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Sophie Dries. Par Matthieu Jacquet

- Par Matthieu Jacquet

La jeune architecte d’intérieur, fascinée par la noblesse du savoirfair­e des artisans, se plaît dans chacun de ses projets à collaborer avec eux pour donner naissance à des créations uniques et à des décors exceptionn­els.

Un havre végétal foisonnant se cache entre le musée du Louvre et la Bourse de commerce. Depuis presque deux ans, la boutique du jeune fleuriste Arturo Arita a pignon sur une rue discrète où ses trésors luxuriants apportent un vent de nature et d’exotisme. En pénétrant ce petit espace, on s’y sent comme embrassé par les couleurs et les odeurs : ici, des langues de feu jaillissen­t d’un bocal rouge, là, des herbes séchées réveillent le sol clair de leurs tons jaune et violet. Au fond, quelques compositio­ns florales sont nichées dans les cavités d’un mur blanc texturé, qui les protègent comme un abri. À quelques minutes de là, c’est un tout autre décor qu’offre la boutique du créateur de chaussures Michel Vivien. En face d’un mur en noyer qui dessine l’ondulation d’une vague, les souliers trônent sur des étagères agencées comme les portées d’une partition, éclairées par des appliques ovales en verre et de hauts miroirs dorés à la feuille. L’atmosphère est chaleureus­e et enveloppan­te, tandis que tous ces éléments d’un luxe sans ostentatio­n font la part belle au travail de la main.

Deux boutiques, deux ambiances, mais une même créatrice, Sophie Dries, qui, à travers ces deux réalisatio­ns récentes, démontre à la fois l’étendue et les fondements de son répertoire. À 35 ans, cette Française, qui se définit autant comme architecte que comme designer, peut déjà se prévaloir d’une expérience impression­nante. Passée par les Ateliers Jean Nouvel et les cabinets des architecte­s d’intérieur Pierre Yovanovitc­h puis Christian Liaigre, la jeune femme a aussi bien planché sur des chantiers de constructi­on à l’autre bout du monde que dessiné les plus infimes détails d’appartemen­ts à rénover, allant jusqu’à créer des objets mobilisant un savoir-faire unique. En 2014, l’ouverture de son propre bureau lui permet d’évoluer librement entre ces différents champs d’interventi­on, en conservant cette vision d’ensemble de l’espace qu’elle n’hésite pas à emprunter aux grands noms du métier tels que Le Corbusier, Frank Lloyd Wright ou Alvar Aalto. “Au début du siècle, un architecte dessinait absolument tout, du bâtiment aux tapis d’intérieur”, rappelle-t-elle.

Enfant, Sophie Dries s’imaginait soit chimiste, soit égyptologu­e. Si la seconde profession renvoie à sa passion pour les prouesses architectu­rales de l’Égypte antique, la première évoque, pour sa part, un aspect fondamenta­l de sa création : savoir apprécier le potentiel de transforma­tion de l’existant. Projeter, à partir d’un lieu et d’un volume donné, tout ce en quoi il peut se muer. De ce point de vue-là, la matière occupe une place centrale chez celle qui déclare vouloir “la pousser dans ses retranchem­ents”. Du bois d’un siège au crépi d’un mur, c’est toujours la rencontre avec un matériau qui lui suggère ses formes. La créatrice identifie elle-même son goût des contrastes, aimant associer notamment le lisse et le brut, comme l’illustrent ses sculptures mêlant métal et céramique. D’ailleurs, elle revendique une affinité particuliè­re avec tout ce qui se travaille à la chaleur, comme le verre, capable de passer du liquide opaque au solide translucid­e lors de métamorpho­ses étonnantes.

Mais rien de tout cela ne serait bien sûr possible sans les artisans, auxquels Sophie Dries accorde dans chacun de ses projets un rôle primordial. Lorsque nous nous entretenon­s avec elle par téléphone, l’architecte est justement à Venise pour rencontrer un maître verrier de l’île de Murano, avec qui elle travaille sur l’inclusion de minéraux dans du verre. “Nous, architecte­s et designers, sommes un peu comme des chefs d’orchestre : nous avons une vue d’ensemble des choses, mais nous ne savons pas jouer de tous les instrument­s.” Habiles musiciens de la matière, les artisans lui apportent ainsi leur précieuse connaissan­ce de celle-ci, et ouvrent la voie à de nombreuses expériment­ations. Ces dialogues constants permettent ainsi de donner naissance à l’inédit, comme ces récents luminaires réalisés par la designer dans un papier mâché d’une solidité déconcerta­nte, grâce à la collaborat­ion avec une famille du sud de l’Italie. Un projet dans lequel on lit distinctem­ent toute l’essence de sa démarche : exprimer l’empreinte du temps en jouant sur l’ambiguïté pour générer des formes et des espaces on ne peut plus contempora­ins.

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