FARIDA KHELFA PORTRAITS DE FEMMES
Grande figure de la mode, Farida Khelfa passe volontiers derrière la caméra pour parler de sujets qui lui tiennent à coeur. Elle vient de tourner un documentaire consacré à treize femmes artistes au Moyen-Orient, dont elle dresse un portrait délicat et émouvant… à rebours des préjugés.
La dernière fois que Farida Khelfa saisissait une caméra, c’était à l’occasion de la campagne présidentielle de 2012. Après avoir suivi le candidat Nicolas Sarkozy et sa brillante épouse Carla Bruni – dont elle est une amie proche –, la réalisatrice signait Campagne intime, un portrait intimiste et sensible révélant une nouvelle facette de l’ancien président de la République, entre personne publique et personne privée. C’est mue par une même quête de vérité que Farida Khelfa présente, cette année, De l’autre côté du voile, un documentaire émouvant de quarantecinq minutes qui, à travers treize portraits, renverse les préjugés sur les femmes artistes au MoyenOrient. “Je voulais combattre les clichés, confirme Farida Khelfa avec force. Le monde est plus compliqué et subtil que l’on ne croit. Il ne faut pas s’arrêter aux vêtements.” Le vêtement dont il est justement question dans son documentaire est le voile, porté ou pas par les musulmanes (appelé “hidjab” lorsqu’il laisse le visage apparent et “niqab” quand il couvre intégralement le visage à l’exception des yeux), objet de polémiques ininterrompues qui polarisent les débats
– et stigmatisent les femmes –, dans les sociétés occidentales comme orientales.
Pour Farida Khelfa, le déclic a lieu en 2016, quand Franca Sozzani, alors rédactrice en chef du magazine Vogue Italia, l’invite à participer au jury d’un concours de mode en Arabie saoudite. Elle se retrouve alors face à une nouvelle génération de créatrices de mode dont la technique et la créativité n’ont rien à envier à leurs homologues occidentales. Une impression qui sera confortée lorsqu’elle assistera un peu plus tard à la Fashion Week de Dubai. Farida Khelfa donne ainsi la parole à la créatrice qatarie Wadha Al Hajri qui imagine, depuis onze ans, des pièces aux lignes épurées, dont les détails et les motifs s’inspirent de l’architecture et de l’art musulmans, fabriquées en Italie dans des tissus luxueux.
Rapidement, la réalisatrice souhaite étendre son projet au-delà de la mode. Sa rencontre avec Amal Al Harbi sera déterminante. Non seulement l’écrivaine saoudienne évoque, avec une sincérité rare, ses anciennes addictions et sa bipolarité, mais elle l’introduit dans son cercle d’amies artistes. Autre témoignage d’une grande intensité, celui de Ghada Al Rabea. Cette artiste intégralement voilée, soutenue par son mari, propose des tableaux pop et kitsch qui réinterprètent des oeuvres de grands maîtres comme La Création d’Adam de Michel-Ange ou Le Baiser de Klimt avec des emballages de bonbons. Une carrière à mille lieues du cliché de la femme soumise qu’on a coutume de présenter sous son voile.
C’est justement là toute la puissance du documentaire de Farida Khelfa : montrer des femmes qui ont très souvent bénéficié d’un haut niveau d’éducation et participent activement à faire changer les mentalités sur les musulmanes, non seulement dans leurs pays respectifs mais également à travers le monde. “Réaliser ce documentaire m’a beaucoup appris sur les femmes orientales. Bien que leur modèle soit totalement différent de celui des femmes occidentales, elles ont les mêmes aspirations et les mêmes perspectives. Je pense qu’elles vont prendre le pouvoir dans cette région. Savoir que les choses bougent m’a apporté un grand soulagement”, confie Farida Khelfa.