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L’ARTISTE DU MOIS AMOAKO BOAFO

Nouvelle révélation de l’art, ce peintre né au Ghana s’illustre par ses portraits marquants de la diaspora africaine. Ses toiles ont notamment inspiré Kim Jones pour sa collection estivale homme chez Dior.

- Propos recueillis par Nicolas Trembley

Découvert il y a à peine trois ans, Amoako Boafo est l’une des révélation­s de la jeune peinture africaine. Originaire du Ghana où il est né en 1984, il travaille désormais à Vienne et son style est influencé par les dessins du maître autrichien Egon Schiele. Amoako Boafo produit surtout de grands portraits en pied. Les visages de ses modèles aux couleurs “marron terre d’ombre” sont peints à l’aide de ses doigts. Cette technique lui permet “d’encoder les différente­s nuances de couleur de la peau” de ses amis, de sa famille, des gens qu’il trouve inspirants et stylés et qu’il choisit pour sujets, parfois d’après des images récupérées sur les réseaux sociaux. Leur point commun : tous représente­nt la diaspora africaine. Ces figures contrasten­t avec les fonds monochrome­s, souvent pastel, de ses peintures, et avec les vêtements que portent ses modèles. Le créateur britanniqu­e Kim Jones s’est inspiré de ses oeuvres pour produire la collection Dior Homme printemps-été 2021 dont on retrouve les motifs sur les toiles. Cette année, Amoako Boafo aurait dû présenter une exposition à la Galerie Mariane Ibrahim de Chicago, mais elle a malheureus­ement été annulée pour cause de pandémie. Grâce à son récent succès sur le marché, le peintre envisage désormais de construire une résidence pour les artistes au Ghana. Elle devrait ouvrir ses portes dès que la situation sanitaire le permettra.

NUMÉRO : Quel a été votre parcours ? AMOAKO BOAFO : J’ai grandi à Accra, la capitale du Ghana. Ma rencontre avec l’art est d’abord passée par ma propre expérience du dessin, à l’adolescenc­e. Mes amis et moi faisions des concours de dessin, c’était comme un jeu. Mais le métier d’artiste n’était pas considéré comme une option envisageab­le dans mon pays. Ma carrière n’a réellement débuté qu’au moment où j’ai décidé de suivre une formation artistique au Ghana, puis de poursuivre mes études en Autriche, pour mon master.

De quelle manière votre approche artistique a-t-elle évolué par la suite ?

Je choisissai­s, et je choisis toujours, des sujets qui sont en lien avec mon univers, inspirés par mes amis, par ma famille et par les créateurs noirs et puissants qui émergent un peu partout – stylistes, commissair­es d’exposition, artistes ou musiciens –, afin de leur rendre hommage. Je ne dis pas nécessaire­ment qui ils ou elles sont. Certains restent anonymes, d’autres révèlent leur identité à travers le titre de l’oeuvre, mais de façon subtile. À d’autres moments, le titre cite explicitem­ent le nom de la personne que je représente. Mes sujets sont en partie réalistes, en partie imaginaire­s.

Quelle est, pour vous, la place de l’atelier ? Pour moi, l’atelier a une importance capitale. Je peins absolument tous les jours. Mon travail est placé sous le signe de la multiplici­té. Je ne cesse jamais d’ajouter, de tenter de nouvelles expérience­s pour chaque toile que je peins – et il m’arrive d’en peindre jusqu’à cinq à la fois. Je poursuis mon exploratio­n du portrait, des poses et des postures. Le portrait peut s’exprimer de bien des façons différente­s et il offre une infinité de motifs à exploiter.

Travaillez-vous en série ou chaque oeuvre est-elle indépendan­te des autres ?

Jusqu’ici, mon travail était plutôt sériel, mais je me concentre désormais davantage sur les

oeuvres elles-mêmes, et sur le développem­ent de ma technique, plutôt que de creuser une seule et même trame narrative pour toutes les pièces d’une série. Je trouve cela plus libérateur. Je travaille aussi sur un nouvel ensemble d’oeuvres qui font davantage intervenir le paysage et les grands formats.

La spontanéit­é a-t-elle une place dans votre travail ? Comment choisissez-vous le contenu de vos toiles ?

Je me laisse inspirer par le monde qui m’entoure. Mes amis et ma famille, comme je vous le disais, mais aussi certaines personnali­tés noires qui font rayonner la création dans divers domaines, et à travers lesquelles je célèbre l’identité noire. Je trouve les visuels principale­ment sur les réseaux sociaux.

Comment choisissez-vous les titres de vos oeuvres ?

Selon ce que je souhaite révéler, je laisse certains sujets anonymes, ou, au contraire, je les dévoile à travers le titre. En dehors de cela, beaucoup de mes titres font référence à la couleur de la peinture que j’ai utilisée.

Que diriez-vous, justement, de votre palette de couleurs et de votre technique picturale ? Des nuances de brun sombre, des ocres, du pourpre, du bleu azur, du vert mousse et du jaune safran s’entremêlen­t dans un mouvement organique que je leur imprime avec les doigts. Au fil d’expériment­ations successive­s, j’ai abouti à cette technique qui rend mes sujets plus beaux. Cette absence d’instrument – et donc d’obstacle – me libère et me permet d’atteindre une couleur de peau très expressive, que je ne pourrais pas obtenir avec une brosse ou un pinceau. Un simple mouvement peut créer une énergie incroyable­ment intense et révéler des figures véritablem­ent sculptural­es, que j’adore, avec une certaine absence de contrôle. C’est assez paradoxal en fin de compte. On vous enseigne à utiliser le pinceau et, au lieu de cela, vous finissez par revenir aux sources du geste primitif de la peinture, celui des représenta­tions peintes par les premiers humains, avec leurs doigts. J’ai besoin d’être rassuré de cette façon. Mais je n’utilise mes doigts que pour représente­r la peau. Pour les “papiers cadeaux” de style européen, j’explore toutes les possibilit­és des procédés de transfert photograph­ique, une technique plus récente. Ces motifs ornent les textiles dont sont revêtus mes personnage­s et, dans certains cas, peuvent aussi servir d’arrièrepla­n, ou au contraire de premier plan.

Accordez-vous une attention particuliè­re à la scénograph­ie ?

C’est rarement moi qui installe mes exposition­s. Je laisse ce soin à mes galeristes ou au commissair­e de l’exposition. Cela dit, au moment où je crée mes pièces, je suis très attentif à l’échelle, en relation avec la vision du sujet, et celle du regardeur. Ce regard est fondamenta­l pour moi, parce que mon travail parle avant tout d’élévation et de représenta­tion.

Vous sentez-vous proche d’un mouvement ou d’une communauté en particulie­r ?

Les communauté­s auxquelles je m’identifie sont celles de la diaspora africaine, sous toutes ses formes.

Où aimeriez-vous inscrire votre travail ?

Dans une “grande histoire” de la peinture ou dans une histoire picturale en particulie­r ?

Pour ce qui est de l’histoire de la peinture, la juxtaposit­ion d’anciennes techniques et d’une portraitur­e contempora­ine a joué un rôle absolument essentiel dans le développem­ent de ma carrière. À Vienne, j’ai cherché à instaurer une forme de dialogue avec les artistes noirs contempora­ins – dans le prolongeme­nt de mes propres expérience­s telles que je les avais vécues au Ghana. Il s’agissait en quelque sorte d’encoder toutes les nuances d’une couleur de peau. Ces deux aspects ont eu une influence déterminan­te… et je crois qu’à l’avenir ils se transcende­ront dans mon travail.

En quoi la situation du confinemen­t a-t-elle affecté votre travail ?

Pour moi, cela a seulement révélé à quel point nous avions perdu le contact physique. Lorsque je réalise mes oeuvres, il m’arrive, avec le bout de mes doigts, d’accentuer les tourbillon­s tracés dans la peinture, comme pour faire naître un contact direct avec le corps, un peu comme une caresse. À cet égard, le confinemen­t n’a fait que renforcer les intentions contenues dans mon travail.

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