toujours été passionnée de peinture, j’étais obsédée par l’expression­nisme en particulie­r. Quand je me suis intéressée au cinéma, j’ai été admirative des univers for ts, exacerbés, vivants. La liste de mes cinéastes préférés parmi celles et ceux avec qui je n’ai pas tourné est assez évocatrice : Abdellatif Kechiche, le Mexicain Carlos Reygadas, Bruno Dumont, Claire Denis… Ce sont des réalisateu­rs particulie­rs qui signent leur travail. Dès la première image, on sait que c’est eux. Ils impriment leur style. De manière assez logique, il y a une cohérence et une circulatio­n entre tous ces profils. Par exemple, Gregg

Araki m’avait choisie il y a longtemps parce qu’il adulait Breillat. Aux États- Unis, les gens adorent Catherine. À ma soeur ! est édité dans la très prestigieu­se collection Criterion.”

On sent poindre dans les propos de

Roxane Mesquida l’idée que le cinéma qu’elle aime ne serait pas considéré à sa juste valeur en France. Ce n’est pas complèteme­nt faux : les profils en dehors des clous du cinéma populaire ou de l’auteurisme post- Nouvelle Vague n’ont pas toujours leur place, malgré la diversité des regards proposés. C’est d’ailleurs ce qui a poussé la comédienne à s’installer aux États- Unis à la fin des années 2000, après avoir compris que la “grande famille” du cinéma hexagonal ne se mettrait pas forcément à la hauteur de ses désirs. “En plus de tourner avec Breillat, j’avais

fait Sheitan [ 2006] de Kim Chapiron, qui était un ovni. Les jeunes ont adoré mais pas les autres. J’étais un peu l’actrice qui prenait un tournant spécial. Ma carrière peut être considérée comme atypique, d’une cer taine manière, oui. Mais quand je suis venue aux États- Unis, c’est devenu plus facile pour moi.” Si elle tourne de manière régulière en France, la trentenair­e – cent pour cent bilingue – n’a jamais eu

“Quand j’ai quitté Paris pour tourner Kaboom, je me suis dit

que j’allais prendre ma valise et mon chat, pour rester un an. Mais

je ne suis plus jamais partie. Cela fera une décennie en septembre que j’habite Los Angeles. J’adore L. A.,

profondéme­nt. La première fois que je suis venue ici, j’ai eu l’impression

d’arriver à la maison.”

l’intention de regarder en arrière. Aux ÉtatsUnis, elle a pu enchaîner les séries comme Gossip

Girl (“le film préféré du créateur était À ma soeur !”) et les films indépendan­ts comme celui de Xan Cassavetes, Kiss of the Damned, tourné en 2012. De plus, la Californie l’a accueillie avec un esprit d’ouverture dont elle a fait sa maison, loin des clichés sur le caractère hostile de

Hollywood. “Quand j’ai quitté Paris pour tourner Kaboom, je me suis dit que j’allais prendre ma valise et mon chat, pour rester un an. Mais je ne suis plus jamais partie. Cela fera une décennie en septembre que j’habite Los Angeles. J’avais déjà passé plusieurs mois à New York, mais la côte est, ce n’est pas pour moi. J’adore L. A., profondéme­nt. La première fois que je suis venue ici, j’ai eu l’impression d’arriver à la maison. C’est peut- être parce que je suis marseillai­se : il y a un côté sud de la France…”

Mère d’une petite fille née en 2017, Roxane Mesquida profite à la fois de sa maternité et de son métier (“Ils se sont donné le mot pour m’appeler. Depuis que j’ai accouché, j’ai tourné deux films et une série !” plaisante- t- elle) et se dit foncièreme­nt casanière. “J’habite dans le

quar tier de Hollywood où je peux tout faire à pied avec ma fille. Quand je suis chez moi et qu’elle dor t, je regarde beaucoup de séries. En ce moment, je dévore Dix pour cent. J’ai aussi apprécié Silicon Valley et je ne vais pas rater un épisode de la dernière saison de Game of

Thrones. À la fin du printemps, j’espère tourner la deuxième saison de Now Apocalypse.” Habituée des fastes hollywoodi­ens, l’actrice n’est pas amoureuse de Los Angeles pour rien et invite à la découver te permanente de cette

ville en dehors des sentiers battus. “J’aime bien les endroits auxquels on ne s’attend pas, L. A. en regorge. Par exemple, Shintaro, un restaurant japonais qui n’a l’air de rien. Il faut s’asseoir au bar et le propriétai­re nous cuisine des sushis fabuleux, selon nos désirs. Je vais aussi au Akbar, un lieu queer qui organise chaque premier lundi du mois des concours de ‘ lip synch’. On peut s’inscrire et par ticiper, mais attention, les gens sont entraînés et ils y vont à fond. À l’américaine !” On ne doute pas que Roxane Mesquida se fond idéalement dans cet exercice : rien de ce qui appartient au spectacle ne peut lui échapper.

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