Octane (France)

XR-6 HOT ROD

“Le Plus Beau Roadster d’amérique” 1963 était une des stars du dernier concours de Pebble Beach. Octane a rencontré George Barris, le constructe­ur de la XR-6, pour sa dernière interview avant son décès.

- Texte et photos Klein Evan

Une dernière rencontre avec George Barris, le King du Kustom

Il y a deux ans et demi, je me suis levé plus tôt que d’ordinaire pour laver ma voiture. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais je ne pouvais pas aller chez George Barris avec une voiture sale, comme je n’irais pas chez le dentiste sans me brosser les dents. L’effort en valait la peine. Moins de sept mois après notre rencontre, George est décédé dans son sommeil, chez lui à Encino (Californie), à l’âge de 89 ans.

Lorsque je suis arrivé à l’atelier de George, Joji, sa fille, est venue m’accueillir alors que je déchargeai mes affaires de l’alfa, brillante comme un sou neuf. En voyant la Giulia Super 1967, elle me fait un signe du pouce. L’alfa est validée.

George est à l’intérieur, occupé à ses affaires, à préparer d’autres interviews et à signer des posters, le téléphone sonnant sans cesse. Tout le monde voulait parler à George.

Je marche dans le showroom à la recherche de l’homme qui a assemblé la carrosseri­e d’un hot rod avant-gardiste appelé XR-6, la voiture dont je vais vous parler. Là, la Batmobile, plus loin la voiture de la série Les Monstres. Les murs sont tapissés de photos de George en compagnie de tous les acteurs et voitures de notre jeunesse: Bo Derek, Mel Brooks, Clint Eastwood, Frank, Dean et Sammy Davis Jr… Qu’on le réalise ou non, nous avons tous grandi avec les créations de George. J’ai pénétré une Terre sainte.

Appareil photo en main, j’entre dans son bureau. La première chose que je remarque ce sont les murs recouverts par des centaines de modèles réduits des customs de George. Chaque centimètre en est recouvert. La XR-6 est une création sympathiqu­e, mais il a assemblé des centaines, peut-être des milliers d’autres voitures. Comment ne parler que d’un seul modèle quand on évoque George Barris ?

Alors que je règle l’éclairage, George raconte une histoire sur Sinatra : « Frank entre : “George, dit-il, je n’aime pas que les gens me regardent quand je vais au travail en voiture le matin, noircis-moi les vitres”. Mais Frank, tu ne pourras rien voir. Mais quand Frank vous demande de noircir les vitres, vous noircissez les vitres. Le lendemain matin, Frank revient. “George, tu avais raison. Je n’y vois foutrement rien !” »

GEORGE CLARIFIE les choses : la XR-6 était un projet réalisé à plusieurs. « Leroi Tex Smith travaillai­t pour le magazine Hot Rod. C’était en 1962. Il a proposé l’idée d’assembler un hot rod futuriste unique. Tout le monde était d’accord, mais le problème était que les constructe­urs produisaie­nt des voitures qui étaient aussi rapides, voire plus que nos hot rods. Alors, il savait qu’il devait imaginer quelque chose de différent. Il voulait pousser la communauté des hot rodders à concevoir et à assembler des voitures plus modernes. C’était très expériment­al. »

Tex a commencé par assembler un simple châssis échelle dans le garage de sa maison avec une scie à métaux, un fer à souder à gaz et un petit fer à arc. Il a récupéré les suspension­s à barres de torsion d’une Volkswagen, les freins à disques d’un roadster Triumph, et a créé un jeu de doubles bras tirés pour le pont Dodge. Il a appelé Monroe pour récupérer des combinés-amortisseu­rs qu’il a découverts à Indy un an plus tôt.

Le moteur était un 6-en-ligne Dodge avec un bloc alu et une transmissi­on automatiqu­e. Tex l’a prélevé sur une voiture d’essais d’usine achetée à Chrysler, alors qu’un break Dodge a fourni son train arrière. Quant aux carburateu­rs Weber, c’est l’atelier de Carroll Shelby qui les a fournis.

L’artiste Steve Swaja a créé la carrosseri­e. Steve était alors étudiant à l’art Center de Pasadena et stagiaire à Hot Rod. Il a travaillé sur le dessin du nez de la Batmobile et les dragsters effilés de Tony Nancy.

« Tex avait un châssis, mais pas de carrosseri­e, se souvient Steve, alors il m’a demandé si je pouvais dessiner un projet de roadster. J’ai dit oui, à condition de faire quelque chose de différent. Je voulais dessiner une “formule” hot rod. »

« Ça m’a pris environ un mois. J’étais en charge de surveiller les stands du salon auto de la NHRA, alors j’ai pris mon carnet de croquis et y ai fait une grande partie du travail. Pour la carrosseri­e j’ai mélangé les Ford T’23 et ’27, et cette dernière pour la planche de bord. Les Weber ont dicté la forme de la coque, du nez et de la prise d’air, j’ai donc commencé par là. J’ai été influencé par la Studebaker Avanti de Raymond Loewy, j’adorais l’inclinaiso­n de sa face avant. »

« Nous avons travaillé jusqu’à la nuit précédant le salon. George a tout assemblé en acier, à la soudure. C’était beaucoup trop lourd. Les ailes se sont décrochées pendant le remorquage de la voiture vers le salon. Gene Winfield a dû les réparer la veille au soir, en les refabriqua­nt en aluminium. Gene racontait : “Je n’ai jamais travaillé l’aluminium, je ne savais pas comment faire, alors j’ai appelé un pote à Berkeley qui m’a aidé”. Une fois qu’il a appris, il a également refait le nez d’après les dessins. On peut voir le nouveau sur la couverture de Hot Rod d’août 1963. C’est Tex qui est assis à son bord avec la secrétaire du magazine. »

Steve dit qu’il n’a jamais eu la chance de conduire la XR-6, mais il est monté une fois à bord avec Tex. Elle a remporté le trophée AMBR 1963 (Plus Beau Roadster d’amérique) pour ses débuts lors du Grand National Roadster Show. Dans l’enthousias­me qui a suivi le salon, Steve et Tex ont commencé à dessiner une XR-8. « Nous ne l’avons jamais réalisée, raconte Steve, mais j’ai les dessins dans une boîte, quelque part. J’ai beaucoup de boîtes ! »

AUJOURD’HUI, la XR-6 est encore montée sur ses pneus d’origine. « Nous les avons eus par Firestone, explique George. L’agent Firestone était une fille, nous étions plus intéressés par elle… »

J’ai apporté les photos que j’ai prises de la XR-6 pour les montrer à George. « C’est bon de revoir ces souvenirs, dit-il. Wild Bill en train de souder, de frencher les phares et les feux arrière. Aujourd’hui il a 92 ans et il n’a pas arrêté. Ça me fait chaud au coeur. »

En plus d’être un génie de la fabricatio­n de hot rods, George était un bon photograph­e, suffisamme­nt pour prendre des clichés pour Hot Rod avec son Rolleiflex. Il avait un faible pour les Petersen, la famille dont la société d’édition a lancé le magazine. « Le Musée Petersen a ouvert à Hollywood et j’y avais 60 voitures. Un jour de Noël, Pete et ses fils étaient en avion, l’avion s’est écrasé et les garçons se sont tués. Il n’est jamais retourné au musée, ça lui était trop douloureux. Mais il l’a soutenu jusqu’à la fin de sa vie. »

George montre un poster sur le mur : « Voici la voiture conserve de tomates. Tournez un bouton et le jus en sort. Nous avions notre sens de l’humour. Celle-ci vous servait un petit-déjeuner, celle-là du lait ». « Ringo Starr est venu un jour, il voulait une photo de lui avec des poteaux téléphoniq­ues disparaiss­ant à l’horizon, alors on a loué un hélicoptèr­e et on a volé jusqu’à ce qu’on trouve une route à Huntington Park. C’était une chouette journée. »

LES SOUVENIRS affluent maintenant. « Nous essayions toujours de trouver quelque chose de nouveau. Nous étions les premiers à avoir des phares ju-

melés. On les a installés sur un pick-up’41, nous nous sommes fait arrêter. “Vous les avez trouvés où ?”, demande le flic. Je les ai pris sur mon tracteur. “Bon, vous pouvez pas rouler comme ça.” Une contravent­ion. Puis, j’ai installé des feux stop séquentiel­s sur une Lincoln, pour montrer la force appliquée au freinage. Résultat ? Une autre contravent­ion. »

« J’avais ma Buick’41 roadster hot rod, nous étions au drive-in, moi et mes potes. Un type arrive : “Hé, George tu fais quoi avec ma copine ?”. Bah, c’est assez évident qu’elle m’aime plus que toi. Il est devenu fou et a donné un coup de pied dans ma portière. “Tu peux faire tout ce que tu veux, mais tu ne touches pas à mon custom.” Alors, je l’ai frappé par la fenêtre. Évidemment, je me suis retrouvé en prison. Mon copain Jesse Lopez faisait la manche devant la prison pour collecter de l’argent pour m’en sortir. On s’amusait bien à l’époque. »

« John Buck (le promoteur du Grand National show) a donné une fois un prix à une voiture qui ne le méritait pas. Les portes de l’auditorium se sont ouvertes et la voiture n’a pas démarré. Ils ont dû la pousser, c’était si embarrassa­nt… Dans notre monde, c’était impossible de pousser une voiture du Grand National Roadster Show. Chez nous, tout est réel. Que pensez-vous du film Transforme­rs? C’est juste une publicité pour des jouets. Les voitures ne fonctionne­nt pas, il n’y a pas d’histoire. »

« Les studios de cinéma… Disco Fever, La Famille Pierrafeu, Starsky et Hutch… Les studios voulaient une voiture et je la peignais. Starky et Hutch sont censés être des détectives. Comment sont-ils censés être des détectives dans une grosse voiture rouge avec une bande blanche ? Ils sont invisibles ? »

Tout ça ressemblai­t plus à une grande fête quà un travail. « Oui, il y a eu tellement de journées formidable­s. Nous conduision­s la Batmobile sur la route, maintenant Jay Leno aide à la maintenir en vie. » George indique un poster, qui montre le jour où une rue a été baptisée en son honneur. « Regardez, Bo Derek, Jay Leno, Sonny & Cher, Adam West, le maire. Tout le monde était là. »

JOJI AIDE GEORGE à rester concentré. Alors que nous commençons la séance photo, elle nous aide alors que George saisit un jouet de la Batmobile et chantonne le thème de la série, faisant vrombir la voiture dans les airs. Il attrape alors un modèle réduit d’“ala Kart”, basé sur une Ford Model A’29 roadster pick-up, le seul hot rod à être jamais entré au musée Ford. Est-ce que George a rencontré M. Ford ? « Oh oui, et il a adoré la voiture. Il a dit au musée qu’il la voulait, que c’était le meilleur hot rod au monde. »

Nous nous accroupiss­ons par terre, pour observer d’autres modèles réduits. « Voici la première Mercury. Elle était sur le gazon de Pebble Beach l’année dernière, pour la première fois. Quand j’étais gamin je jouais comme ça. Je démontais les boutons des robinets de la cuisine de ma mère et je créais des pièces pour mes petites voitures. J’ai été puni tellement de fois qu’ils pensaient que j’étais fou. Ils m’ont viré de l’école parce que je jouais avec mes voitures, je n’aimais pas les livres et les maths. Puis un jour, le long de la voie de chemin de fer, quelqu’un m’a donné une torche à souder et m’a appris à m’en servir. » « Beaucoup de gens parlent, mais il faut savoir assembler les voitures, être un constructe­ur, un promoteur, un photograph­e, tout ça à la fois. J’aime tout ça, sans distinctio­n. Tout le procédé. »

PUIS, GEORGE SE LÈVE et enfile sa veste jaune, attache chaque bouton, et nous prenons une photo de plus. « Nous créons l’histoire, me dit-il. Mon fils vient juste de passer trois ans à réaliser un livre sur moi. Il a tout : tous les shows, toutes les voitures, les films, les magazines, les débuts de Petersen. Et toutes les stars : Dean, Elvis, Frank, ils étaient géniaux. »

Alors que nous terminons, il devient pensif. « Je ne vis pas un rêve, mais deux. L’un est génial, l’autre pas tellement. Dans l’un, ma femme est morte. Dans l’autre, ma fille dirige tout, je m’en vais et je voyage autour du monde, partant demain pour le Canada, la semaine suivante en Australie, puis New York, puis la Floride. »

Nous étions loin de savoir que les jours de voyage de George étaient comptés. Il parlait encore de son prochain projet, qui devait être basé sur une Ford’32 : le premier hot rod hybride. Alors que nous finissons, George signe quelques posters et touille son thé vert, alors que sa soupe au poulet est en train de se réchauffer au micro-ondes. Oui, nous étions en train de créer l’histoire… Plus que nous étions en train de le réaliser sur le moment.

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 ??  ?? Ci-dessus Le 6-en-ligne avec cache-culbuteurs Offenhause­r est alimenté par des Weber avec de très longues pipes d’admission. L’atelier de George Barris célèbre la Batmobile qu’il a créée il y a de longues années de cela.
Ci-dessus Le 6-en-ligne avec cache-culbuteurs Offenhause­r est alimenté par des Weber avec de très longues pipes d’admission. L’atelier de George Barris célèbre la Batmobile qu’il a créée il y a de longues années de cela.
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 ??  ?? Ci-dessous Pas de trace du style traditionn­el d’avantguerr­e des hot rods, au lieu de cela un nez rabaissé inspiré par la Studebaker Avanti.
Ci-dessous Pas de trace du style traditionn­el d’avantguerr­e des hot rods, au lieu de cela un nez rabaissé inspiré par la Studebaker Avanti.
 ??  ?? Ci-dessous et à droite George Barris et ses nombreux modèles réduits. La couverture de Hot Rot avec Leroi Tex Smith et la secrétaire du magazine. La XR-6 fait penser à une grosse monoplace.
Ci-dessous et à droite George Barris et ses nombreux modèles réduits. La couverture de Hot Rot avec Leroi Tex Smith et la secrétaire du magazine. La XR-6 fait penser à une grosse monoplace.
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