Sofía Sanchez de Betak. Propos recueillis par Vanessa Denouailles
Au fil de ses voyages, Sofía Sanchez de Betak a développé un style vestimentaire bohème et facile à vivre, inspiré par l’île de Majorque où elle séjourne fréquemment. La belle Argentine a créé cet été pour Mango une collection capsule de six robes légères imprimées, conçues de façon écoresponsable.
NUMÉRO : Vous avez grandi en Argentine, quel était votre style de vie ?
SOFÍA SANCHEZ DE BETAK : J’ai eu beaucoup de chance car ma mère était agent de voyage. Avant que l’Argentine ne devienne une destination touristique prisée, elle organisait des voyages tournés vers la nature, le plein air et les grands espaces, et faisait découvrir à des touristes américains des lieux très confidentiels, très reculés. J’ai passé beaucoup de temps à la campagne, en Patagonie, et j’ai aussi beaucoup voyagé avec ma mère en Europe et en Amérique du Sud. C’était un équilibre idéal. Ma fascination pour le voyage m’a poussée à aller vivre plus tard à New York, puis à épouser un Français, avec qui je vis entre New York, Paris et Majorque.
Enfant, rêviez-vous d’un métier en particulier ? Je m’intéressais beaucoup au graphisme et à la direction artistique. Au lycée, j’ai commencé à les pratiquer en tant que hobbys. Puis j’ai suivi des études dans ces domaines et je suis allée travailler dans une grande agence de publicité new-yorkaise. Mon job était vraiment passionnant. Quand j’ai commencé à fréquenter Alex [de Betak], qui allait devenir mon mari, j’ai commencé à exercer en tant que consultante.
Comment est né votre goût pour la mode? Est-ce via votre environnement en Argentine, ou via les voyages que vous avez faits ?
Pour être honnête, je pense que je suis la moins passionnée de mode de ma famille ! L’une de mes soeurs a suivi un cursus de design de mode au Central Saint Martins College à Londres. Elle est toujours super stylée et elle adore les extravagances vestimentaires. Mon autre soeur voulait devenir styliste. Et moi, j’étais la geek de la famille, fascinée par les ordinateurs, le design, Illustrator et Photoshop. Plus tard, quand j’ai travaillé à New York, j’ai participé à des campagnes shootées par Craig McDean ou Peter Lindbergh. Je connaissais le nom de ces photographes très talentueux depuis longtemps, mais je n’avais jamais imaginé collaborer un jour avec eux. J’ai donc appris sur le tas.
Retournez-vous souvent en Argentine ? J’avais l’habitude d’y aller plusieurs fois par an, mais depuis l’année dernière, cela n’est plus possible. L’Argentine demeure toujours très présente dans ma vie. Je m’y suis mariée, et Alex et moi avions coutume d’y passer Noël. Il adore mon pays natal, d’ailleurs il a des origines argentines et il parle espagnol couramment.
Du fait de votre enfance à la campagne, vous sentez-vous fortement connectée à la nature et aux questions de préservation de la biodiversité ? J’aimerais être plus experte sur ces questions, mais je me sens évidemment concernée et je suis consciente de l’urgence climatique. Je voudrais léguer une planète habitable à ma fille. Comme tout le monde, j’ai fait de petits gestes, mais nous savons tous qu’il va falloir procéder à de grands changements. Auparavant, personne ne se posait de questions au sujet de son nombre de trajets en avion, par exemple. J’apprends. Nous avons tous un passé, nous avons tous fait des erreurs, nous pouvons mieux faire.
Lorsque vous avez commencé à voyager, avez-vous été influencée par des pays que vous visités ?
Le Japon m’a émerveillée par son raffinement et le goût incroyable des Japonais. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai donné un prénom japonais à ma fille [Sakura]. Chaque personne que nous rencontrons, chaque pays que nous visitons, nous change. Majorque et l’été méditerranéen m’influencent aussi beaucoup. Cette île dont je suis tombée amoureuse est montagneuse. Je n’ai jamais été une fanatique de talons hauts et de maquillage, de toute façon, mais à Majorque, porter des talons hauts serait absurde. Je me casserais une cheville à chaque fois que j’irais nager. Ici, les bars sont très simples, il n’y a pas de lieu prétentieux. Toute la vie est fondée sur la convivialité et l’amitié. Cette île m’a donc beaucoup influencée car dans les grandes villes tout est très codifié. Il faut porter un certain type de vêtements, avoir un certain job. Ici, tout cela s’évanouit et tout le monde redevient très simple.
Vous aviez un projet de voyage au Myanmar que vous avez dû repousser à cause de la pandémie. Quel était le but de ce voyage ?
C’était un rêve, devenu enfin presque réel. Ma mère ayant été une grande spécialiste de l’organisation de voyages, j’ai toujours rêvé d’en trouver un qui concilie mon désir de visiter un lieu, d’apprendre à connaître une culture, mais qui me permettrait aussi de m’engager dans une action de terrain concrète aux côtés d’une communauté locale, qu’il s’agisse de donner des cours d’anglais ou de lever des fonds pour une cause. Car c’est une chose de lire des articles et de s’informer au sujet d’un pays en difficulté, mais c’en est une autre de se rendre sur place, de voir les visages réels des personnes qui vivent cette situation et de les aider. Je n’ai jamais trouvé une proposition de ce genre, et j’ai donc décidé de l’inventer moi-même. J’ai eu l’idée d’allier voyage d’exploration et engagement humanitaire au Myanmar. Le séjour comprenait cinq jours en bateau pour découvrir le pays, et dix jours d’aide sur place à un orphelinat. Une partie du prix du séjour devait être reversée à l’orphelinat auquel nous allions prêter assistance. J’ai proposé ce voyage à un grand nombre de mes connaissances, et j’ai eu des réponses enthousiastes, les réservations ont afflué très rapidement, et j’étais sur le point d’acheter les billets d’avion, quand la pandémie a éclaté.
“Le Japon m’a émerveillée, j’ai ainsi donné un prénom japonais à ma fille [Sakura]. Chaque
personne que nous rencontrons, chaque pays que nous visitons, nous change.”
Comment définiriez-vous votre style vestimentaire ?
J’essaie justement de ne pas le définir, pour ne pas le limiter. Être bien dans sa peau est la définition ultime du style. En tout cas, je ne suis pas une Parisienne chic, je suis une Argentine qui
vit parfois à Paris, parfois à Majorque… Certains jours, on m’invite sur des yachts chics, donc j’adapte mon style à la circonstance. Ou encore, si je suis au Kenya, je ne m’habille pas de la même façon qu’à Paris, qu’à New York ou qu’au Japon. J’aime me fondre dans le paysage, apprendre des différentes cultures que je rencontre. J’incorpore des éléments de différents pays dans mon style, dans ma façon de m’habiller, dans mon alimentation. S’il faut définir mon style, je dirais donc qu’il est en mutation permanente. Et aussi, j’aime rester dans la simplicité, ne pas en faire trop.
Vous conservez tout de même une élégance en toute circonstance.
Merci, mais je ne me considère pas comme une personne élégante. Ma soeur et ma mère le sont beaucoup plus que moi. Bien sûr, je peux faire un effort, mais dans la vie de tous les jours, ce sont vraiment la simplicité et le confort qui m’importent. Les Parisiennes sont souvent très chics même lorsqu’il gèle. Moi, s’il fait très froid, je n’ai aucun complexe à enfiler plusieurs couches de vêtements, même si ça n’a pas une allure terrible. Et quand je roule à vélo, je ne peux pas m’encombrer d’un long manteau qui va se coincer dans mes roues. Après tout, ce n’est pas très élégant d’avoir un accident, non ?
Sur une note beaucoup plus légère, pourriezvous me parler de votre collaboration avec Mango sur la capsule estivale de six robes que vous proposez ?
J’adore travailler avec Mango parce qu’ils sont toujours partants pour les idées folles que je leur propose. Comme je savais qu’ils produisent certaines de leurs pièces au Myanmar, je leur ai demandé s’ils seraient d’accord pour donner les pièces en surplus produites dans cette usine à l’orphelinat où je comptais me rendre avant la pandémie. Ils ont envoyé des dons et j’étais très heureuse de constater qu’ils ne se comportent pas juste comme des clients qui me paient pour une campagne. Nous avons une relation de confiance durable. Nous développons ensemble des idées qui nous nourrissent, aussi bien eux que moi. J’interviens sur le design des produits que nous faisons ensemble, sur la campagne. Je participe à toutes les décisions, qu’il s’agisse de la matière que nous utilisons ou du photographe avec qui nous travaillons. Pour cette collection capsule estivale, je voulais m’inspirer de la Méditerranée, puisque nous voyageons tous à une échelle plus réduite aujourd’hui. J’ai passé beaucoup d’étés en Europe et j’ai découvert des lieux magnifiques avec mon mari. J’ai donc réalisé pour Mango plusieurs moodboards inspirés de ces différents lieux. Ensuite, tout est allé extrêmement vite, car leur processus de travail est très efficace. Ce qui me prendrait trois mois à développer avec Chufy, ma propre marque de mode, eux le font en un mois, des premiers moodboards aux essayages finaux, en passant par le choix des tissus et des coupes. Nous avons shooté la campagne de cette collection à Majorque, en travaillant avec certains de mes amis locaux. Je suis vraiment excitée par cette collection, car Mango peut toucher une clientèle très large, à des prix abordables. C’est un très joli projet.
“J’ai eu l’idée d’allier voyage d’exploration au Myanmar et engagement humanitaire sur
place, avec une partie du prix du séjour reversée à l’orphelinat que nous allions aider.”