Trois talents retenus par Michel Gaubert : Caterina Barbieri, Planningtorock, Johnny Jewel. Par Christophe Conte
Elle a le look d’une ancienne emo girl qui aurait découver t le synthétiseur comme le Saint- Graal. À tout juste 30 ans, l’Italienne Caterina Barbieri est sans doute la plus grande promesse de l’électro contemporaine, le dithyrambe qui accueille chacune de ses productions rappelant l’émoi que provoquait Aphex Twin il y a deux décennies. Chez elle, l’action ne se situe pas dans les clubs, ni même aux lisières de la pop, mais bien dans une sor te de seconde dimension où elle se livre à un corpsàcorps sensoriel avec d’ardentes machines à produire du chaos comme de la beauté, à dessiner des paysages vir tuels sablonneux ou subitement cosmiques. “Mon rappor t à la musique et aux synthétiseurs a toujours été solitaire, acétique, spirituel”, dit- elle depuis Milan, où elle est revenue après trois ans passés à Berlin. “Dans mon expérience, les machines sont des portails pour accéder à un potentiel psychique qui, autrement, resterait en sommeil. Je les considère comme des oracles.” Tout est souvent dit dans le titre de ses albums, comme Patterns of Consciousness ( Modèles de conscience, 2017) ou le foudroyant Ecstatic Computation ( Calcul extatique, 2019), ses compositions s’attachant à maintenir en éveil cette frontière fragile entre l’instinct et la science, la froideur clinique des processeurs et la sensualité charnelle qu’elle impulse à ces chants d’amour magnétiques.
Caterina, assurément, est l’enfant de cette longue lignée de femmes volontaires ayant défriché les terrains vierges de la musique électronique depuis les années 50, les Daphne Oram, Éliane Radigue, Suzanne Ciani ou Doris Norton, désormais déifiées à travers le monde, mais longtemps ignorées au profit de leurs homologues masculins. “Elles ont été ces pionnières que l’on redécouvre aujourd’hui et je me sens redevable de leur inspiration, de la passion et la force qu’elles m’ont données. C’est notre responsabilité de musiciens vivants de célébrer ces voix oubliées, je le fais dès que j’en ai l’occasion.”
Sa découverte intriguée, à l’adolescence, d’un premier synthétiseur rudimentaire, un Casio VL-Tone appar tenant à son père, suf fira à déclencher l’étincelle. Dans le cadre d’un projet Erasmus, elle se retrouve à étudier la musique électronique au Royal College of Music de Stockholm, qui lui donne accès à des machines fascinantes aux noms de créatures de sciencefiction comme le Buchla 200 ou l’EMS VCS3 : “J’en suis immédiatement tombée amoureuse et c’était un point de non- retour.” D’une grand- mère chanteuse d’opéra, elle conserve le goût des choses “émotionnelles, épiques, dramatiques” qui imprègnent l’histoire de la musique italienne, de Monteverdi jusqu’à Ennio Morricone, dont l’écho se fait entendre en sourdine dans ses compositions les plus mélodiques. Car l’abstraction pure n’est pas un but chez cette chercheuse de palpitations, qui s’interroge aussi “sur les mondes intérieurs et extérieurs, le micro et le macro- cosmos, le matériel et l’immatériel”, évoquant “ce chemin vibratoire de l’air qui frappe votre oreille et se transforme en pulsions électriques dans votre cerveau pour produire une variété de réponses émotionnelles et de réactions psycho- physiques”.
Malgré l’apparence austère de son approche, il suf fit d’écouter sa musique pour en trouver l’évidente traduction, et plus encore de la voir en live prolonger ces stimulations sonores en mode aléatoire et intuitif. “J’ai composé l’essentiel de ma musique en tournée, et en la jouant avant de l’enregistrer. Chaque pièce est un organisme vivant, qui grandit et se développe en moi, et c’est parfois douloureux de devoir les figer en une chose aussi statique et morte qu’un enregistrement.” Assignée à résidence comme tout le monde pendant plusieurs mois, “avec mes synthétiseurs comme seuls compagnons”, elle a toutefois pris le temps de composer un “album de la quarantaine” qui, soyons- en cer tains, sera une nouvelle façon pour cette trentenaire d’indiquer le futur.