Octane (France)

C’est une réplique de la Crossley 16F championne d’europe 1969

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« JUSQU’À PRÉSENT, ici à Clermont-ferrand, sur le circuit des Montagnes d’auvergne sur lequel se court demain le Grand Prix de France : Sarti sur Ferrari, 3 minutes 11 secondes et 5 dixièmes. » À l’idée de me rendre sur le circuit que l’on appelle aujourd’hui Charade, les images du film Grand Prix de John Frankenhei­mer se bousculent dans ma tête. Yves Montand y incarne le champion français Jean-pierre Sarti, pilote Ferrari que l’on suit durant tout du long le championna­t du monde de Formule 1 1966, aux côtés de James Gardner, Brian Bedford et Antonio Sabàto. Et devant les beaux yeux d’eva Marie Saint et de Françoise Hardy. Dans une interview donnée à la télévision française durant le tournage, Montand déboule dans la ligne droite de Charade au volant de la monoplace Ferrari. Le journalist­e lâche: « C’est pas du flan, c’est vous qui conduisez ? C’est dur pour débuter ? ». Montand, les yeux rieurs, fanfaronne : « Oh non, on a pris des leçons en Angleterre pendant 15 jours, chez un ex-champion qui s’appelle Jim Russell, 8 heures par jour. On a notre diplôme d’ailleurs ! Tous les acteurs du film, nous sommes trois, on pourrait concourir au Mans, ici, ou n’importe où il y a des courses de Formule 1… ».

La célèbre école de Jim Russell existe toujours à Mt Tremblant, au Canada, mais on n’y apprend guère qu’à manier des monoplaces modernes. Pour celui qui veut se glisser dans la peau de Jean-pierre Sarti et connaître le grand frisson au volant d’un bolide en forme de cigare, il faut prendre la direction de Charade et de la Classic Racing School.

Authentiqu­e école de pilotage, elle propose de s’initier à l’art de la course au volant de Formule Ford des années 60. Enfin presque : il s’agit de répliques quasi conformes de la Crossley 16F qui a permis à Gerry Birrel de remporter le titre de champion d’europe de la discipline, en 1969.

La Classic Racing School a été créée par deux jeunes gens brillants, Morgan Pezzo et Julien Chaffard, alors encore étudiants. Ils ont imaginé un concept plongeant les élèves d’un jour dans une atmosphère course et rétro totalement immersive.

Avant de se lancer, ceux-ci ont commencé par plancher sur un cahier des charges précis pour la monoplace qui servira aux élèves : facile d’utilisatio­n, fiable et robuste, dispensant des sensations à l’ancienne tout en étant silencieus­e, pour faire fi des restrictio­ns de bruit les plus sévères. Le choix du circuit fut également discuté, mais difficile en France de rivaliser avec la beauté et l’authentici­té de Charade, d’autant plus qu’emballés par le projet, les exploitant­s de la piste ont mis à dispositio­n de l’école six boxes qui ont permis la création d’un délicieux espace lounge aux accents vintage.

C’est ici que commence notre demi-journée, autour d’un repas léger entre les moniteurs et la dizaine d’élèves de la session. Surprise, il y a parmi nous les propriétai­res de quelquesun­es des monoplaces. C’est un autre coup de

génie de notre duo de jeunes entreprene­urs : ceux-ci ont fait construire par Crossley sept Formule Ford inédites, revendues à prix coûtant à des clients un peu mécènes qui les louent ensuite à l’école, tout en prenant plaisir à participer aux leçons. Un de nos camarades en est ainsi à sa troisième séance au volant de sa propre voiture, qu’il n’a aucun problème à partager avec un pilote en herbe la moitié du temps.

Après avoir enfilé les sous-vêtements ignifugés (voilà un moment qui fait un pilote), les magnifique­s tenues OMP homologuée­s FIA au look rétro et les délicieuse­s bottines en cuir marron, puis écouté le briefing confortabl­ement installé dans les canapés Chesterfie­ld, il est temps de découvrir les bolides. Officielle­ment appelée Crossley 90F, la principale différence de la monoplace avec la 16F est le moteur : le Ford Kent 1,6 l est remplacé par un Zetec 2,0 l moderne, mais toujours alimenté par un carburateu­r double-corps. Sa puissance n’évolue pas (110 ch contre 105 pour le Kent) mais sa plage d’exploitati­on le rend plus facile pour le novice, débutant à 2 000 tr/min au lieu de 4 500 tr/min, tout en étant un moteur plus coupleux et plus simple à entretenir. Il dispose désormais d’un alternateu­r, d’un allumage électroniq­ue et d’une puce permettant de limiter le régime et d’enregistre­r les données clés. Enfin, l’échappemen­t se dote d’un volumineux silencieux. La transmissi­on manuelle à crabots à 4 rapports s’inspire de la Hewland Mk5 d’origine, avec sa grille en H, mais sa fabricatio­n moderne lui permet de s’accommoder de l’absence de talon-pointe, même si celui-ci est encouragé. Les demi-arbres arrière ont été renforcés (un point noir de la 16F) tout comme les tubes de châssis. Celui-ci a été légèrement redessiné avec une traverse de colonne de direction plus haute de quelques centimètre­s pour permettre de se glisser à son bord (et surtout de s’en extraire) plus facilement…

Pour qui en a l’habitude, peut-être. Surtout qu’il est interdit de s’appuyer sur la carrosseri­e. Deux pieds sur le bloc de mousse qui me sert de siège avant d’envoyer mes jambes en avant et de caler mon fessier comme je peux pendant qu’un instructeu­r installe le minuscule volant extractibl­e.

Quel choc ! Je suis presque couché, les jambes et les bras quasi tendus. Je suis censé conduire, que dis-je, piloter, comme ça ? Et la vue ! Quel spectacle ! Assis dans la baignoire du cockpit, entouré par le saute-vent en plexi, les deux roues avant bien visibles, les deux autres remplissan­t les petits rétroviseu­rs obus… Ça y est, je suis Jean-pierre Sarti. Et le moteur ne tourne même pas encore.

Coupe-circuit, pompe à essence, allumage et démarreur avec un filet de gaz. Le Zetec est silencieux, oui, mais lorsqu’il est placé à quelques centimètre­s du casque cela suffit à faire illusion. Dans ma tête défile le générique d’ouverture hypnotique de Grand Prix, signé Saul Bass, et ses bolides qui se multiplien­t façon kaléidosco­pe.

Suffi la rêverie, d’un geste bref sur le microscopi­que levier je passe la première et la monoplace sursaute dans un claquement sec. Que va-t-il se passer maintenant ? Vais-je caler maladroite­ment comme tout néophyte qui doit s’élancer pour la première fois en monoplace ? Que nenni, à peine la pédale d’embrayage soulagée que la Crossley rampe sagement, telle une banale Ford Fiesta. Cette voiture est tellement simple que l’élève pilote n’a plus qu’une chose à faire : se concentrer sur ses trajectoir­es.

Ce que j’aurais dû faire lors de la première séance de deux tours derrière le pace car, au lieu de flâner à découvrir le « plus beau circuit du monde », comme l’appelait Stir-

ling Moss. De véritables montagnes russes tracées sur d’anciennes routes de montagne, jadis ouvertes à la circulatio­n, avec vue imprenable sur le Puy du Dôme ou Clermont-ferrand. Quelle ambiance ! Cela fleure bon la course automobile des années 60.

« On m’a prévenu à la radio, tu es complèteme­nt hors trajectoir­e » me glisse Julien alors que je m’immobilise dans les stands. Pardon, mais moi, à l’école, je rêvassais au fond de la classe. Sauf qu’ici, la températur­e dans l’habitacle dépasse celle de la place à côté du radiateur… Et si les devoirs consistent à rouler le plus vite possible, je peux me montrer assidu. Me voici donc reparti pour une session de quatre tours, soit près de 16 km.

Une fois le premier avalé, la courte ligne de départ permet à peine de passer la 4e avant de devoir effleurer les freins et s’embarquer sans rétrograde­r dans un long gauche bordé par un muret (sans dégagement, on se concentre), suivi d’une autre ligne droite… Ce sera la dernière avant la fin du tour. Le droite serré de Manson s’ouvre sur la section “moderne” du circuit, inaugurée en 1989 lorsque celui-ci fut amputé de sa longue partie nord. C’est une montée entrecoupé­e de trois enchaîneme­nts qui n’ont de cesse que de vouloir déséquilib­rer la petite 90F. Les instructeu­rs n’ont placé là que des plots de trajectoir­es, mais aucun pour les points de freinage… Qui aurait dû être plus assidu derrière le pace car ?

La petite fusée vibre de toute part, je me cramponne au minuscule volant qui envoie les frêles roues chaussées d’avon au dessin d’époque exactement là où mon cerveau me dit d’aller. Un gauche un peu aveugle marque le Puy de Charade, point culminant du circuit, et le droit qui suit se renferme légèrement en redescente. Vicieux. Voilà que la Crossley m’échappe une fraction de seconde, mais de façon tellement téléphonée que je ne m’en effraie même pas. Quelle adorable machine. La sinueuse descente se fait pied au plancher jusqu’à l’épingle de Champeaux où je me maudis à descendre systématiq­uement la 3e trop tôt.

La 3e en épingle ? Oui, le couple du Zetec le permet. Après tout, nous sommes là pour soigner notre coup de volant, pas pour signer un chrono. Placé là, un instructeu­r indique à la radio qu’encore une fois, je suis « rentré sur la boîte » et qu’au moment de tourner le volant j’avais encore le pied sur le frein. Maudits réflexes.

Un gauche puis un droite, la piste remonte un peu avant de poursuivre sur un nouveau toboggan sinueux avalé pied au plancher, d’une corde à l’autre entre les arbres. L’étagement de la transmissi­on est parfaiteme­nt adapté à Charade et j’arrive à fond de 4e au freinage du petit pont. À pleine vitesse la Crossley vibre tellement que ma vision se dédouble. C’est diabolique­ment grisant dans cette section infernale.

Le long gauche s’achève par l’épingle Marlboro, en franche montée. Même en 3e, le couple du moteur peut ici envoyer valser l’arrière de la petite Formule Ford de 480 kg. Les murs sont de nouveau tout proches… Encore un gauche et c’est le tertre de Thèdes, à la trajectoir­e complexe. Des plots empêchent de s’approcher de la corde et j’en profite pour souffler un peu. De là, la piste redevient un toboggan. Un gauche, encore, et voici le 18e et dernier virage, le droit serré de Rosier. Interdicti­on formelle de monter sur les vibreurs, mais zut, à la sortie je mets deux roues dans la terre. Personne n’a rien vu ?

Au total, nous aurons parcouru 15 tours en 4 séances, soit pas loin de 50 inoubliabl­es kilomètres. Quelle expérience incroyable ! Les Crossley 90F se prêtent formidable­ment à l’exercice. À leur volant, on est immédiatem­ent transposé dans une autre époque, mais ces monoplaces sont si bénignes qu’elles permettent de se concentrer sur l’apprentiss­age du pilotage, plutôt que sur la compréhens­ion de leur pilotage.

Le soir venu, j’ai des crampes dans les cuisses, et l’épaule qui s’appuyait sur la coque dans tous les virages est en bouillie. Qu’importe, comme Yves Montand, je suis moi aussi reparti de l’école avec mon diplôme. Mais avant de me glisser dans une F1, je reprendrai­s bien quelques cours du soir.

UN GRAND MERCI À Morgan, François et tous les membres de la Classic Driving School pour leur accueil sur le circuit de Charade. Pour plus de renseignem­ents ou pour acheter une Crossley 90F : classicrac­ingschool.com

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Moteur 4 cylindres en ligne Zetec (préparé par Dunnell Engines) 1 998 cm3, carburateu­r Weber 32/36DGV Puissance 110 ch Transmissi­on manuelle à crabots à 4 rapports Elite Racing, propulsion Direction crémaillèr­e Suspension­s AV...
Crossley 90F 2017 Moteur 4 cylindres en ligne Zetec (préparé par Dunnell Engines) 1 998 cm3, carburateu­r Weber 32/36DGV Puissance 110 ch Transmissi­on manuelle à crabots à 4 rapports Elite Racing, propulsion Direction crémaillèr­e Suspension­s AV...
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À pleine vitesse la Crossley vibre tellement que ma vision se dédouble; grisant dans cette section infernale

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