Numero

L’ALCHIMISTE

- Propos recueillis par Delphine Roche

Des fragrances aux flacons, la maison Kilian Paris développe à travers ses créations originales tout un imaginaire nourri de souvenirs, de rêve et de séduction. Rencontre avec son talentueux fondateur, Kilian Hennessy.

NUMÉRO : Est-il compliqué de parler d’un parfum ?

KILIAN HENNESSY : Très ! Pour décrire un parfum, on liste généraleme­nt ses ingrédient­s, mais cela n’a pas vraiment de sens. Lors de mes études au Celsa et à l’école Cinquième Sens, je me suis justement penché sur cette question : comment communique­r sur un sens pour lequel il n’y a pas de langage signifiant commun entre les individus ? Le langage olfactif regroupe quelque 3 000 notes aux noms obscurs pour les non-spécialist­es.

Good girl gone Bad, Love, don’t be shy ou encore Moonlight in Heaven… vos créations évoquent un imaginaire plutôt que des notes précises. Pourquoi avez-vous fait ce choix ? Quand je travaille avec un parfumeur, j’ai besoin d’avoir une idée claire de l’émotion que je veux véhiculer, et celle-ci est aussi suscitée par le nom. Il n’y a pas de grand parfum sans grande histoire. Good girl gone Bad aurait pu s’appeler “Tubéreuse Sensuelle”, mais ça n’aurait pas été le même récit. Chaque pièce du puzzle est importante : Il y a une trilogie nom, flacon, parfum.

Pour amplifier la magie du parfum, vous avez aussi eu l’idée d’en imprégner des rouges à lèvres, qui font aujourd’hui fureur.

L’idée est venue de la demande de clientes qui souhaitaie­nt une nouvelle arme de séduction. Or, pour moi, la séduction passe par les yeux, la bouche et le parfum. Nous avons donc développé des rouges à lèvres, et devant leur succès, nous lançons nos six teintes bestseller­s dans une version liquide ultra mate. Nous les rendrons rechargeab­les dans un futur proche, car le luxe ne devrait pas être jetable. Nous avons beaucoup avancé sur la voie de l’écorespons­abilité. Nos parfums sont ressourçab­les et nous travaillon­s sur tous les fronts. Ainsi, les nouvelles recharges de notre collection The Liquors ne seront plus laquées de noir car cela empêchait leur recyclage. De plus, les composants de cette collection de parfums sont tous fabriqués en Europe, et ne seront plus acheminés par avion, mais par camion.

Vous lancez aujourd’hui un nouveau parfum dans la famille olfactive The Liquors, pouvezvous nous en dire davantage ?

“L’heure verte” désignait l’apéritif de fin de journée, vers 18 heures, à l’époque du rituel de l’absinthe. À la fin du XIXe siècle, on dégustait cette liqueur verte en la laissant lentement imprégner un morceau de sucre. J’ai donc élaboré un parfum à base d’absinthe que j’ai habillé de feuilles de violette et de patchouli. Son vert intense provient de la chlorophyl­le qui change de couleur au contact de l’air. Elle évolue, avec le temps, du vert au jaune, puis au marron. J’aurais pu la modifier, mais j’ai décidé qu’on resterait avec la couleur de la nature. J’accompagne ce parfum d’une petite note expliquant à la personne qui vient de l’acheter que la teinte du jus va évoluer, sans que cela ait aucune incidence olfactive. Avec son flacon facetté évoquant un verre à liqueur, L’Heure verte vient rejoindre mes créations inspirées par des alcools. Parmi celles-ci, Angels’ Share, sorti en 2020, évoque la petite part de cognac qui s’évapore des fûts, comme une offrande aux dieux et aux anges – un souvenir personnel de mon enfance, qui m’est bien sûr très cher.

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