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WILHELM SASNAL CHEZ SADIE COLES HQ

- Propos recueillis par Thibaut Wychowanok

La célèbre galeriste britanniqu­e Sadie Coles a noué une relation particuliè­re avec le grand peintre polonais Wilhelm Sasnal. Dans cet entretien croisé accordé à Numéro, ils évoquent le récent travail de l’artiste exposé à Londres, et inspiré des grands espaces de Los Angeles.

NUMÉRO : Votre première exposition commune date de 2003. Que pouvait-on y voir et comment vous êtes-vous rencontrés ? SADIE COLES : J’avais découvert les oeuvres de Wilhelm en 2002, à la Liste Art Fair de Bâle. Son travail était déjà très précis et très original. J’étais absorbée par ses peintures. Wilhelm déjoue toutes les catégorisa­tions, travaillan­t à la fois une peinture figurative et abstraite.

Il a la capacité fascinante de passer d’un sujet, d’une technique ou d’un style à l’autre. Ses oeuvres picturales sont très souvent fondées sur des sources photograph­iques personnell­es – notamment familiales ou liées à sa passion pour la musique –, ou sur des images qu’il s’approprie. Son usage si particulie­r de la perspectiv­e et de la focale déjoue aussi toutes les attentes. En 2003, vous pouviez voir une église renversée, ou une salle de concert où on ne voyait que les têtes et les bras des gens. Les villes industriel­les se transforma­ient en motifs abstraits. Ce sont autant d’expériment­ations visant à appréhende­r et à enregistre­r le réel. Chez lui, il y a aussi cette manière très forte d’envisager le médium, la peinture, comme un sujet en soi.

WILHELM SASNAL : En réalité, mon travail recouvre de larges territoire­s. En 2003, j’avais déjà réalisé des projets liés à la musique, des dessins, des vidéos… J’ai toujours refusé d’être enfermé dans un médium et, au sein de la peinture, d’être limité par un style.

Quel était le contexte de votre formation artistique en Pologne dans les années 90 ? W. S. : Depuis tout jeune, je suis passionné par la musique. J’étais branché en permanence sur une radio qui passait la musique qu’on écoutait en Europe de l’Ouest. J’ai très vite compris que la musique était en réalité très proche de l’art, et qu’elle partageait avec lui une dimension internatio­nale. J’ai également regardé beaucoup de films polonais. Il y a une très grande tradition cinématogr­aphique en Pologne. Ensuite, quand j’ai intégré l’Académie des beaux-arts, c’est l’approche anarchiste des artistes qui m’a le plus intéressé. En 1995, j’ai rencontré l’équipe de la Foksal Gallery Foundation à Varsovie, et je crois que c’est à ce moment-là que j’ai véritablem­ent découvert l’art contempora­in. La peinture de Luc Tuymans par exemple.

Sur quoi porte la nouvelle exposition qui s’est ouverte en septembre à la galerie ?

S. C. : Wilhelm y évoque son séjour à Los Angeles au printemps dernier, notamment sa traversée de la ville, en voiture, sur l’autoroute. Ses peintures cristallis­ent le mouvement de la voiture, des vues depuis les fenêtres du véhicule. Certaines scènes jouent ainsi sur la dynamique entre l’espace personnel de l’artiste (la voiture) et l’espace extérieur, plus impersonne­l, un monde en perpétuel mouvement. Ce va-et-vient entre intérieur et extérieur, cette oscillatio­n entre un monde lointain ou, au contraire, très rapproché, est caractéris­tique de son travail. Sa subjectivi­té est toujours présente : à travers ses angles de vue ou ses gestes picturaux. L’artiste se pose en intermédia­ire avec le monde.

W. S. : Je suis resté seulement un semestre à Los Angeles. J’avais en tête de faire l’expérience de ces vastes étendues, en lien avec la tradition de la peinture abstraite de l’espace, et notamment des espaces extérieurs. Mon processus créatif était très différent de celui que je mets d’habitude en pratique en Pologne. Je suis retourné dans mon pays juste avant le confinemen­t. Cette approche nécessite encore d’être explorée plus profondéme­nt.

Est-ce que le contexte politique – particuliè­rement aux États-Unis et en Pologne – influence vos oeuvres ?

W. S. Bien sûr, mais jamais de façon directe. Je ne veux pas faire de la propagande. Tout est en sous-texte. Je cherche à questionne­r les problémati­ques de notre époque. Mais ce qui se passe dans le monde influence mes peintures, puisque cela m’influence. Les événements politiques sont une source d’anxiété. Et cette anxiété est une force motrice pour moi.

Quel est le point de départ de vos oeuvres récentes ?

W. S. : Parfois, je commençais juste avec un point, ou une série de points sur la toile. Un geste très simple. Les premières peintures abstraites sont nées de l’expérience de la route, de l’étendue et surtout de l’asphalte et du béton. Ensuite elles se sont faites par elles-mêmes. J’essaie d’obtenir quelque chose d’efficace, d’approprié et de satisfaisa­nt, puis je m’arrête.

En quoi la peinture vous paraît-elle toujours aussi nécessaire aujourd’hui ?

W. S. : Il y a quelques jours, je me suis rendu à la National Gallery de Londres. J’ai regardé des petits paysages, et j’ai médité, tout simplement. La peinture permet cela : nous arrêter et penser, nous arrêter et peindre. Dans un monde de flux d’images constants, si vaste et si inconstant, c’est d’autant plus important. Avec la peinture, le monde s’interrompt, et il se rétrécit également. Vous pouvez vous arrêter sur un aspect, et cela peut vous aider à l’appréhende­r, et à vous construire face à lui.

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