Hommage à Alber Elbaz. Par Babeth Djian
Depuis la disparition du créateur iconique Alber Elbaz, des centaines d’hommages lui ont été rendus dans le monde entier. Alber était mon frère de coeur et nous nous comprenions d’un simple regard. Au fil de toutes nos années de collaboration, nous avons partagé des moments inoubliables et des fous rires irrépressibles, espiègles, enfantins, qui traduisaient mieux que n’importe quel mot notre merveilleuse complicité. Dans le travail comme dans la vie, Alber avait un coeur d’or et illuminait de sa joie et de sa malice tous ceux qu’il approchait. Son départ à l’âge de 59 ans prive la mode d’un de ses plus grands talents, et son entourage d’un homme généreux et bienveillant, qui laisse un souvenir ému à tous ceux qui l’ont côtoyé.
C’est justement dans son empathie, dans sa générosité infinie envers les autres, sans distinction de statut, d’âge ou d’apparence, que s’enracinait le talent d’Alber. Il avait toujours une touchante attention pour chacun et aimait à dire que l’amour appelle l’amour, “love brings love”. C’est grâce à cet immense talent qu’il a pu créer, dans les différentes maisons où il a exercé, des vêtements qui étaient de véritables alliés pour les femmes. Plutôt que de les contraindre, ses silhouettes les magnifiaient. Et dans un monde de la mode souvent obsédé par la quête de la perfection, Alber célébrait l’imperfection et accueillait les accidents, qui donnent de la vie aux vêtements. Directeur artistique de Lanvin pendant quatorze ans, il a su réinventer l’héritage couture de la maison pour le transformer en un véritable hymne à la femme, à toutes les femmes.
En sublimant les corps, Alber célébrait les âmes. Il utilisait son savoir-faire incomparable, comme un poète puise dans son vocabulaire, pour composer des silhouettes d’une beauté époustouflante, toujours empreintes de son regard émerveillé. Car il avait comme nul autre l’art
d’embellir la vie. C’est sans doute cette palette extraordinaire qui a séduit le grand couturier Yves Saint Laurent, qui avait personnellement élu Alber en tant qu’héritier à la tête du prêt-à-porter de sa maison, en 1998. Son sens des lignes, des coupes et des matières n’avait d’égal que sa fantaisie, qui s’exprimait dans les tendres dessins qu’il apposait sur certaines de ses créations ou sur les accessoires et les bijoux qu’il concevait comme autant d’objets ludiques.
Pour célébrer ses dix ans à la tête de la maison Lanvin, Alber, toujours plein d’humour, montait lui-même sur scène pour interpréter Que Sera, Sera. “Cette chanson est dédiée aux personnes de la mode qui m’ont aidé à réaliser mon rêve. Je vous aime”, lançait-il alors au public ému et enthousiaste. Et quel destin extraordinaire fut le sien, depuis sa naissance à Casablanca jusqu’à la création récente d’AZ Factory, cette marque de couture technologique visionnaire qu’il venait de lancer. Toujours innovant et audacieux, Alber avait récemment surpris le public avec ce concept ultra novateur ancré dans son désir de sublimer toutes les femmes. C’est avec une immense admiration que nous avions assisté à la renaissance d’un designer qui s’inscrit à jamais dans l’histoire de la mode. Là encore, l’amour guidait ses pas alors qu’il inventait des mailles anatomiques capables de redessiner subtilement la silhouette des femmes sans pourtant les emprisonner. Des robes pensées comme autant d’étreintes chaleureuses et aimantes, car, aimait à dire Alber : “Nous avons tant besoin aujourd’hui d’être touchés et embrassés.”
C’est donc la disparition de cet homme exceptionnel, mon ami Alber, que nous pleurons aujourd’hui. Il était une étoile lors de son passage sur cette terre, et il ne fait nul doute qu’il brillera à jamais dans le ciel. Sa présence tendre et son rire communicatif, gravés dans ma mémoire et dans mon coeur, ne cesseront jamais de m’accompagner.