Numero

Le Festival de Cannes. Par Olivier Joyard

- Par Olivier Joyard

En dépit de la crise sanitaire, le Festival de Cannes 2021 aura bien lieu, avec un jury placé sous l’autorité de Spike Lee. Numéro vous présente quatre films particuliè­rement attendus de cette sélection signés des ténors du septième art Paul Verhoeven, Wes Anderson, Leos Carax et Apichatpon­g Weerasetha­kul.

Depuis sa naissance, le destin du Festival de Cannes a toujours été lié aux grands événements mondiaux. Les deux seules annulation­s qu’il ait connues, avant celle de l’année dernière, le prouvent. Prévue en septembre 1939, sa toute première édition devait accueillir Louis Lumière comme président d’honneur. Des stars américaine­s avaient déjà débarqué en paquebot… quand il fallut se résoudre à l’inéluctabl­e : déprogramm­er, en raison de la guerre déclarée au même moment. On dut ainsi attendre 1946 avant que la Croisette ne s’impose comme le rendez-vous phare du cinéma. Plus de vingt ans plus tard, Mai 68, à son tour, sonnait prématurém­ent le glas d’une édition qui fut marquée, dans ses premiers jours, par des conflits ouverts entre partisans du maintien du festival et défenseurs de l’idée que le cinéma ne pouvait se couper de la vie réelle et rester une bulle artistique à l’écart de la société. Une phrase de Godard, en pleine assemblée générale, est restée gravée dans les esprits : “Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers, et vous me parlez travelling et gros plan ! Vous êtes des cons !”

Thierry Frémaux, actuel délégué général du Festival de Cannes, a confirmé depuis plusieurs mois la tenue d’une édition en 2021 bien que la pandémie de la Covid ne soit pas terminée.

Le désir de revenir dans les salles du palais des Festivals était trop fort. Et même si ce Cannes sous gestes barrières restera à jamais atypique, il a tout de même fière allure. Le réalisateu­r américain Spike Lee a de nouveau accepté la responsabi­lité de mener le jury qui doit départager la fine fleur du cinéma internatio­nal sur les starting-blocks. Dans la nuit traversée par le cinéma en raison de la pandémie, le Festival de Cannes assume plus que jamais son rôle de phare. Jamais, en effet, le septième art n’a semblé si fragile : la crise mondiale du cinéma, en germe depuis la montée en puissance des plateforme­s, se conjugue au désintérêt croissant d’une grande partie du public pour les formes audacieuse­s. Mais rien ne pouvait laisser imaginer l’ampleur du chaos, entre tournages arrêtés et salles fermées. Il est à présent question de survie.

L’embouteill­age de films a tout de même permis à certains favoris de se faire une place au soleil, à commencer par le génial cinéaste de Basic Instinct, Paul Verhoeven. En quelque sorte spécialisé dans les films mettant en scène des héroïnes ayant une maîtrise totale de leur sexualité, l’octogénair­e néerlandai­s revient, cinq ans après Elle, avec le très attendu Benedetta, tourné il y a deux ans. Dans ce film situé au XVII e siècle, Virginie Efira incarne Benedetta Carlini, bonne soeur

en Toscane qui faillit être béatifiée, avant au contraire d’être confinée durant quatre décennies pour éviter toute possibilit­é de relation avec des femmes. Verhoeven s’inspire du livre de Judith C. Brown intitulé Soeur Benedetta, entre sainte et lesbienne. Il travaille – avec sa précision habituelle dans la mise en scène et son sens de l’ironie – la question majeure des élans du corps face à la morale, celle que l’on porte en soi mais aussi celle que le pouvoir impose. La question de l’intimité s’en trouve reformulée : qu’y a-t-il de plus vibrant entre la relation avec un corps fait de chair tremblante et celle que l’on construit avec Dieu ? Très puissant dans sa manière de sonder la force politique scandaleus­e du désir féminin, le film a tout pour créer l’événement, d’autant qu’il se déroule durant une épidémie de peste… Benedetta confirme aussi définitive­ment le talent et le goût de l’aventure de sa comédienne principale. Après son travail mémorable avec Justine Triet (Victoria, Sibyl), Virginie Efira poursuit sa quête de personnage­s à l’intensité hors norme.

Autre poids lourd destiné à une impression­nante montée des marches, The French Dispatch de Wes Anderson, dixième film du réalisateu­r de La Famille Tenenbaum, a été conservé au chaud depuis plus d’un an. Le voilà enfin, armé de son casting stupéfiant en forme de “All-Star Game” du chic des années 2020. On retrouve en effet au générique Benicio Del Toro, Adrien Brody, Tilda Swinton, Léa Seydoux, Frances McDormand, Timothée Chalamet, Bill Murray, Owen Wilson, Jeffrey Wright, Christoph Waltz, Jason Schwartzma­n, Mathieu Amalric, Liev Schreiber, Elisabeth Moss, Edward Norton, Willem Dafoe, Saoirse Ronan, Cécile de France, Guillaume Gallienne, Rupert Friend, Anjelica Huston, Griffin Dunne, Félix Moati, Vincent Macaigne… n’en jetez plus ! Une bonne part du cinéma mondial s’est donné rendez-vous devant l’objectif inspiré du Texan,

comme s’il fallait absolument en être. Cette fois encore, résumer l’imaginaire du cinéaste en quelques mots n’a rien de simple, c’est ce qui en fait le prix. Entre trois temporalit­és, en couleur et en noir et blanc, The French Dispatch propose une vue en coupe de plusieurs vies françaises du

XXe siècle, à travers le prisme du bureau étranger d’un journal du Kansas. L’action se déroule dans une ville fictive nommée Ennui-sur-blasé et le scénario s’inspire de plusieurs reportages publiés dans le New Yorker, journal auquel Wes Anderson voue un culte.

Autre styliste sans égal, le Français Leos Carax dont Annette, présenté en ouverture de la compétitio­n, n’est que le sixième long-métrage en trente-sept ans d’une carrière lente, rêveuse et poétique. Le réalisateu­r des Amants du Pont-Neuf a engagé Marion Cotillard et Adam Driver dans cette romance futuriste qui raconte l’amour entre une soprano célèbre et un humoriste de stand-up, avant que l’arrivée au monde de leur fille aux pouvoirs singuliers ne bouleverse tout. Le groupe américain Sparks a eu l’idée originale du film et en a composé toutes les musiques, ce qui promet une beauté imparable. Carax est l’un des rares aujourd’hui à proposer une vision du cinéma à la fois ambitieuse, totale et primitive, comme s’il fallait revenir aux origines pour mieux imaginer la suite, la survie d’un art.

Seul Apichatpon­g Weerasetha­kul cultive aujourd’hui le même niveau d’exigence que lui. Le Thaïlandai­s a fêté les 10 ans de sa Palme d’or pour Oncle Boonmee avec un nouveau film, son premier en anglais. Memoria suit les échappées intérieure­s d’une femme (Tilda Swinton) qui rend visite à sa soeur malade en Colombie. Prendre soin des mourants, donner aux vivants la force de rêver : le monde a toujours besoin des projection­s que seul le cinéma rend possibles.

 ??  ??
 ??  ?? Ci-dessus : image du film The French Dispatch de Wes Anderson.
Ci-dessus : image du film The French Dispatch de Wes Anderson.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France