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IT’S A SIN

La nouvelle série écrite par le brillant scénariste Russell T. Davies met en scène cinq jeunes homosexuel­s au début des années 80. Le Britanniqu­e dépeint avec beaucoup de finesse et d’empathie leur quotidien en pleine flambée de l’épidémie de sida. Un bou

- Par Olivier Joyard

Au début des années 80, une effrayante épidémie baptisée le “cancer gay” par la presse populaire faisait son apparition à Londres, comme dans la plupart des grandes capitales occidental­es. Les mots “sida” et “HIV” n’existaient pas encore et des hommes mouraient en quelques mois sans que l’on comprenne pourquoi. C’est ce moment précis que Russell T. Davies, l’un des plus grands scénariste­s britanniqu­es contempora­ins, choisit comme point de départ pour le récit de la série It’s a Sin. Lui-même avait 18 ans en 1981, soit à peu près l’âge des cinq personnage­s, cinq jeunes homosexuel­s que l’on voit débarquer dans la capitale anglaise pleins d’espoirs, de désirs et de vie. Tous fuient un milieu familial plus ou moins délétère et intolérant. L’un veut devenir acteur dans le West End, un autre travailler à Savile Row, un troisième entrer dans le monde des cabarets, etc. En cinq épisodes, nous traversons toutes la décennie des eighties, passant constammen­t de l’ombre à une forme de lumière malgré tout.

Russell T. Davies a l’habitude de proposer des séries à forte valeur historique et de témoigner sur le monde tel qu’il le perçoit, à la fois vibrant et violent. Il utilise la télévision comme une forme d’éducation, sans jamais renier ses ambitions artistique­s. Ses séries ont toutes en elles une drôlerie, un sens du récit vivace et un goût pour le tragique, qui marquent les esprits. Son premier coup d’éclat, en 1999, s’appelait Queer as Folk, première série au monde dont les personnage­s principaux étaient tous gays, dont le remake américain produit dans la foulée connut un succès considérab­le.

Contrairem­ent à beaucoup d’autres, l’homme n’a pas levé le pied avec les années, conservant sa créativité intacte dans un système pourtant ultra concurrent­iel. En 2019, l’incroyable Years and Years nous jetait de plain-pied sur une planète en crise, en suivant une famille en proie à l’enfer du climat devenu fou, à la corruption généralisé­e et aux tensions politiques dangereuse­s liées au populisme et aux inégalités. Celles et ceux qui l’ont vue en tremblent encore.

It’s a Sin a la même ambition de faire partager une histoire au long cours, saisie dans toute son ampleur, mais avec un supplément d’intimité qui n’a pas de prix. Il y a quelque chose de bouleversa­nt dans la série, qui n’a pas seulement à voir avec son sujet à proprement parler, lequel suscite tristesse et colère – des gens sont morts seuls, comme des pestiférés. Car Russell T. Davies tient jusqu’au bout une idée hautement politique qui n’en a pas forcément l’air. Bien sûr, It’s a Sin montre à quel point l’homophobie a coûté des vies, mais le projet profond de la série est de confronter pulsion de vie et pulsion de mort avec une force assez fascinante. Le premier épisode est conçu comme une sorte de ballet entre des corps en pleine santé, qui font l’amour sans retenue, draguent, se découvrent, et un autre que la mort envahit peu à peu. Dans le regard plein d’empathie de Russell T. Davies, les deux ont le droit d’exister à égalité, mais la vie gagnera toujours. Ce sont les corps désirants qui incarnent l’avenir et la promesse d’un monde meilleur, eux qu’il faut laisser exister dans la fiction coûte que coûte.

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