Clara Luciani. Propos recueillis par Léa Zetlaoui, portraits Dominique Issermann, réalisation Rebecca Bleynie
Révélée en 2019 par son hit La Grenade, qui s’est imposé comme l’hymne féministe d’une génération, la chanteuse française, plusieurs fois récompensée aux Victoires de la musique, revient avec un second album, Coeur. Un opus lumineux qui décline son thème de prédilection, l’amour. Numéro a évoqué avec la talentueuse auteure-compositrice-interprète, égérie de Gucci, les coulisses de sa création.
Portraits Dominique Issermann
NUMÉRO : Votre premier album, SainteVictoire, sorti en 2018, et en particulier La Grenade et Ma soeur, ont été d’immenses succès. Redoutiez-vous d’écrire et de composer ce second album ?
CLARA LUCIANI : Oui, forcément. Je redoutais de ne pas réussir à le composer surtout. Un premier album, on l’écrit surtout pour soi, un peu comme un journal intime. Un second album, surtout quand le premier a eu du succès, c’est vraiment plus compliqué. On se dit qu’on ne veut pas décevoir le public. c’est un gros challenge.
L’amour était déjà un thème central de votre premier album. Vous l’abordiez avec des chansons qui invitent à se battre plutôt qu’à subir. Dans ce deuxième album, Coeur, on le retrouve également. Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait de parler d’amour ?
J’aime que ce soit un sujet inépuisable et qu’il existe plusieurs formes d’amour. Ça peut être l’amour fraternel, comme dans la chanson
Ma soeur sur Sainte-Victoire, ou, dans cet album, une chanson qui semble parler d’amour mais qui en fait parle d’amitié. J’aime la diversité de l’amour, et je suis une grande amoureuse, toujours dans les sentiments.
Après deux albums, avez-vous encore des choses à dire sur l’amour ?
Je pense que je pourrais faire toute une carrière en parlant d’amour. C’est ce qu’a fait Françoise Hardy, et tous ses albums sont très intéressants.
Pour ce nouvel opus, vous vous êtes entourée de Sage, le musicien, et du DJ Breakbot. Qu’ont-ils apporté à vos compositions ?
Je travaille avec Sage depuis mon tout premier EP. C’est un peu mon “docteur chansons”, car je ne connais que quatre accords à la guitare et le tour est trop vite fait ! Sage enrichit les compositions. Breakbot, lui, travaille davantage les sons. C’est lui qui a apporté la touche néo-disco en retravaillant les basses et en poussant les violons…
Le premier titre que vous avez sorti, Le Reste, s’accompagne d’un clip solaire, déjà vu plus d’un million de fois. Pourquoi avoir choisi cette chanson pour annoncer votre retour ?
En réalité, ce n’est pas vraiment moi qui l’ai choisie. J’ai envoyé l’album à plein d’amis et tous s’accordaient sur le fait que c’est le titre le plus fort et le plus emblématique de l’album, donc il me paraissait naturel de le sortir en premier.
Coeur fait penser à un album-concept qui rappelle les comédies musicales ou les films de Jacques Demy, avec des textes évocateurs et des mélodies entraînantes. On retrouve d’ailleurs cette impression de tableau avec le clip de la chanson Le Reste.
Pour cet album, j’ai effectivement pensé à un concept. Les gens écoutent de moins en moins un album en entier, il fallait donc qu’il y ait une espèce de concept derrière pour capter l’attention. L’album s’ouvre et se ferme sur un battement de coeur. On peut l’écouter comme
une boucle, une histoire que l’on raconte. Le mot “coeur” est présent dans chaque chanson, comme un jeu de piste, sauf dans Au revoir, la dernière.
C’est aussi un album très dansant, très festif, qui invite à l’amour et à la séduction. Il sera idéal pour le déconfinement et pour l’été…
Oui, je voulais qu’il soit lumineux. On traverse des moments très difficiles. Nous avons plus que jamais besoin de musiques et de sonorités entraînantes. Actuellement, faire du live n’est pas envisageable, et cet album a été enregistré avec beaucoup de musiciens. C’était une façon d’inclure dans mes chansons un peu de ces moments particuliers que nous partageons dans les concerts.
Avez-vous sollicité davantage de musiciens que pour votre précédent album ?
Oh oui ! On ne l’entend peut-être pas forcément, mais les musiciens qui ont collaboré à cet album sont nombreux. Les violonistes, par exemple, sont dix-huit, ce qui est énorme. Il y a des percussionnistes et des amis qui tapent dans leurs mains. J’avais envie d’apporter certaines choses qui nous manquent en ce moment, comme l’esprit de collectivité, la légèreté, la lumière, la danse… Introduire un peu de tout ça dans le quotidien des Français.
Voilà plus d’un an que le monde de la musique tourne au ralenti, pas de concerts, pas de festivals… Avez-vous hâte de remonter sur scène devant un public ? Qu’est-ce qui vous manque le plus ?
Le public ! Une chanson n’existe vraiment que sur scène, quand elle est reçue par le public.
Quand les compteurs affichent un million de vues sur YouTube ou d’écoutes sur les plateformes de streaming, cela ne revient-il pas au même ?
Ça reste des chiffres, même si on sait qu’il y a des humains derrière, et moi je veux voir des visages s’éclairer ! Pendant un concert, il y a quelque chose de l’ordre de la communion ou de la cérémonie religieuse. Enfin, s’il est réussi.
Vous étiez invitée par Julien Doré sur sa ballade poétique L’Île au lendemain, tirée de son album Aimée. Comment est née cette rencontre ?
Nous nous sommes rencontrés grâce à Brice VDH. Il réalise les clips de Julien Doré, et il a aussi fait celui de ma chanson Nue, en 2019. Nous sommes tout de suite devenus proches. Nous avons des personnalités très compatibles, nous venons du même milieu social, nous avons les mêmes origines. Nos grands-pères travaillaient tous les deux à la mine d’Alès, dans le Gard, et ça nous a tout de suite rapprochés. Au-delà de ce que nous partageons musicalement, nous avons les mêmes valeurs. Nous nous sommes vraiment bien trouvés.
Pour la vidéo qui accompagne L’Île au lendemain, vous jouez du piano, alors que vous êtes à moitié immergée dans de l’eau glacée. Oui ! Je prépare ma revanche d’ailleurs.
On retrouve un duo avec Julien Doré sur le titre Sad & Slow, pensiez-vous à lui quand vous avez écrit cette chanson ?
Pas nécessairement au début, mais j’ai très vite entendu sa voix pour m’accompagner. Je lui ai d’ailleurs proposé ce titre avant même que l’on enregistre L’Île au lendemain. Ça me paraissait important de laisser une place à Julien sur ce disque, je vois en lui une sorte d’alter ego.
Philippe Katerine, Julien Doré, Calogero, Nekfeu, M, Ibrahim Maalouf, Marc Lavoine, Julien Clerc, Raphael… Vous avez collaboré avec de grands noms de la chanson française, quel a été votre projet le plus mémorable ?
Je dirais Nekfeu. Il m’a proposé de chanter avec lui en 2016, avant même la sortie de mon premier EP. J’étais encore une inconnue et je me suis retrouvée à aller enregistrer un duo avec lui dans la cave d’un appartement. C’était vraiment inattendu, il avait entendu ma voix sur un titre de La Femme. Je suis toujours surprise et évidemment très flattée quand des artistes me proposent de chanter avec eux, mais là, c’était délirant.
Vous êtes ambassadrice de la maison Gucci. Qu’est-ce qui vous plaît dans le travail d’Alessandro Michele, son directeur artistique ?
Alessandro Michele est une personnalité que je suis sur Instagram depuis qu’il a rejoint la maison Gucci, car je le trouve super inspirant. J’adore puiser dans le vintage et réussir à rester contemporaine. C’est ce que je fais avec la mode, mais aussi avec ma musique. C’est pour ça que je suis très fan de Lana Del Rey, car elle a l’art de s’approprier des éléments du passé tout en restant résolument moderne. Pour moi, Alessandro Michele a la même approche. Dans son travail, il y a toujours des références historiques et des coupes empruntées au vintage, mais avec un twist super actuel et un côté excentrique à l’italienne. Les campagnes de publicité de Gucci me touchent beaucoup car on y voit de la diversité : elle est autorisée, voire encouragée, ce qui n’est pas toujours le cas.