Le Sahara vu par le photographe Ismail Zaidy
L’exposition Hotel Sahara convie dix artistes originaires des rives nord et sud de ce vaste désert à évoquer le fantasme qu’inspire depuis toujours cette immensité mystérieuse. Une invitation à la solitude et à la méditation.
Le Sahara est, depuis les premières périodes coloniales, une source inépuisable de fantasmes. Le grand désert se déploie dans les imaginaires comme autant de vues de cartes postales plus attrayantes les unes que les autres. À l’infinité magnétique des dunes succèdent la beauté d’un caravansérail ou encore un lieu magique de solitude et de méditation. Mais, comme nous le rappelle Maïa Hawad, doctorante en philosophie politique spécialiste du sujet : “La majorité des imaginaires et des récits concernant le Sahara ont été produits à l’extérieur de celui-ci. D’abord en Europe, avec les premiers explorateurs, puis les administrateurs coloniaux, les linguistes et les ethnologues. L’Empire français a ainsi présenté le Sahara comme un eldorado à conquérir dont il fallait s’accaparer les routes, mais peuplé de pillards et de barbares nomades. Il s’agissait de justifier la conquête coloniale. Puis le Sahara a été décrit comme un territoire vide parce qu’en réalité occupé par des populations de tradition nomade dont on ne comprenait pas les modes d’habitation communautaire de l’espace.” L’imaginaire lié à un Sahara composé de dunes, donc vide, a perduré jusqu’à aujourd’hui, alors qu’elles ne représentent que 20 % de son territoire.
Hotel Sahara, l’exposition réalisée par les directeurs artistiques des Magasins généraux Anna Labouze et Keimis Henni (en collaboration avec Maïa Hawad) a pour ambition cet été de questionner l’ensemble de ces représentations et fantasmes. En février 2020, dix artistes émergents, originaires des rives nord et sud du Sahara, ont participé à une résidence d’une semaine aux portes du désert, dans la région de M’Hamid el-Ghizlane, au sud-est du Maroc. C’est au cours de ce séjour qu’ils ont imaginé l’exposition présentée aux Magasins généraux du 12 juin au 24 octobre. “Ce sont des artistes voisins du Sahara, souligne Maïa Hawad, et non pas originaires du Sahara, car il faut se rappeler que sur place il n’y a pas d’institutions permettant l’émergence d’artistes contemporains comme on l’entend en Occident. Les peuples du Sahara, comme les Touaregs et les Toubous, ont connu une longue histoire de marginalisation et de mise en périphérie. Les habitants bénéficient difficilement des institutions de base comme l’éducation. Il existe des virtuoses et des érudits, mais peu de chercheurs et pas d’artistes contemporains. En l’absence de structures, ils n’ont pas accès aux réseaux d’expression mondialisés et ne peuvent pas construire leur propre récit sur le Sahara face aux narrations venues de l’extérieur.”
L’exposition, qui réunit différentes pratiques – peinture, photographie, danse, vidéo, design, sculpture… –, invite les artistes à engager une réflexion sur leur distance personnelle avec le Sahara, qui fait pourtant partie de leur pays, et sur les représentations et les fantasmes qui perdurent. Le Marocain Ismail Zaidy (né en 1997) présente deux nouvelles séries de photographies. La première présente des mises en scène réalisées lors de la résidence, en collaboration avec les artistes Hanin Tarek, Hiba Elgizouli et Salim Bayri, qui mettent en lumière leur amitié naissante. La seconde série d’images s’intéresse, selon les commissaires Anna Labouze et Keimis Henni, “à l’atmosphère des environs de la résidence – caravansérail touristique, désert de dunes, paysage de l’exotisme. À travers son regard et sa sensibilité, Ismail Zaidy tente d’interroger et de rejouer les images filtrées aux couleurs saturées du désert qu’il trouve en abondance sur Instagram”. Le jeune artiste prend ainsi acte d’une réalité : la voie d’accès la plus facile aujourd’hui au Sahara est touristique. Une grande partie du territoire saharien étant interdite aux touristes parce que soumise au trafic de drogue, au djihadisme globalisé et à un intense flux de migrations internes à l’Afrique, seules ses bordures et ses structures touristiques permettent de le toucher du doigt, en se confrontant à nouveau aux clichés les plus éculés. Ismail Zaidy les fait siens, et tente de les épuiser jusqu’à les déréaliser.