La sélection du mois. Par Olivier Joyard 84 The Last Dance. Par Olivier Joyard
À l’heure où les salles obscures sont inaccessibles, les séries s’imposent plus que jamais comme des moments d’évasion de notre quotidien. Numéro vous livre ses propositions des meilleures créations à voir ou à revoir.
La Maison des bois de Maurice Pialat ( ar te. tv jusqu’au 13 mai)
Diffusé au début des années 70 sur l’ORTF, ce feuilleton en sept épisodes a été qualifié par Maurice Pialat lui- même de “plus belle chose” qu’il ait faite. Cela situe le niveau de cette chronique d’un village pendant la Première Guerre mondiale, où un couple s’occupe de jeunes enfants laissés par leurs parents – quand ils en ont. Comme les gosses qu’elle filme, la caméra de l’auteur de Van Gogh ne respecte aucune règle télévisuelle classique pour se laisser glisser entre les personnages et la nature, captant des moments a priori “inutiles” qui finissent par modeler un récit ample, émouvant, d’une densité humaine stupéfiante. Hommage solaire au plus grand cinéaste français, Jean Renoir, La Maison des bois est aussi le récit de l’inquiétude collective d’un pays quand la guerre vient plusieurs fois frapper à la por te. Sept heures inoubliables et intenses qui rappellent que les grands cinéastes ont aussi su s’emparer des séries avec bonheur.
The Eddy de Damien Chazelle ( Netflix, 8 mai)
Auteur de Whiplash, First Man et LA LA Land, le jeune prodige francoaméricain Damien Chazelle signe ici sa première série pour Netflix. Une série musicale, bien sûr, rythmée par les échappées nocturnes qui font la vie agitée d’un club de jazz dans Paris aujourd’hui. Auprès de Tahar Rahim et de Leïla Bekhti, le surprenant André Holland ( vu notamment dans Moonlight et The Knick) joue le manager du club et donne à The Eddy une mélancolie foncièrement attachante. Dans les premiers épisodes, réalisés par Chazelle lui- même, la mise en scène suit cet homme en plein bouleversement intérieur, tremblant avec lui, avançant dans la Ville lumière avec un souf fle à la fois intime et épique. Pas toujours surprenante dans ses élans scénaristiques, la série vaut d’abord pour son paradoxe fondateur : en rendant hommage à un genre musical largement associé au passé, elle parvient pourtant à saisir une pulsation parisienne très contemporaine.
Validé de Franck Gastambide ( MyCanal)
Hit du printemps sur le replay de Canal +, cette véloce série en épisodes de trente minutes croque le rap français avec une volonté claire et affichée : rester au plus près du réel d’un milieu qui brille naturellement par son sens de la mise en scène et du bigger than life. Rivalités entre colosses du flow – toute ressemblance avec Kaaris et Booba étant bien sûr volontaire –, ascension d’une nouvelle tête suite à un free- style en direct sur Skyrock, punchlines bossées au millimètre : rien ne manque dans la création de Franck Gastambide truffée de scènes cultes, si ce n’est des personnages féminins à la hauteur. Il aura donc fallu attendre plusieurs décennies pour qu’une série s’intéresse de façon crédible au rap français. Une constatation qui laisse rêveur mais n’empêche pas de plonger dans Validé. À sa manière, une pionnière.
Run ( OCS Go)
Vicky Jones, la créatrice de cette nouvelle série commandée par HBO, travaille depuis plus d’une décennie auprès de Phoebe Waller- Bridge dont elle est à la fois l’amie la plus proche et la collaboratrice. Ensemble, elles ont monté la pièce Fleabag dès 2013, avant l’adaptation en série devenue le succès mondial que l’on connaît – les deux saisons sont d’ailleurs visibles sur Amazon Prime. Dans Run, Waller- Bridge apparaî t en tant que comédienne dans un rôle mineur mais savoureux. Elle est également productrice. Jones, quant à elle, dirige le navire et s’amuse avec les codes éternels de la comédie romantique, racontant l’histoire de deux amants qui se retrouvent après une décennie de séparation, suite à une promesse faite dans le passé. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, les voilà en train de traverser les États- Unis en train, se découvrant dif férents, à la fois proches et lointains. Vont- ils tout reprendre à zéro ? La série vaut avant tout pour la performance géniale de Merritt Wever, déjà étonnante dans Nurse Jackie, puis formidable dans Unbelievable et Marriage Story de Noah Baumbach. Drôle, gênante et capable d’exprimer un désir inouï, nous tenons, avec cette New-Yorkaise pur jus, l’actrice la plus for te de sa génération.
Le Bureau des légendes ( Canal +)
La série d’espionnage signée Éric Rochant revient enfin avec une cinquième saison très attendue, dix épisodes que Canal + dif fuse à l’ancienne, deux par deux chaque lundi – le confinement a en effet occasionné des retards dans la postproduction. À la fin de la saison précédente, Malotru ( Mathieu Kassovitz) se trouvait en très mauvaise posture. Est- il mort ou bien vivant ? Ce n’est pas la seule question à laquelle répond Le Bureau des légendes dans cette nouvelle salve très sombre, où la série semble toucher à la pureté qu’elle recherche depuis ses débuts. Le spectaculaire, ici, naî t de la lenteur et de la précision narrative. Les acteurs et actrices apportent la chair et les respirations bienvenues. Dans un rôle de “clandestin” inspiré de Cor to Maltese, Louis Garrel fait office de petit nouveau. Une réussite. À noter que Jacques Audiard a pris en main les deux derniers épisodes, tandis que Rochant a décidé de ne plus être le showrunner de la série dans le futur, pour se consacrer à d’autres projets.
Sur écoute ( OCS Go)
Parmi les classiques éternels de l’âge d’or des années 2000, les cinq saisons de Sur écoute concoctées par David Simon tiennent le haut du pavé. Située à Baltimore, la série explore la vie du trafic de drogue dans un quar tier pauvre, mais aussi le quotidien des flics ou des politiciens… Capable de sonder toute la chaîne d’une société, cette série exceptionnelle a souvent changé de décor d’une saison à l’autre, passant de l’univers des dockers à celui d’un collège, notamment. Au bout du compte, tous les grands thèmes sociaux et politiques qui agitent l’Amérique et le monde ont traversé les soixante épisodes captivants. On peut la revoir à l’infini et y découvrir de nouvelles beautés. Celles et ceux qui n’ont jamais vu
Sur écoute doivent accepter le rythme particulier de la fiction, où le temps est mis à profit pour déplier des récits dignes des plus grandes oeuvres cinématographiques et littéraires. Quelques personnages restent iconiques aujourd’hui, comme Omar Little, le gangster gay aux allures de vampire…
Cheer ( Netflix)
L’imaginaire visuel et romanesque autour des cheerleaders a inspiré des romancières comme Laura Kasischke ( Rêves de garçons) et suscité de nombreux films plus ou moins recommandables jouant avec le cliché de la blonde belle et idiote, comme l’excellent American Girls avec Kirsten Dunst au début des années 2000. Vingt ans plus tard, cette mini série documentaire en six épisodes travaille à aplanir les stéréotypes pour montrer la diversité des corps et des genres à l’oeuvre dans cette discipline ultra sportive. Cheer suit l’année pleine de drames d’une équipe du Texas, pour laquelle le fait d’encourager sur le bord du terrain ne représente qu’une activité annexe. Le principal ? Un championnat national de pyramides et de tumbling pour lequel Gabi, La’Darius, Mackenzie, Lexi, Jerr y et les autres s’entraînent d’arrache- pied sous la houlette de Monica, la coach qu’aucune fiction n’aurait pu rendre aussi fascinante et attachante. Passionnant de bout en bout, ce chant d’amour aux petites villes de l’Amérique profonde n’oublie pas de montrer les ravages de la compétitivité à tout prix qui gangrène la société.
Better Things ( MyCanal)
L’une des séries les plus discrètes qui soient, mais aussi l’une des meilleures. L’histoire d’une femme tout juste quinquagénaire, actrice et mère de trois filles, sous le soleil de Los Angeles. Pamela Adlon développe ici une autofiction faite de moments burlesques, énervés ou simplement tendres. Un mélange toujours surprenant qui raconte aussi une émancipation, la découver te par cette femme de sa propre capacité à la liber té. Sam Fox, c’est le nom du personnage principal, parle for t, prend de la place et ne s’excuse jamais de rien. Elle conquiert sans cesse un espace pour elle- même, sans toutefois écraser les autres. Une série faite main, garantie sans clif fhangers et autres techniques narratives ar tificielles, mais qui touche directement au coeur. Dernière en date, la quatrième saison fait encore grimper le niveau d’un cran.