FORD RS200
La Ford RS200 est arrivée trop tard pour s’imposer en Groupe B, mais elle est devenue une reine du rallycross. Hal Ridge affronte courageusement le gravier et l’asphalte à son volant.
Une icône du Groupe B, essayée sur une piste de rallycross
Dès le ralenti, le moteur turbocompressé placé sous le capot arrière affiche une agressivité typique des bolides à hautes performances les plus exceptionnels. Je commence à prendre conscience du monstre que je vais affronter. Rien qu’à y penser, mes poils se dressent sur mes bras.
Cela fait 25 ans que les machines du Groupe B ont été bannies de toutes les compétitions organisées par la FIA, et pourtant les passionnés vibrent encore pour cette catégorie. La plus féroce de toutes les Ford de rallye, la RS200 a été créée pour ce fameux Groupe B, à une époque où les bolides à moteur central dominaient ce sport. Il s’agissait de prototypes spécialement imaginés pour le rallye et non plus des dérivées de voitures de route. Pour être homologués et pouvoir courir, seuls 200 exemplaires devaient être produits. Voilà d’où vient le nom de notre Ford du jour. Le moteur 4 cylindres turbo 1,8 l BDT de la RS200 était basé sur le bloc Ford BDA et produisait 450 ch. Présentée en 1984, la voiture a été conçue pour affronter les Peugeot 205 T16, Lancia Delta, Audi quattro et MG Metro 6R4 d’usine. Mais fin 1986, avant qu’elle ne puisse rivaliser avec ses concurrentes plus expérimentées, la catégorie fut bannie, suite à de nombreux accidents mortels.
Ce n’était pas pour autant la fin des machines du Groupe B. Retraitées des rallyes, les voitures ont trouvé un nouveau terrain de jeu : le rallycross. Si elles étaient impressionnantes sur les spéciales, que dire avec encore plus de puissances et des pneus encore plus accrocheurs ? Dès 1987, beaucoup ont connu une seconde vie dans la discipline disputée sur terrain mixte, pour la plus grande joie des pilotes et des fans, bataillant
roues contre roues sur circuit pour cinq années de plus, avant qu’elles ne soient également bannies du rallycross.
C’est pour goûter à cette expérience interdite, au volant d’une RS200 Evo 2 2,1 litres aux spécificités rallycross, que j’ai voyagé jusqu’au circuit de Lydden Hill, en Angleterre, là même où ce sport a été inventé. En 1966, Robert Reed, un producteur d’émission TV sportives, a assisté à une course de côte sous la pluie et s’est amusé du spectacle des voitures bataillant sur les chemins boueux, en descente, à tenter de retourner sur la ligne de départ. La graine du rallycross était plantée : une discipline où les voitures s’affrontent ensemble sur surface mixte. Pensée pour s’intercaler entre différents sports diffusés à la télé le samedi après-midi, la première épreuve s’est déroulée à Lydden Hill le 4 février 1967, avec des pilotes de renom tels que Vic Elford et Roger Clark. Ça a été un tel succès qu’une autre fut prévue quelques semaines plus tard. En 1973, le rallycross était devenu un championnat d’europe.
La discipline a connu des hauts et des bas durant cinq décennies mais est actuellement l’un des sports mécaniques qui a le plus le vent en poupe, suite à la création du championnat du monde de rallycross FIA en 2014. Sa précédente période faste a eu lieu trois décennies plus tôt, quand les fans s’entassaient sur les circuits d’europe pour observer des meutes de monstres du Groupe B s’affronter. En 2017, alors que le sport fête ses 50 ans, des pilotes comme Sébastien Loeb, Petter Solberg, Ken Block et Mattias Ekström se sont affrontés pour la suprématie au volant de voitures qui reçoivent le soutien des constructeurs. Avec des courses disputées sur un maximum de six tours, ces sprints sont parfaits pour la génération des Millenials, qui n’a que faire d’observer la stratégie pneumatique se mettre en place sur une course de F1 ou d’assister aux trois jours d’une manche du WRC.
L’action sur la piste est démente et les bolides de 600 ch à 4 roues motrices accélèrent plus forts qu’une F1 le 0 à 100 km/h. Mais contrairement à beaucoup d’autres disciplines qui ont évolué au-delà du raisonnable, les voitures actuelles de rallycross ne sont pas si éloignées de leurs ancêtres du Groupe B. Ces dernières n’ont pas usé leur carrosserie sur gravier et sur asphalte depuis bien longtemps, entre autres à cause de leur rareté et de leur valeur. Avec pas plus d’une poignée d’exemplaires fonctionnels survivants, les occasions de s’installer derrière le volant de l’un d’entre eux sont rares.
Cette occasion s’est matérialisée aujourd’hui. Mesurant 1m90, j’ai toujours un peu de mal à m’adapter aux positions de conduite des champions, mais au début des années 80, les as du rallye étaient plus concernés par la force physique nécessaire à maîtriser leurs machines sauvages que d’atteindre la limite de poids ou le niveau de forme auquel aspirent les pilotes actuels. Et en tant qu’ancien joueur de rugby, Pat Doran, le propriétaire de cette RS200, a le physique de l’emploi. Après avoir enlevé le volant escamotable, je franchis le tube qui barre la portière et m’installe dans le baquet. Hyper excité, je n’ai pas honte d’admettre que j’ai aussi un peu la trouille.
La position de conduite de Doran ne me pose aucun problème, si ce n’est que mes
bras sont un peu trop tendus, mais je ne vais pas me plaindre. Le moteur déjà préchauffé, je me familiarise avec mon environnement avant de me diriger vers la piste.
Le tunnel de transmission qui émerge du plancher plat est franchement immense et, avec les sièges pratiquement posés au sol, cela donne l’impression d’être dans une monoplace. Plutôt inhabituel, la boîte de la RS200 se trouve en avant du moteur central arrière. Si l’habitacle utilitaire est confiné, il ne rend pas claustrophobe, peut-être à cause de l’arceau bien léger pour une voiture pensée pour foncer entre les arbres… Derrière le volant en daim apparaît un combiné d’instruments LCD, surmonté d’une rangée de shift lights. Le développement de cette voiture en particulier, surnommée “Rosie”, a continué depuis que Doran l’a engagée au début des années 90. En 1991 et 92, il a terminé sur le podium à Lydden durant le championnat d’europe et a remporté la victoire en France en 1992 pour finir deuxième au championnat. Rosie a récemment été reconstruite avec un turbo plus récent, une suspension à simple amortisseur Reiger à la place du système double d’origine et d’une gestion moteur moderne. L’intention est de maintenir le caractère de la voiture et ses performances tout en la rendant plus facile et plus fiable. La très agricole boîte de vitesses d’origine à grille en H a également été remplacée par une unité séquentielle Quaife à 6 rapports. L’ingénieur Joe Durman m’explique le B.A.BA. Le gros bouton au centre de la console en aluminium est le coupe-circuit, entouré par quelques potentiomètres qui contrôlent le régime moteur et le boost (ce ne sont pas des choses qui me concernent).
Une fois familiarisé, le harnais six points ajusté, Durman démarre le moteur qui s’élance avec une petite caresse sur la pédale de droite. Le ralenti cafouille et avec le moteur et son immense turbo à quelques centimètres de ma tête, je sens la moindre augmentation du régime dans tout mon corps à travers la coque, et entends les bouffées d’air avalées par les différentes ouvertures du toit et des côtés de la voiture.
Embrayage pressé, un geste ferme du poignet sur le levier séquentiel sélectionne la première qui s’engage avec ce bruit sourd me rappelant, s’il le fallait, que je suis à bord d’une machine de compétition extrême. En faisant attention de ne pas faire glisser l’embrayage pour ne pas l’abîmer, je relâche la pédale de gauche, accélère un peu et… je cale. Essaie encore une fois.
« Il faut que tu montes haut dans les tours. N’aie pas peur de faire glisser l’embrayage, me dit Durman. C’est très on-off, alors fais-le juste glisser pour y aller. » En jouant un peu avec mes deux pieds, je me traîne jusqu’à la prégrille, avec la nette impression que je vais apprendre de nouveau à conduire. Le grondement du moteur s’accompagne du sifflement omniprésent de la transmission, qui s’accentue tandis que j’accélère et que je me lance sur le circuit qui a accueilli pour la dernière fois la manche britannique du championnat du monde cette année, avant que celle-ci ne déménage à Silverstone en 2018. La piste est noyée d’une belle lumière de fin de journée, qui me plonge dans une douce nostalgie.
J’accélère sur la ligne de départ, doucement d’abord avant d’appuyer un peu plus fort et de passer la seconde. Il y a un système de coupure rendu possible par la gestion moteur moderne Cosworth et je laisse filer le levier pour être sûr que je ne l’active pas continuellement, alors qu’un chiffre “2” apparaît sur la planche de bord. Ça sera la dernière fois que je m’autorise un instant pour quitter la piste des yeux.
La voiture accélère rapidement, la suralimentation se déclenche alors que je presse la pédale un peu plus, et des lumières rouges clignotent immédiatement me suggérant de passer le rapport suivant. Je ne me fais pas prier, mais j’espère que les freins vont suivre.
Je relâche l’accélérateur au moment de quitter l’asphalte pour la première section non goudronnée du circuit, “Chessen’s Drift”. J’embrasse le point de corde, passe la 3e et garde la voiture la plus en ligne possible en sortant de la longue courbe vers Dover Slope qui tourne à droite, la voiture glissant sur la terre et demandant quelques corrections dans le volant, même à basse vitesse. L’équipe étant en plein entraînement, il y a une trace propre sur la section en graviers, ce qui signifie qu’on peut rouler sans marteler les soubassements de caillasse, comme c’est souvent le cas en rallycross, mais je comprends aussi qu’il vaut mieux ne pas sortir de la ligne idéale vers des zones plus glissantes.
Je reste en 3e dans le gauche asphalté “Devil’s Elbow” (le Coude du Diable) et accélère plus fort dans la montée. À 4500 tr/min, la suralimentation du moteur E2 (750 ch et 950 Nm) fait déferler la puissance au point de me plaquer violemment dans mon siège, le souffle coupé. Je passe immédiatement la
CETTE VOITURE EST INCROYABLEMENT RAPIDE ET JE RESTE LOIN DU PIC DE PUISSANCE À 9 250 TR/MIN
4e et la voiture continue d’accélérer. Je relâche les gaz, bien loin du point de freinage pour l’épingle à droite et rétrograde en seconde.
Cette voiture est incroyablement rapide et je reste loin du pic de puissance à 9 250 tr/min. Heureusement les freins, non assistés et à la pédale dure, affichent un mordant rassurant, même à froid. Ouf !
Désormais en descente, je n’utilise pas plus de 2/3 de l’accélérateur, je monte deux rapports avant d’en redescendre un pour le virage le plus délicat du championnat du monde, Paddock Bend, avec son entrée en aveugle sur un changement de surface. Dire que je suis hésitant est un euphémisme, mais je continue vers la célèbre chicane où tant de voitures se sont transformées en épaves avant de passer la ligne de départ pour un 2e tour. Plus vite cette fois, je passe la 4e dans Chessen’s après le point de corde en relâchant l’accélérateur tout en plantant l’embrayage pour arrêter le patinage et laisser la vitesse s’engager, la voiture est plus nerveuse qu’avant, demandant de nombreuses corrections dans le volant.
Plein gaz en 3e en sortie de Devil’s Elbow et je suis de nouveau écrasé dans mon siège. Malgré deux montées de rapport de plus, j’escalade la côte encore une fois en un clin d’oeil, dans l’intimidant souffle du turbo derrière ma tête, juste derrière la cloison. Des sifflements se font entendre à travers tous les espaces de la carrosserie.
J’ai eu la chance d’avoir déjà conduit une voiture de rallycross moderne. Les accélérations de cette dernière semblaient sans fin, mais la RS200 est un tout autre animal. L’arrivée de la puissance est brutale, c’est littéralement tout ou rien, comme le temps de retard du turbo débridé.
La confiance venant, j’augmente encore le rythme, attaque l’accélérateur avant les points de corde et à la sortie de Devil’s Elbow pour mon 3e passage, le système de 4 roues motrices Quaife envoie la voiture en glisse sur l’asphalte et m’oblige à contre-braquer d’un quart de tour de volant. Je freine plus tard dans Chessen’s, cette fois sur les graviers, rétrograde en 3e et reprends les gaz plus tôt, la poupe décrochant légèrement lorsque les pneus arrière rencontrent les graviers plus profonds.
En sortie des virages sur surface meuble, la voiture bouge plus que lors des tours précédents. Je passe la 4e puis la 5e, reprends le volant à deux mains alors qu’il bouge de droite
JE MONTE DEUX RAPPORTS AVANT D’EN REDESCENDRE UN POUR LE VIRAGE LE PLUS DÉLICAT DU CHAMPIONNAT DU MONDE, AVEC SON ENTRÉE EN AVEUGLE SUR UN CHANGEMENT DE SURFACE
à gauche pendant que les quatre roues tâtonnent pour retrouver de la motricité. Après un tour de plus, je retourne dans les stands, les mains en sueur, le coeur battant à tout rompre et le souffle court. Avant ma session suivante, Liam, le fils de Pat, reprend le volant pour une série de tours.
Celui-ci est l’un des premiers pilotes de rallycross professionnels de l’ère moderne et a remporté de nombreuses épreuves du championnat d’europe. Il a disputé sa première saison en catégorie Supercar en 2008, au volant de cette même RS200. La façon dont il balance la voiture dans les virages et ses accélérations sans compromis rendent ma tentative bien morne. Pourtant, il reste modeste.
« J’ai amélioré mon pilotage au cours de ma carrière, mais cette voiture m’a plus appris en un an que toutes les autres, tant elle est difficile, explique Liam Doran. Il faut être capable de relever chaque défi un par un, surtout lors des changements de surface. Tourner à Lydden et passer la chicane avec cette RS200 est peut-être la chose la plus effrayante que j’ai jamais faite en voiture. » « Elle est aussi rapide que les actuelles Supercars de WRX en termes d’adhérence et de puissance, mais ne tourne pas toujours aussi vite au tour, parce qu’en sortie de virage, elle se contente d’aller là où elle le souhaite. C’est comme lutter contre un monstre. Mais c’est terriblement amusant. Si vous avez besoin de retrouver le sourire, il n’y a rien de mieux que cette voiture. » Ma seconde session se déroule sans accroc. Après avoir vu de quoi la voiture est capable, je la pousse un peu plus, me sens plus en confiance avec les freins et laisse la voiture déraper jusqu’aux limites de la piste, en sortie des virages.
L’une des choses les plus impressionnantes est le niveau d’adhérence proposé, bien aidé par les pneus slicks tendres de rallycross. Avec un poids de 1 000 kg, à la répartition décalée sur l’arrière, l’avant est extrêmement vif. La direction n’est pas aussi lourde que je le pensais et je me sens en connexion totale avec les roues avant. J’ai beau pousser la voiture aussi loin que je le peux dans le virage en asphalte le plus rapide du circuit, Devil’s Elbow, l’avant ne décroche pas.
Pour autant, je traite le dernier secteur du tour avec un grand soin. Le mur de pneus dans Paddock Bend est très proche et, là où Doran pointe le nez de Rosie vers l’intérieur, je garde la voiture plus en ligne alors qu’elle rebondit sur les bosses, l’échappement crache des flammes et détonne à chaque fois que je lâche l’accélérateur.
Avant que je ne monte dans la RS200, Liam Doran m’avait donné un aperçu de ce que serait sa conduite et il n’avait pas tort. Comme il l’a prévu, elle ne ressemble absolument à rien de ce que j’ai conduit auparavant. La technologie de plus en plus avancée des bolides actuels rend ces voitures plus rapides et plus faciles à exploiter que jamais mais, comparée à l’époque des Groupe B de rallycross, l’époque actuelle semble plus modérée.
Si les pilotes de course d’aujourd’hui sont considérés comme des athlètes, ceux qui luttaient avec ces machines devaient être des guerriers. Respect.