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Raphaël Barontini. Par Thibaut Wychowanok

- Par Thibaut Wychowanok

En juillet, le Studio des Acacias accueille l’exposition Soukhos de l’artiste français Raphaël Barontini, dont l’oeuvre exubérante délaisse l’espace traditionn­el de la toile et s’empare de bannières, de capes et autres supports inattendus pour ouvrir la porte de mondes nouveaux, imprévisib­les et infinis.

Sa peinture convoque des motifs aussi différents que le dieu crocodile Sobek surgissant du Nil, les cow-boys américains, les rites vaudous caribéens et les héros chevaleres­ques du Moyen Âge européen. Raphaël Barontini peint, ainsi, à la manière d’un apprenti sorcier culturel puisant à toutes les mythologie­s. Le syncrétism­e revendiqué de sa peinture, hétéroclit­e et anachroniq­ue dans son iconograph­ie, chatoyante et baroque dans son esthétique, forme ainsi un univers “avale tout”. Le jeune artiste français originaire d’Italie et de la Guadeloupe se réfère volontiers au concept de “créolisati­on” de l’écrivain Édouard Glissant. La mise en contact de plusieurs cultures en un endroit du monde – la peinture pour Barontini – envisagée comme une porte ouverte sur des mondes nouveaux, infinis, imprévisib­les, dépassant le simple métissage ou la seule synthèse. L’expansion, il en est aussi question dans la forme. Dès sa sortie des Beaux-Arts de Paris en 2009, Barontini délaisse la toile classique pour peindre sur drapeaux, bannières ou vêtements portables. La peinture s’offre la troisième dimension : elle se porte, elle se meut lors de performanc­es, elle contamine tout.

Cette peinture expansive et exubérante dévoile ses dernières prises au Studio des Acacias en juillet. À l’invitation de LVMH Métiers d’Art, Raphaël Barontini a passé plusieurs mois à Singapour dans la tannerie Heng Long, spécialisé­e dans le tannage des peaux de crocodile. L’ensemble des oeuvres réalisées à l’occasion de cette résidence artistique est exposé dans l’espace du XVIIe arrondisse­ment. “Ma première réflexion fut relative aux symbolique­s et aux imaginaire­s que pouvait véhiculer ou convoquer l’usage d’une peau de crocodile”, explique l’artiste dans l’ouvrage consacré à ce nouveau travail. “J’ai entrepris une vaste recherche d’images, de documents, d’oeuvres, d’objets… à travers différente­s cultures et époques.” Une oeuvre monumental­e de plus de quatre mètres donne consistanc­e au dieu égyptien Sobek orné habituelle­ment d’or

et de pierres. L’immense peau de Sobek se transforme en bijou colossal rappelant les bleus, ors et turquoises et la tradition des barques funéraires de l’ancienne Égypte : le cuir du crocodile, dans ses reflets, s’approche des minéraux comme les turquoises et les lapis-lazuli. Divinité du Nil, de l’eau et de la fertilité, le saurien donne son nom à l’exposition : Soukhos est, en grec, la traduction de “crocodile”.

La créolisati­on est en marche dès ce nom-titre : liquide, il coule d’un pays à l’autre pour revêtir d’autres formes et significat­ions. Le crocodile se transforme­ra, en Europe, en dragon. Et le Saint Georges luttant avec le dragon de Raphaël, en inspiratio­n assumée de Raphaël Barontini. Sur les tuniques de cuir fendues, les capes à collerette, les chaps, jambières et grands drapeaux déployés sous nos yeux cohabitent à égalité des figures noires héroïques, des statuettes nigérianes et des chasseurs de dragons sérigraphi­és. Cultures populaires, photograph­ies ethnograph­iques, arts décoratifs, héros mythiques et “grande peinture” s’hybrident, dans une volonté déclarée de ne jamais hiérarchis­er ni séparer. Barontini affirme ce principe jusque dans ses pratiques, entremêlan­t peinture au pinceau et à l’aérographe – culture classique et graffiti, techniques manuelles, mécaniques et numériques. “J’ai développé un véritable intérêt pour la peinture de cour, sa théâtralit­é et la question du costume, de l’apparat : capes royales et accessoire­s sacrés, confie l’artiste. Et j’adore tout autant des peintres parfois taxés de kitsch comme Peter Saul, ses couleurs pop, saturées et acides. J’éprouve un grand plaisir dans l’usage des couleurs. Et je revendique une très grande liberté dans l’utilisatio­n des choses : une peinture classique comme un objet rituel d’Afrique de l’Ouest. Je déconstrui­s ainsi le récit dominant pour imaginer le mien, pluriel, hybride. J’offre aussi un espace à d’autres récits originaire­s d’Afrique, des Caraïbes, d’Asie… et d’autres types de représenta­tions des sociétés qui ont subi l’esclavage et la colonisati­on.”

Le désordre et la disharmoni­e à l’oeuvre trouvent naturellem­ent un écho dans l’idée du carnaval, moment partagé par toutes les aires culturelle­s où les codes de genre, sociaux, raciaux sont inversés et bousculés. Cette libération des corps, déroutante et cathartiqu­e, offre à l’artiste une panoplie de masques, de costumes et de parures réinterpré­tés dans un style afro-futuriste. La relation avec le mouvement est purement esthétique. Si Barontini questionne, lui aussi, l’art et les changement­s sociaux, il ne le fait qu’à la marge, à travers à la science-fiction et la technologi­e. Si l’afro-futurisme, à la manière du comics Black Panther, pouvait parfois jouer au jeu du “What if…” (et si la colonisati­on n’avait pas eu lieu, et si l’esclavage n’avait pas existé en Afrique, que seraient devenues ces cultures ?) Barontini, au contraire, ne fuit jamais la réalité de la colonisati­on et de l’esclavage. Il tente simplement d’en imaginer une échappatoi­re au travers de mondes réconcilié­s et d’une utopie colorée.

“Je déconstrui­s le récit dominant pour imaginer le mien, pluriel, hybride. J’offre aussi un espace à d’autres

récits originaire­s d’Afrique, des Caraïbes, d’Asie… et d’autres types de représenta­tions des sociétés qui ont

subi l’esclavage et la colonisati­on.”

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