ABARTH 124 SPIDER
La Fiat 124 Spider a été transformée, contre toute attente, en star des rallyes par Abarth. Y a-t-il meilleur endroit pour l’essayer que la Sicile, durant la Targa Florio Classic ?
Sur la Targa Florio avec une authentique Abarth
Une route de campagne, à quelques kilomètres d’un petit village de Sicile. Notre photographe, Olgun, a décidé que ce virage en particulier, à l’ombre des arbres, sera l’endroit parfait pour réaliser quelques photos. Alors, nous garons l’abarth 124 Spider sous les arbres et Olgun commence à s’agiter avec son matériel. Ce matin de printemps, la brise est fraîche. C’est peut-être le froid qui me pousse à répondre à l’appel de la nature. Je me glisse donc dans le fossé qui borde la route pour y découvrir quelque chose de vieux et rouillé. Cela ressemble à un vieux bidon d’essence marqué d’un X. Peut-être vient-il d’une voiture ? Je m’approche et réalise qu’il s’agit d’un jerrycan américain de la Seconde Guerre mondiale. Il doit dater de la libération de la Sicile, en 1943, lorsque 7 500 soldats alliés sont morts lors de l’opération qui a permis de reprendre l’île aux forces allemandes et italiennes. Je me demande ce qu’a pu voir cette relique il y a 74 ans, rebondissant depuis l’arrière d’une Jeep. C’est ça, la Sicile : où que vous alliez, vous ne pouvez éviter son passé.
QUAND LES HOMMES ne se battent pas, c’est la Targa Florio qui marque l’histoire de la Sicile. Disputée pour la première fois en 1906, cette épreuve routière autour de l’île montagneuse s’est déroulée jusqu’en 1977, date où un accident a tué deux spectateurs. Elle avait déjà été supprimée du calendrier du championnat du monde de voitures de sport en 1973 suite à un autre accident mortel. Helmut Marko, qui termina deuxième en 1972, a décrit cette épreuve comme étant « une pure folie ». Étant donné le prestige de l’événement et sa notoriété, il était inévitable qu’elle soit ressuscitée un jour ou l’autre. Alors, comme pour les Mille Miglia, il y a aujourd’hui une Targa Florio “classique”, qui se déroule en parallèle d’un rallye moderne. C’est ainsi que je rencontre pour la première fois le propriétaire de l’abarth la veille du départ de la Targa Classic, lors du dîner.
Américain vivant à Londres, Kenny Schachter aime tellement ses voitures qu’il a modifié son bureau pour pouvoir les voir quand il travaille. De son propre aveu, il passe plus de temps à les observer qu’à les conduire. En fait, mis à part une rare liaison avec (déjà) une 124 Spider à l’âge de 17 ans, il n’a pas possédé de voiture jusqu’à sa trentaine.
« J’ai acheté la Fiat pour presque rien et elle est tombée en panne sur le chemin de la maison, me raconte-t-il. Je ne savais même pas si elle avait de la rouille car je n’y connaissais rien. Après cela, je n’ai pas eu de voitures pendant des années : habitant à New York, je n’en avais pas besoin. »
La 124 Spider que possède aujourd’hui Kenny n’est définitivement pas rouillée. Ce n’est pas non plus une 124 comme les autres, mais une super-rare Abarth Stradale de route, assemblée en 1972 pour homologuer les futures voitures de rallye Fiat. Sur les 1 013 Abarth 124 Spider assemblées, c’est sans doute la meilleure survivante et celle non restaurée la plus d’origine. Elle est si jolie que le département héritage d’abarth a même proposé de la racheter quand Kenny l’a fait certifier. Et nous voilà, prêts à lui rentrer dedans sans vergogne sur les routes de montagne…
LA TARGA FLORIO CLASSIC est un événement qui se déroule sur trois jours, du vendredi au dimanche, avec des vérifications, le jeudi, dans la cour du département d’ingénierie et d’aviation de l’université de Palerme. On y trouve non seulement un jet Lockheed Starfighter F104-S en exposition à l’extérieur, mais aussi un joli chasseur Fiat G59 des années 40 à l’intérieur, ainsi qu’une belle collection de moteurs historiques. Il est curieux de noter que le Fiat est motorisé par un Rolls-royce Merlin… Nous avons tout le temps d’étudier ces distractions durant les vérifications techniques, même si ces dernières se résument à un contrôle des plaques du châssis. Personne ne regarde si les voitures sont équipées de ceintures de sécurité… Kenny en a fait installer des ventrales, spécialement pour l’occasion, mais nous doutons tous deux qu’écraser nos têtes sur la planche de bord augmente nos chances de survie en cas d’accident.
Il faut avouer que la liste des participants n’est pas, elle non plus, aussi rigoureuse que celle des Mille Miglia. Il y a quelques belles voitures, cela dit. Le collectionneur Corrado Lopresto a engagé trois prototypes Alfa Romeo (sa Giulietta Sprint Veloce Bertone 1956 bleu pastel et blanc est une merveille). Le chirurgien cardiaque suisse Axel Marx, passionné de Zagato, est venu avec une magnifique Alfa 6C 1 750 Zagato. On trouve aussi des Alfa GTA et Junior Zagato, une poignée de Lancia Fulvia HF et quelques machines plus exotiques comme une Fiat-zanussi 1939. Moins convaincantes, une Jensen Interceptor cabriolet et ce qui ressemble à une fausse Jaguar Type D… Aux côtés de la 124 Abarth de Kenny se trouvent quatre autres 124 de rallye. Si la 124 Abarth a fait des débuts tardifs dans la Targa Florio (Fiat semblait plus préoccupé de l’engager sur des rallyes terre que sur asphalte), elle a dominé sa classe (voiture de Grand Tourisme, 1 601 - 2 000 cm3) en 1974, en terminant 1re, 3e, 4e et 5e. La cérémonie du départ se déroule le jeudi après-midi, le genre dont les Italiens raffolent (arche gonflable, commentateur excité… ), mais la Targa ne démarre vraiment que le vendredi matin. La première spéciale débute à Taormina, à l’extrémité nord-est de l’île, ce qui implique une longue liaison le jeudi soir. Un bon shakedown pour l’abarth qui n’a roulé que quelques kilomètres ces dernières années, mais a, au moins, été entièrement révisée.
KENNY PREND LE VOLANT en premier et nous embarquons pour une longue virée sur l’autostrada à travers les montagnes. Ce qui nous laisse le temps de dé-
KENNY NE MÉNAGE PAS L’ABARTH QUI MONTE À 5 500 TR/MIN SUR LES LONGUES LIGNES DROITES DE L’AUTOSTRADA
couvrir la voiture. L’habitacle est plutôt civilisé, avec des sièges baquet Recaro en maille, un volant à jante en cuir et, surprise, une planche de bord en bois.
« Tous les experts disent qu’elle n’est pas conforme à l’origine » crie Kenny par-dessus le vacarme du moteur. « Les Abarth sont censées avoir toujours eu une planche de bord en alu. Mais celle-ci était une première main quand je l’ai achetée et le vendeur était formel: elle a toujours été ainsi. Peut-être que le concessionnaire l’avait installée à sa demande. » Derrière nous et au-dessus se trouve la barre de l’arceau, ce qui est rassurant parce que le hard-top noir est en fibre de verre, tout comme le capot et les extensions d’ailes. La version Abarth du Spider, appelée 124 CSA Stradale, a été profondément modifiée par rapport à la voiture de série. En plus des modifications cosmétiques permettant de gagner du poids (pas de pare-chocs, panneaux de portes et contre-portes en aluminium) de nombreuses modifications de suspensions ont été effectuées. On trouve donc des jambes de force différentes, des rotules de direction supplémentaires et une barre antiroulis à rotule Rose à l’avant. L’arrière est complètement redessiné avec des triangles inférieurs inversés, des bras tirés et des ressorts hélicoïdaux, avec un différentiel à glissement limité monté sur le châssis, au lieu de l’essieu rigide standard des 124.
Le moteur 1 756 cm3, emprunté à la berline 132, n’est pas particulièrement poussé : des arbres plus affûtés, un collecteur 4-en-1 et deux Weber 44 IDF sont les principales modifications. Mais c’est un petit dur, Kenny ne le ménage pas et il monte à 5 500 tr/min sur les longues lignes droites de l’autostrada. Après un moment, l’aiguille de pression d’huile se met à descendre. Inquiétant, mais le moteur semble tout à fait à son aise. Nous mettons ça sur le dos d’un capteur défectueux, croisons les doigts et continuons à bon train.
Nous avions raison d’être confiants : l’abarth est arrivée sans peine 3 heures plus tard à Giardini Naxos, une ville du littoral qui nous sert d’étape pour la nuit. Mais demain, les choses sérieuses vont enfin commencer.
APRÈS UN AUTRE DÉPART OFFICIEL, sous une autre arche gonflable, nous partons le long de la côte, la mer Ionienne sur notre droite. Quelques incursions dans les terres permettent à l’organisateur d’intégrer des spéciales de régularité (que nous avons déjà décidé d’ignorer puisque nous n’avons aucune chance de troubler la hiérarchie), avant de revenir le long du littoral puis de plonger vers les montagnes. Après quelques kilomètres, une fois la côte quittée, les traces du XXIE siècle commencent à disparaître : si l’on détourne le regard de l’asphalte à la qualité remarquable, il y a peu d’indices pour savoir si nous nous trouvons dans l’époque moderne, médiévale ou même antique. Les panneaux routiers indiquent des villages aux noms chantants (Caltavuturo, Roccapalumba, Castellana Sicula) alors que le paysage s’étire dans toutes les directions, sous un vaste ciel bleu.
C’est maintenant à mon tour de conduire. Nous nous arrêtons, échangeons nos places, et je me glisse dans le confortable baquet Recaro. Le moteur redémarre immédiatement (c’est un petit bijou) et je reprends la route. La direction est d’une légèreté déconcertante et je me demande si elle va communiquer quoi que ce soit une fois que je vais accélérer le rythme. J’essaie la pédale de freins. Hum, la course est longue avant qu’ils ne commencent à réagir (Stuart, notre mécanicien, soupçonne un maître-cylindre fautif) mais ils fonctionnent. Une fois qu’il apparaît évident que les freins ne vont pas nous laisser tomber, je prends confiance et commence à pousser la voiture plus fort. C’est là qu’elle prend vie. La direction, si désespérément légère à vitesse de promenade, prend du poids alors que nous avalons quelques courbes rapides, mais sans jamais se montrer fatigante. La 124 Spider est particulièrement rigide pour un cabriolet de cette époque et nous commençons à comprendre ce qui en faisait une si bonne voiture de rallye : son équilibre est parfait. Elle se joue des virages sans sourciller et la moindre dérobade du train arrière se rattrape facilement avec le petit volant. Son seul défaut est une suspension arrière excessivement molle qui envoie les pneus arrière taper dangereusement dans les extensions en fibre de verre sur les compressions soudaines, heureusement sans causer le moindre dommage apparent. La flexibilité du moteur est également impressionnante. Même s’il prend des tours, il monte de façon linéaire à partir de 2 000 tr/ min, sans jamais cafouiller ni perdre de son allant jusqu’à la zone rouge à 6 200 tr/min. Il n’a pas une sonorité exotique mais plutôt utilitaire, avec la note simple d’un 4 cylindres qui suggère un bon travail d’ingénieur mais rien d’excitant. En résumé, juste ce dont on a besoin pour une voiture de rallye.
Cette journée, comme celle du samedi qui va suivre, passe dans un kaléidoscope de routes de montagne sinueuses, de villages perchés, de rendez-vous avec les autres concurrents lors de check points au bord de la mer, avec un retour le soir vers Palerme sur l’autostrada. Si elle couvre une grande distance, la Targa Florio Classic se montre bien moins exigeante que la Mille Miglia : l’épreuve est aussi bien organisée, mais bien plus détendue. Ajoutez à cela l’avantage de finir les journées de roulage à une heure raisonnable et le peu de trafic croisé sur quelques-unes des plus belles routes d’europe, et l’attrait de l’épreuve devient évident. Simples inconnus lorsque nous nous sommes élancés, Kenny et moi nous sommes rapprochés durant ces heures de proximité forcée et je suis impressionné par sa rapidité à prendre le rythme de l’abarth, lui qui a peu d’opportunités de la piloter.
NOUS SAVIONS dès le début qu’il faudrait quitter la Targa tôt, en raison des options limitées pour prendre le vol du retour. Alors, lorsque la voiture de Kenny se retrouve réquisitionnée pour une séance photo supplémentaire le dimanche, j’en profite pour m’éclipser et aller explorer Palerme à pied. Le parc fermé de l’université n’est qu’à quelques kilomètres du port et marcher dans les petites rues du centre donne une meilleure idée du caractère des lieux que depuis une voiture en mouvement.
Le célèbre marché aux poissons de Palerme bat son plein, ici on peut acheter des calamars, des sardines et des thons aussi larges que des torses humains. Le bruit et l’agitation forment un grand contraste avec les villages quasi déserts que nous avons traversés la veille lors de la Targa. Il y a un grand marché de bric-à-brac, avec malheureusement assez peu de pièces de vieilles voitures, si ce n’est les inévitables morceaux de Fiat 500. Même ici, entre les lampes usées, les affiches délavées et les jouets cassés, on retrouve des souvenirs de l’histoire turbulente de la Sicile : de vieux cendriers décorés de portraits de Mussolini sur un stand, un ouvrage de ses discours d’avant-guerre sur un autre…
Sur cette île qui est littéralement une étape à mi-chemin entre deux continents, les traces de l’histoire sont partout et c’est fascinant. Quant à ce jerrycan de la Seconde Guerre mondiale que j’ai découvert, eh bien je ne l’ai pas rapporté à la maison, mais je sais exactement où il se trouve. Quelqu’un pour m’accompagner à la Targa, l’année prochaine ?