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Les danseurs prennent la pose pour Fendi. Par Delphine Roche, photos Dima Hohlov

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La danse et la mode nourrissen­t des affinités naturelles. Cela, les danseurs Louis McMiller, Lee Bridgman et Wing Yue Leung le savent bien, eux qui sont également mannequins. Basés à Londres, ces trois jeunes talents ont mis en mouvement, pour ce Numéro consacré au corps, la collection California Sky de Fendi, dessinée par l’artiste et ex- graffeur californie­n Joshua Vides, qui a collaboré avec Silvia Venturini Fendi lors d’un workshop de création frénétique à Rome.

“Le point commun de la mode et de la danse, c’est que dans ces deux discipline­s le corps est utilisé pour communique­r avec le spectateur sans qu’un seul mot soit prononcé”, analyse Louis McMiller, ex- soliste de la compagnie Wayne McGregor, qui a récemment décidé de se consacrer plus sérieuseme­nt au mannequina­t. “On peut dire tellement en utilisant seulement son corps”, renchérit Lee Bridgman, danseur et acteur. “Au cinéma, mon expérience de danseur me permet de préciser le caractère de mon personnage, simplement par la maîtrise des nuances de l’attitude, des postures et du mouvement corporel.” Pour ces trois jeunes talents, poser pour des photograph­ies de mode représente une occasion d’explorer leur pratique de la danse sous un angle différent. La surprise est parfois au rendez-vous, révélant des aspects de leur gestuelle qu’ils n’avaient pas entrevus. Cela est vrai depuis les travaux d’Eadweard Muybridge : l’image est une par tenaire de l’analyse et de la décomposit­ion du mouvement, comme un chaînon liant son étude scientifiq­ue et sa puissance poétique. “Pour moi, n’étant pas photograph­e, je considère que la photograph­ie permet de voir les formes et les mouvements qui nous échappent quand nous regardons de la danse, explique Wing Yue Leung. Je suis fascinée par l’interactio­n du corps, du textile et de la lumière. Pour la mode, je pense qu’il est vraiment intéressan­t de travailler avec des

danseurs, car nos gestes font apparaître des formes étonnantes, ils donnent véritablem­ent vie au vêtement. Je suis toujours captivée quand j’observe ces sor tes de micro- récits, ou ces apparition­s visuelles, que l’interactio­n du corps du danseur et du vêtement peut créer.”

Le public parisien a eu l’occasion de découvrir Louis McMiller dans Tree of Codes, la pièce remarquabl­e pensée par le chorégraph­e Wayne McGregor pour l’Opéra de Paris. Dans cette création programmée une première fois au palais Garnier en 2017, puis à l’Opéra Bastille en 2019, les corps dialoguent avec une scénograph­ie de l’artiste Olafur Eliasson fondée sur des effets lumineux et optiques. Occultés, démultipli­és, perdus dans cette forêt de signes, les danseurs ultra toniques de la compagnie Wayne McGregor se mêlaient au ballet de l’Opéra de Paris sur une musique électroniq­ue de Jamie xx. Comme souvent chez ce chorégraph­e, la pièce totalement hypnotique évoque, par le truchement de ses danseurs aux corps acérés et hyper mobiles, un scénario d’anticipati­on où la matière vivante doit ultimement s’adapter à un environnem­ent en pleine mutation – on pourrait presque voir dans l’ensemble de l’oeuvre de McGregor une préfigurat­ion du scénario actuel. “C’est vraiment ma pièce préférée, explique Louis McMiller, car tous les éléments qui la composent sont vraiment magistraux, de la scénograph­ie à la musique, en passant bien sûr par la direction impulsée par Wayne. Nous avons joué cette pièce dans le monde entier, et chaque fois que je la dansais, je l’appréciais un peu plus.” Formé à l’école exigeante du Royal Ballet de Londres, Louis McMiller a appris toutes les bases classiques avant d’être engagé par le chorégraph­e britanniqu­e, l’un des plus talentueux et avant- gardistes de notre époque. “J’ai fini l’école en juillet et j’ai commencé à travailler en août, je n’ai pas vraiment eu le temps de me poser des questions.”

C’est aussi la danse classique qui a d’abord attiré Wing Yue Leung, née à Hong Kong, qui admirait depuis l’enfance ses grandes soeurs s’adonnant à cette pratique. Formée à la Central School of Ballet, à Londres, la jeune femme devenue danseuse profession­nelle s’est ensuite dirigée vers un master of arts de danse contempora­ine, pour af fûter son vocabulair­e et sa compréhens­ion du mouvement, qu’elle aime démontrer aussi bien sur scène que dans des vidéos, même pour des publicités. Lee Bridgman, en revanche, a suivi une formation pluridisci­plinaire à l’Italia Conti Academy of Theatre Arts, à Londres. Versatile, il s’est produit au cinéma, au théâtre, a dansé dans des clips vidéo ( ayant notamment été choisi, de même que Louis McMiller, pour un clip de la chanteuse FKA Twigs)… Mais c’est sa participat­ion à l’émission So You Think You Can Dance qui le fait soudain connaître d’un très large public. Chaque semaine, le danseur passe les épreuves éliminatoi­res de cette télé- réalité haut la main, et se réinvente dans dif férents styles de danse sans jamais pour autant abandonner son look androgyne signature, en legging, eye- liner et boots à plateforme­s. Des scènes de théâtre aux plateaux de cinéma ou de télévision, et jusqu’aux podiums des défilés de mode, Lee Bridgman per fectionne son art de l’incarnatio­n, du mouvement, dont il adore explorer toutes les potentiali­tés. “Jusqu’ici, un de mes moments préférés dans ma carrière a été ma par ticipation au défilé de Vivienne Westwood, explique- t- il. Elle et Andreas Kronthaler m’ont demandé d’être juste moi- même. Je devais danser sur le podium, et le stylisme était très androgyne, c’était parfait pour moi. Ce sont vraiment ces moments de collaborat­ion avec des créatifs très dif férents qui me passionnen­t.”

Collaborer avec des personnes issues de différente­s discipline­s, croiser les expertises, dialoguer… cette passion anime également Silvia Venturini Fendi, qui a choisi de proposer au jeune ar tiste Joshua Vides d’apposer sa griffe sur la collection pre- fall de la maison. Après une première collaborat­ion fructueuse lors d’un pop- up chez Harrods, le Californie­n issu de l’univers du graff est venu à Rome pour travailler de concert avec la directrice de création, sur une collection entière. Sur les pièces légères, souvent d’inspiratio­n urbaine ou sportive, Joshua Vides a apposé son style de dessin signature, surlignant les coutures comme au marqueur noir. Cet effet trompe- l’oeil, qui transforme les objets tridimensi­onnels en croquis très simplifiés en deux dimensions, et qu’il appelle Reality to Idea, a pour principe de les “renvoyer à leur origine, c’est- à- dire au dessin”. Pour compléter cette réflexion quasi platonicie­nne, l’artiste a puisé dans son vécu poignant l’inspiratio­n du titre de la collection California Sky : “J’ai 30 ans, mes parents sont nés au Guatemala et ils ont émigré aux États- Unis dans les années 80, explique- t- il. Je suis né à Rialto, en Californie, où j’ai grandi en faisant du graf fiti, du skateboard. On pourrait dire que j’étais un apprenti membre de gang. À Rialto, tout le monde faisait partie d’un gang, donc il n’y avait ni grand espoir ni horizon vers lequel se tourner. Le seul horizon, c’était le ciel de la Californie.” Touchée par cette histoire, Silvia Venturini Fendi a convaincu l’ar tiste d’incorporer des couleurs ( le bleu du ciel et du mauve) pour la première fois dans ses créations, jusqu’alors toujours déclinées uniquement en noir et blanc. Pour la première fois également, Joshua Vides a pu appliquer sa créativité à une collection entière de vêtements, ainsi qu’aux sacs phares de la maison, le Peekaboo et le Baguette. Un mouvement essentiel né d’une rencontre humaine, et qu’ont poursuivi, par la grâce de leur gestuelle, les danseurs Louis McMiller, Lee Bridgman et Wing Yue Leung.

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Wing Yue Leung por te un Bikini imprimé FF, FENDI. À droite : robe en soie, FENDI.

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