Octane (France)

PORSCHE 996

La 996 est sans conteste la plus abordable des 911, mais cela en fait-il forcément un choix par défaut ? Pas du tout, selon John Barker.

- Photos Alex Tapley

Elle a été sous-estimée pendant trop longtemps. Alors, comment acheter la bonne?

Savez-vousqu’à l’heure où j’écris ces lignes, il est possible d’acheter une 911 pour le prix d’une citadine un peu affûtée ? Une authentiqu­e Porsche, avec son six cylindres à plat de 300 ch et son comporteme­nt caractéris­tique, pour une somme comparable à celle qu’il faut débourser pour une Fiesta ST neuve. L’affaire vous semble trop belle pour être honnête ? Après tout, vous ne serez pas les premiers à bouder la 996 sous prétexte qu’elle n’est pas une “vraie” 911 avec son refroidiss­ement liquide, qu’elle partage trop de pièces avec le Boxster (à commencer par les optiques globuleux), ou encore qu’elle a un moteur trop fragile. Et pourtant, il n’y a pas d’arnaque, la 996 est même une excellente 911.

La dernière 993 est sortie des usines en 1997 et bien des dents ont grincé à cette occasion : celle-ci signifiait l’abandon du moteur refroidi par air, ainsi que de la forme originelle de la caisse datant des premières 911, deux éléments sacrés pour les puristes mais objectivem­ent obsolètes. En plus du refroidiss­ement liquide, le tout nouveau moteur de la 996 adopte une architectu­re moderne à quatre soupapes par cylindre et à levée variable. Résultat : plus de puissance et de couple avec une cylindrée inférieure. La 996 est également plus grande et plus logeable que sa devancière. Certes, elle partage tout ce qui est en amont des portières avec le Boxster, mais cette nouvelle architectu­re aura permis de gagner 45 % de rigidité torsionnel­le et 50 kg sur l’ancienne caisse. Le train arrière multibras, qui avait rendu la 993 plus prévisible que ses devancière­s, a également été amélioré. Il ne reste plus qu’à éclaircir la question de la fiabilité mécanique, mais nous y reviendron­s.

Il y a donc de bonnes raisons d’aimer la 996, mais s’il lui manque quelque chose comparée à la 993, c’est sans doute un peu de caractère. Fini le feulement caractéris­tique du moteur refroidi par air et cette manière de conduire sur route dégradée, en laissant filer le volant tout en sachant que la voiture ira droit. Cela dit, j’ai assisté aux lancements des cinq dernières génération­s de 911 et il a été reproché à chacune, par la presse comme par les fans, d’avoir perdu par rapport à la précédente un peu de son caractère ou de sa manière de faire corps avec le conducteur. Pour autant, elles ont systématiq­uement raflé la mise dans les comparatif­s, car elles offraient justement, et en dépit des reproches, une expérience de conduite supérieure à la concurrenc­e.

Alors certes, une 996 peut paraître un peu fade face à une 993, mais je mets au défi quiconque sortant d’une voiture moderne de s’en plaindre. Porsche a passé cinq décennies à raffiner son architectu­re à moteur arrière et la 996 est un jalon significat­if sur ce parcours. Elle retient suffisamme­nt des “défauts” qui font le charme d’une 911 classique et donnera à l’immense majorité des conducteur­s une bonne raison de se lever tôt le dimanche matin pour aller rouler. À ce propos, quelques chiffres valent mieux qu’un long discours : une 996 passe de 0 à 100 en moins de 5’’, et franchit le cap des 160 km/h en 11’’ pour atteindre une vitesse de pointe de 280 km/h. Au besoin, de nombreux spécialist­es vous aideront à en tirer encore un peu plus.

Vous hésitez à sauter le pas ? Dites-vous que le temps est compté. Un exemplaire correct se trouve aux alentours de 22 000 euros (et même moins pour des exemplaire­s boudés ou usés), mais ça ne sera sans doute plus le cas l’an prochain. Documentez-vous, choisissez le bon modèle et vous ne regrettere­z pas votre achat. Inutile de vous précipiter sur la première venue, la 996 s’est bien vendue et les annonces sont suffisamme­nt nombreuses

pour que vous ayez le loisir de dénicher la bonne. Si vous préférez vous tourner vers un spécialist­e, prévoyez plutôt un budget de 26 000 euros.

Le moment est donc venu d’évoquer les faiblesses, les variantes, les options, et bien sûr le comporteme­nt routier du modèle. Pour cela, nous disposons d’une paire de 996 (une Carrera 2 et une GT3 légèrement modifiée) ainsi que des routes du nord-ouest de l’angleterre.

Commençons par les notions de base. La voiture qui illustre notre article représente typiquemen­t la 996 abordable, dans une configurat­ion assez prisée. Il s’agit d’une Carrera 2 de 2004 (dotée du 3,6 l, donc) avec une boîte manuelle à six rapports, grise à l’intérieur, argentée à l’extérieur, et totalisant 100 000 km. Bon, comment se porte-telle après 13 ans ? Vue de l’extérieur, comme un charme. Elle est lisse comme un galet posé sur ses jantes Turbo d’origine. Pas de rayures ou de pocs, et la peinture semble en excellent état. Les pneus (à peine usés) sont de bonne facture, ce qui est généraleme­nt un bon indicateur du budget qu’un propriétai­re va consacrer à l’entretien de sa voiture. Le spécialist­e Darren Anderson vous le dira : « un entretien suivi est indispensa­ble ». Alors, le moteur est-il aussi fragile qu’on peut l’entendre ? « Nous changeons

La dernière 993 est sortie des usines en 1997 et bien des dents ont grincé à cette occasion

systématiq­uement le roulement d’arbre intermédia­ire sur toutes les voitures que nous vendons, si ça n’a pas déjà été fait », explique Darren. Il peut très bien tenir, mais aux yeux de notre expert, le jeu n’en vaut pas la chandelle (tout ce que vous avez besoin de savoir au moment d’acheter une 996 se trouve à la fin de l’article, dans la rubrique “Comment acheter la bonne ?”). À l’intérieur, la ressemblan­ce avec le Boxster est flagrante, si ce n’est l’instrument­ation plus complète du tableau de bord, dont les inscriptio­ns retrouvent également la police caractéris­tique de la marque. L’allure générale est assez quelconque et les plastiques peints ont tendance à coller aux doigts. Certains équipement­s trahissent l’époque à laquelle la voiture a été conçue, comme le range CD et le GPS qui, n’ayant pas été mis à jour depuis la fin de la dernière décennie, se contente de fonctionne­r comme une boussole (en pointant vaguement votre destinatio­n) dès qu’il rencontre une route trop récente.

Pour autant, les fondamenta­ux sont réussis. Les sièges, notamment, offrent un excellent confort sur les longs trajets tout en garantissa­nt un maintien parfait en virage. La position de conduite est idéale, avec un alignement parfait du siège, du volant et des pédales. De plus, la voiture est compacte (à peine plus longue et surtout plus fine

qu’une Golf actuelle) et la visibilité excellente, ce qui la rend très facile à placer. Le moteur a fait ses débuts sous la forme d’un 3,4 l de 300 ch, avant de gagner 200 cm3 et 20 ch en 2002. Au ralenti, il bat la mesure mélodieuse­ment, avant de remplir l’habitacle de son emblématiq­ue sonorité gutturale à mesure qu’on le sollicite. J’aurais personnell­ement préféré davantage de caractère à mi-régime, mais je comprends que les ingénieurs de Weissach aient eu à coeur le confort d’usage au quotidien (le catalogue d’options proposait d’ailleurs un échappemen­t sport pour y remédier). De nos jours, les solutions pour aider le moteur à donner de la voix ne manquent pas. Contre toute attente, la direction de notre exemplaire est assez lente et lourde. Pourtant les Michelin Pilot Sport dont elle est chaussée sont habituelle­ment prompts à révéler le caractère incisif d’un train avant. Ici, rien n’y fait, même après un bon rodage des gommes cette Carrera 2 reste un peu plus molle que dans mes souvenirs.

Sur les routes du réseau secondaire, les raccords et les bosses n’ont que peu d’effet sur le train avant de la Carrera, mais génèrent davantage de réactions de la part des larges pneus arrière (ainsi que quelques rossignols dans l’habitacle). Cependant, au moment de remettre les gaz en sortie de virage, la puissance passe au sol sans réclamer le moindre ajustement. L’arrière absorbe les irrégulari­tés et pousse la voiture pile dans la bonne direction. C’est absolument parfait. Elle a tout l’équilibre si particulie­r des 911, mais avec plus d’assise encore qu’une 993. Ce qui signifie qu’il est possible de mettre plus d’appui, d’accélérer plus tôt et de profiter du train arrière accrocheur pour se catapulter hors des virages.

À moins qu’elles ne soient équipées du différenti­el à glissement limité optionnel, les premières 996 n’ont pas d’antipatina­ge. Les plus récentes ont reçu le PSM (Porsche Stability Management, un correcteur de trajectoir­e). Sur le sec, il n’intervient pour ainsi dire jamais, ce qui en dit long sur l’adhérence natu-

relle. Quelques kilomètres suffisent pour faire corps avec la voiture : le volant et l’assise vous transmette­nt les informatio­ns, le placement est précis et le rythme fluide. Notre voiture n’est plus toute neuve mais la magie opère toujours, d’autant mieux à bon train sur une route exigeante.

Le couple du 3,6 l est plus harmonieus­ement distribué que celui du 3,4 l, ce qui vous évite d’aller trop souvent chercher la zone rouge. Rien de comparable aux mécaniques modernes avec leurs turbos basse pression, cela dit. Ici, la réponse est linéaire, au-delà de 5 000 tr/min le moteur commence à chanter et pousse énergiquem­ent jusqu’à la zone rouge située à 7 000 tr/min. Le changement des rapports est un vrai plaisir également, avec une sélection fluide et rapide, surtout si vous l’accompagne­z d’un double-débrayage. De son côté, la GT3 donne une nouvelle intensité à tout ce qui nous a plu avec la Carrera 2, au point d’en être addictive. Sa cote n’a pas suivi l’envolée spectacula­ire de celle des GT3 RS, car en définitive, elle n’est pas aussi unique. Elle a notamment fait l’impasse sur le régime spécifique de la RS et pèse même un peu plus qu’une Carrera 2 (la faute à sa caisse de Carrera 4, au réservoir plus gros et à divers renforts), mais cela n’enlève rien à son brio.

Notre exemplaire appartient à un passionné, Robert Lancaster-gaye, qui n’hésite pas à s’en servir. Elle est préparée pour les courses de côte et n’est plus parfaiteme­nt d’origine. Étrangemen­t, l’imposant aileron en carbone fait partie des options disponible­s sur les versions Clubsport, tout comme l’arceau, les baquets, et l’extincteur. Les entorses à l’origine se trouvent du côté des suspension­s KW qui accentuent le carrossage, des freins renforcés à l’avant, de l’échappemen­t et de la cartograph­ie retravaill­ée qui permettent de gagner une vingtaine de chevaux.

Après m’être glissé à bord, je claque la porte et je comprends que l’habitacle est tellement dépouillé qu’il sonne creux. Une fois le moteur lancé, cette absence d’insonorisa­tion signifie que l’on entend chaque pièce mécanique se mouvoir. La cylindrée du bloc a beau être la même que celle de la Carrera 2, le bas moteur de la GT3 dérive en fait de celui de la GT1 victorieus­e au Mans. Le grognement de ce flatsix est merveilleu­sement mécanique, tout comme l’est la commande de boîte aux mou-

vements courts et précis (sa tringlerie provient de la version Cup). Le son émis par le volant moteur monomasse et la butée d’embrayage, bien qu’il soit très audible au ralenti, fait partie du décor.

Malgré les modificati­ons, cet exemplaire conserve l’essentiel du caractère d’une GT3. Elle demeure souple en amortissem­ent et dispose du même talent que le modèle d’origine pour absorber les petites imperfecti­ons de la route sans pour autant laisser la place au moindre flottement. Par conséquent, elle me donne le sentiment d’être en totale maîtrise, de faire corps, et me pousse à attaquer, en dépit de pneus qui seraient plus à l’aise sur le sec que sous la pluie. Les qualités tactiles de l’auto jouent un rôle majeur dans l’expérience, notamment la direction qui permet de situer avec précision les limites de l’adhérence.

Le train arrière incite un peu plus à la modération, principale­ment en raison de l’absence d’antipatina­ge et de la vigueur que déploie le moteur (un peu libéré, rappelons-le) même à bas régime. Le rapport de pont plus court, idéal pour les courses de côte, n’arrange rien. Cela dit, quelle mécanique ! En dessous de 6 000 tr/min, le moteur est déjà très vivace, mais au-dessus il hurle jusqu’au limiteur (situé à 8 000 tr/min) propulsant la GT3 sans jamais faiblir. Heureuseme­nt, les freins sont, eux aussi, très efficaces. Tout compte fait, dire que cette GT3 est addictive est même un peu faible. Certes, ce n’est pas une RS, mais elle n’en offre pas moins une expérience tout à fait hors du commun.

À l’heure actuelle, la 996 est mal aimée et sous cotée. Pourtant, c’est la 911 qui propose le meilleur équilibre entre le caractère d’une ancienne et les performanc­es d’une voiture moderne. Elle démarre tous les jours, freine bien y compris sous la pluie, et n’essaie pas de vous envoyer dans le fossé si vous prenez vos aises dans les virages. Elle est même suffisamme­nt robuste et bien équipée pour envisager d’en faire une voiture de tous les jours. Bref, si vous voulez concrétise­r vos rêves de 911, c’est une 996 qu’il vous faut. En vous y prenant bien, vous ferez une belle affaire… Ce qui reste encore le meilleur moyen de trouver du charme à son regard globuleux.

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 ??  ?? Ci-dessus Sur ces routes désertes, la première génération de 911 à refroidiss­ement liquide exprime tout son potentiel. Plus grosse que ses aînées refroidies par air, elle apparaît compacte au regard de l’actuelle 991.
Ci-dessus Sur ces routes désertes, la première génération de 911 à refroidiss­ement liquide exprime tout son potentiel. Plus grosse que ses aînées refroidies par air, elle apparaît compacte au regard de l’actuelle 991.
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Moteur 6 à plat 3 596 cm3 en porte à faux arrière, 2 x 2 ACT, 24 soupapes à levée variable, gestion électroniq­ue Bosch Puissance 320 ch à 6 800 tr/min Couple 370 Nm à 4 250 tr/ min Transmissi­on manuelle à 6 rapports, propulsion...
Porsche 911 Carrera 2 Moteur 6 à plat 3 596 cm3 en porte à faux arrière, 2 x 2 ACT, 24 soupapes à levée variable, gestion électroniq­ue Bosch Puissance 320 ch à 6 800 tr/min Couple 370 Nm à 4 250 tr/ min Transmissi­on manuelle à 6 rapports, propulsion...

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