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Samuel François. Par Delphine Roche, illustrati­on Gabriel Schemoul

À la manière de véritables talismans, les bijoux de Samuel François revisitent des symboles fascinants pour créer un univers mystique et poétique.

- Par Delphine Roche, illustrati­on Gabriel Schemoul

Les bijoux non précieux ont connu un développem­ent extraordin­aire ces dernières années, sans qu’on en retienne, la plupart du temps, quoi que ce soit. Ceux de Samuel François sont un cas à part : plus proches de talismans que de simples petites babioles destinées à agrémenter une tenue, ils proposent d’entrer dans un monde. Celui de leur auteur, bien sûr, qui lui-même se nourrit de mondes. D’une simple bague à un imposant plastron, en passant par des pendants d’oreilles, les pièces développen­t un langage personnel qui mêle des symboles de civilisati­ons anciennes et des traits hérités de sculpteurs comme Line Vautrin, ou de la décoratric­e et costumière Janine Janet. On reconnaît par exemple, dans un plastron articulé comme un mobile de Calder, un moulage de seins dont la facture délicate, artisanale, évoque la fameuse robe-sculpture des Lalanne avec Yves Saint Laurent. D’autres moulages de bouches l’encadrent, et le procédé, devenu un élément fort du vocabulair­e de Samuel François, rappelle un masque mortuaire : une sensualité trouble, à la fois provocatri­ce et sombre, s’en dégage.

“Chez Martine Sitbon, j’ai commencé à concevoir des bijoux dès mon premier stage, explique le créateur. J’ai expériment­é notamment avec des pièces en rubans, des colliers et des plastrons. Mais aussi des moulages d’os, de vertèbres de serpent. C’est à ce moment-là que j’ai eu un premier contact avec la technique du moulage et de la fonte, dans un esprit très gothique.” Samuel François réalise lui-même les ébauches en cire de ses bijoux, explorant la matière comme si elle contenait la forme finale de l’objet, qui se précise au fil du processus de sculpture. Chez un artisan parisien, il les fait ensuite couler en bronze, et parfois l’émail vient s’ajouter “comme un glaçage de pâtisserie sur une vanité”, expliquet-il. Ses premiers bijoux revisitaie­nt en effet les vanités à la lumière de la culture mexicaine et sud-américaine, avec des crânes rehaussés de fleurs délicateme­nt émaillées.

Parmi ses créations surgissent d’autres symboles, tel l’oeil, non pas ésotérique mais larmoyant, “le Pierrot de l’illustratr­ice japonaise Mira Fujita, dont l’oeil pleure”. Au vu de cette poésie baroque, on pense volontiers aux films de Fellini, notamment à son Casanova, dont les costumes insensés développen­t une palette de couleurs à la fois sucrées et somptueuse­s, d’une richesse presque dérisoire. S’il voue allégeance à Fellini, c’est néanmoins Naples – et non Rome, ou Venise – qui a longtemps été la ville de coeur de Samuel François. “Naples est beaucoup plus vivante, sensuelle, chaotique, brutale – mais sans méchanceté. Et surtout les strates historique­s y sont réellement visibles, presque tangibles. En se promenant dans certaines ruelles, on peut être transporté dans un tableau du siècle, en entrant dans une église, on se retrouve au une autre rue, et c’est un décor du Satyricon de Fellini.” Les bijoux de Samuel François rappellent ces trésors que Naples offre sans crier gare. Ils sont autant de talismans à la fois extraordin­aires et intimes, qui semblent nous parler depuis la nuit des temps, et nous toucher au plus profond de nous-mêmes.

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