ASTON MARTIN DB4 GT CONTINUATION
Aston Martin va produire 25 exemplaires supplémentaires de la légendaire DB4 GT. En exclusivité mondiale, Octane prend le volant du premier prototype à Goodwood.
Une voiture tellement bien qu’ils l’ont reconstruite, et Octane est le premier à conduire la nouvelle
Par romantisme. » Vraiment ? C’est pourtant, selon Paul Spires, la principale raison qui a poussé Aston Martin à refabriquer des DB4 GT. Il a d’ailleurs lui-même lancé cet incroyable projet. Son enthousiasme est si communicatif qu’il vous contamine, et comme le suppose son rôle (directeur général d’aston Martin Works à Newport Pagnell), l’homme est totalement imprégné de l’histoire de la marque.
« Cela fait dix ans que nous avons cessé d’assembler des Aston Martin, ici à Tickford Street, explique-t-il. Depuis, l’activité Works s’est bien développée et abrite à présent un atelier de restauration de premier ordre, mais aussi des espaces dédiés à l’entretien et à la vente. Nous réunissons tellement de compétences sous ce toit qu’il fallait absolument montrer ce dont nous sommes capables. Notre patrimoine constitue une immense richesse, alors l’idée d’assembler à nouveau des Aston Martin sur ce site historique m’a immédiatement séduit. »
C’est à Goodwood, là où la DB4 GT est entrée dans la légende, que nous prenons le volant de celle qui sert de prototype à cette mini-série de 25 exemplaires refabriqués. Un tel contexte aurait de quoi perturber notre objectivité, mais le simple fait de savoir que cette voiture est née à la fois en 1959 et en 2017 nous oblige à partir d’une page blanche. La dernière DB4 GT a beau s’être vendue il y a 55 ans, celle-ci est bel et bien neuve ; et c’est tout un pan de l’histoire d’aston Martin qui ressuscite avec ce fantôme. Plus que n’importe quelle auto, elle attire les regards, y compris ceux de l’équipe qui a travaillé dessus. Le romantisme c’est une chose, mais pour que le projet obtienne le feu vert de la direction, encore fallait-il qu’il soit viable. Pourquoi alors avoir choisi la DB4 GT, là où la DB5 aurait séduit un public plus large ? Spires s’en explique : « Jusqu’à peu, la DB4 GT était relativement incomprise en dehors d’un public de connaisseurs. Pourtant, il s’agit d’une excellente voiture, l’une des meilleures qu’aston Martin a produites. Elle est aussi géniale à conduire qu’à admirer ».
En 2016, les DB4 GT s’échangeaient aux alentours de 2,8 millions d’euros. Leur cote a bondi depuis, et le premier prototype (DP199/1) s’est vendu pour 5,3 millions d’euros en août. Il semblerait que certains initiés aient soudain pris conscience de l’exclusivité de la DB4 GT, et du fait que la demande dépassait l’offre. L’engouement pour la marque n’a d’ailleurs jamais été aussi fort et la valeur des modèles historiques (pré-db7, en gros) a significativement progressé ces dix dernières années. Tout cela est plutôt de bon augure pour la commercialisation de cette continuation.
Tout n’est cependant pas qu’une histoire d’opportunité commerciale. Lors de l’arrêt de la production à Newport-pagnell en 2007, il aurait été impensable de recréer de toutes pièces des modèles historiques. Ce sont les progrès techniques récents qui ont permis de réaliser ce projet, tout en respectant les méthodes de l’époque. Voilà qui est assez paradoxal, mais pas tellement plus que de voir une entreprise comme Aston Martin, pourtant tournée vers le futur, se consacrer à la résurrection de ses vieux modèles. La logique de continuation est ici totale, et la moindre pièce du modèle refabriqué est interchangeable avec celle d’un modèle d’origine (c’est d’ailleurs l’un des principes clés du projet). Si d’aucuns s’attendaient à trouver un châssis moderne caché sous cette silhouette de DB4 GT, ils vont être surpris. Il faut vraiment avoir l’oeil dessus pour détecter en quoi la voiture de 2017 diffère de celle de 1959. La dernière descendante de la DB4, la DB6 Mk2, ayant cessé d’être produite en 1971, relancer la production n’allait pas être une chose aisée. L’ancienne usine n’existe plus, hormis quelques bâtiments à l’abandon, et ne pouvait donc pas accueillir le projet. C’est finalement le département Works qui lui fera une place. Vient ensuite le sujet du marketing : Aston Martin s’oriente désormais vers des produits sophistiqués, diversifiés et surtout résolument modernes. Comment alors justifier ce saut dans le passé de près de soixante ans, d’autant que l’exercice de la série limitée n’est pas réputé pour sa rentabilité ?
À vrai dire, Aston Martin a suivi avec intérêt ce que Jaguar a fait avec la XKSS, une continuation de 9 exemplaires seulement. Ici, les 25 DB4 GT refabriquées s’additionnent aux 75 exemplaires d’origine, pour faire un joli compte rond. Ce chiffre est également un objectif ambitieux, d’autant que les normes ne permettent pas d’homologuer ces voitures pour un usage routier.
Spires et sa petite équipe ont défini les ressources nécessaires, et ont fait approuver leur stratégie en décembre 2016. Il a fallu convaincre le Dr Andy Palmer (le président d’aston Martin) d’investir, au moment même où celui-ci examinait le projet, pourtant diamétralement opposé, de l’hypercar Valkyrie. Amusante coïncidence, Adrian Newey dont on connaît l’implication sur la Valkyrie, possède l’une des
DB4 GT originelles. Au-delà de l’investissement, l’enjeu est aussi celui de la faisabilité, car dans deux ans les 25 exemplaires devront tous être livrés.
La découverte de la voiture sous le soleil d’une matinée d’automne est un de ces moments de grande justesse esthétique. Parfaitement posée sur ses jantes Borrani d’origine, l’auto affiche un équilibre subtil entre discrétion et agressivité. Quel que soit l’angle sous lequel on l’observe, elle suggère la vitesse. Les phares carénés, l’oeuvre de l’un des génies de Tickford, donnent à eux seuls l’impression que la voiture fend l’air. Bien que je sois très attaché à la GT originelle et à ses parechocs, leur absence ici ne gâche rien. À l’arrière, les passages de roues sont légèrement élargis, comme sur la célèbre voiture de l’essex Racing Stable. Dans sa livrée Almond Green (celle utilisée par l’écurie usine de 1953 à 1961), elle ressemble en tout point à DP199/1, la voiture engagée au Mans en 1959. Ce premier prototype de la nouvelle série porte d’ailleurs le numéro de châssis DP199/2 et, autre clin d’oeil historique, il arbore les décorations de l’équipe suisse “Trois Chevrons”. L’auto est si spectaculaire que je prends le temps de l’admirer longuement, au lieu de me jeter sur le volant.
Un coup d’oeil sous la voiture révèle un train arrière qui m’a l’air d’époque, jusqu’aux amortisseurs à levier. Il devait être extrêmement tentant de remplacer ces derniers par un système à ressorts, comme cela se fait souvent sur les modèles engagés en championnat historique. En effleurant la carrosserie, je prends conscience de la finesse du métal. C’est
donc délicatement que je m’appuie dessus pour comprimer la suspension, qui ne ploie que légèrement. Les vitres latérales et arrière sont en plexiglas, comme il se doit, et tout l’accastillage semble effectivement tout droit sorti des années 60.
Même constat sous le capot, aucune entorse à l’origine, si ce n’est le système d’extincteur (encore faut-il l’apercevoir). Les reniflards débouchent sur un récupérateur d’huile : une idée qui date d’après 1959, mais qui nous rappelle que les fuites étaient alors un problème courant. Et enfin, il y a le moteur entièrement neuf, re-
connaissable aux finitions de la fonderie. Dans le coffre, il y a juste assez de place pour loger la roue de secours au-dessus du réservoir. D’apparence authentique (en aluminium peint en noir), il dispose néanmoins d’une poche souple pour plus de sécurité, ainsi que de joints antifuites. L’ouverture de la portière s’accompagne de deux surprises : la première étant la légèreté de celle-ci, et la seconde étant le parfum du cuir Connolly Vaumol qui émane de l’habitacle (bien que celui-ci ne couvre que les sièges et le tunnel de transmission) et me rappelle aussitôt les Aston Martin d’antan. L’arceau-cage démontable est le plus impressionnant qu’il m’ait été donné de voir sur une DB; une véritable oeuvre d’art qui répond à toutes les normes d’utilisation sur piste. Pour autant, il ne complique presque pas l’accès à bord, ce qui n’est pas plus mal puisqu’il va falloir se glisser dans un baquet peu engageant, et non sur un coussin de cuir datant de 1959. L’ambiance à bord respire la compétition, ce qui rend la vue du paddock de Goodwood à travers le pare-brise parfaitement de circonstance. À la place du cendrier, sur le dessus du tableau de bord, se trouve une rangée d’interrupteurs. Les compteurs sont parfaits, et l’instrumentation en général a fière allure. Les baquets sont très fermes, l’idéal pour le maintien, et offrent pour seul luxe des petits coussins de cuir matelassés. Cela dit, les sièges sont astucieusement dessinés de manière à épouser le corps, et s’avèrent très confortables à l’usage. Ils sont également réglables afin que toutes les commandes soient aisément accessibles. L’ergonomie est d’ailleurs parfaite, et l’utilisation de jantes de 15 pouces (contre 16 à l’origine) facilite le maniement du volant. Bien qu’il s’agisse d’une stricte deux places, l’habitacle paraît spacieux grâce aux larges surfaces vitrées. Il faut avoir à l’esprit qu’en 1958, la DB4 était de loin la GT la plus évoluée. Lors de son lancement à Paris, l’importateur français pressa John Wyer de réaliser une version adaptée à la compétition. C’est ainsi que Ted Cutting reçut pour mission de raccourcir une DB4 d’environ 25 cm afin d’obtenir une GT plus ludique, ce qu’il fit en raccourcissant les portières. Lui qui a également travaillé sur la DBR1, considère que : « La DB4 GT est un retour au cahier des charges de la DB2 de 1950, une voiture de tourisme à deux places, très rapide et capable d’abattre de longues distances ».
C’est ainsi donc que la DB4 GT s’est retrouvée dotée d’un porte-bagages en lieu et place de la banquette arrière, de portières en aluminium et d’un immense réservoir de 115 litres dans le coffre. Côté moteur, elle recevait une culasse à double allumage, ainsi que trois Weber 45 DCOE. Enfin, elle s’est également vu greffer une prise d’air pour alimenter le radiateur d’huile, des jantes Borrani en alliage léger et des freins Girling renforcés. Ce sont les ateliers Aston Martin de Feltham qui avaient la tâche de modifier la carrosserie (réalisée par Touring pour la DB4), et d’y ajouter notamment les phares carénés. Avec un taux de compression atteignant 9:1, des soupapes agrandies et des arbres à cames retravaillés, le moteur modifié de la DB4 GT revendiquait 306 ch à 6 000 tr/min. De quoi propulser l’auto de 0 à 100 km/h en un peu plus de 6’’, et lui permettre d’abattre le 400 m DA en 14’’ à 160 km/h. Lancée à pleine vitesse, elle est capable d’atteindre 250 km/h.
Le prototype DP199/1 a fait ses premiers tours de roues en mars 1959 et sa première apparition publique à Silverstone au mois de mai. John Wyer a d’ailleurs dû s’engager par écrit à produire la voiture avant de pouvoir aligner le prototype. À son volant,
L’AMBIANCE À BORD RESPIRE LA COMPÉTITION, CE QUI REND LA VUE DU PADDOCK DE GOODWOOD À TRAVERS LE PARE-BRISE PARFAITEMENT DE CIRCONSTANCE
Stirling Moss ira chercher la pole, la victoire et même le record de la piste. Cette voiture sera également la seule DB4 GT engagée au Mans, cette même année. En 1960, Reg Parnell réalise un 0 à 160 en 20’’ à son volant sur la piste d’essai du MIRA. Les critiques sont élogieuses. Dennis May écrira à propos de DP199 dans Car and Driver : « Cela flatte nos ego d’anglais que de savoir qu’aucune voiture étrangère du même calibre, ou de quelque calibre que ce soit, ne peut venir inquiéter notre auto ».
Ainsi ce sont 75 DB4 GT qui sortiront des usines, auxquelles s’ajoutent 20 exemplaires carrossés par Zagato, dont huit ont été réalisées à Feltham et spécialement allégées. Les plus célèbres de ces dernières sont l’exemplaire de l’equipe Endeavour/tommy Sopwith, et les deux voitures de l’essex Racing Stables (17 TVX et 18 TVX) pilotées par Innes Ireland et Roy Salvadori. Ces deux dernières font également partie d’une série de cinq voitures ayant des faces avant et arrière redessinées selon les lignes de la DB5. Aujourd’hui, le statut de la DB4 GT file rapidement vers celui d’icône, et elle est reconnue comme étant l’une des Aston Martin les plus importantes et impressionnantes d’après-guerre. Pas mal lorsque l’on considère que le brief de John Wyer tenait sur un coin de page ! Le moteur démarre du premier coup, et sait se faire entendre sans se montrer intrusif. La consistance de l’embrayage est parfaite, mais la boîte semble assez différente de celle d’une DB classique. La course est plus courte et la sélection plus rapide. La première émet à peine un “clic” au crabotage. Je m’attendais à plus de bruit dans cet habitacle allégé de bon nombre de ses garnitures. Elle est certes plus bruyante qu’une GT de base, mais cela reste très acceptable. Le bruit de la boîte de vitesses est à peine perceptible, et celui du pont tout juste plus audible. Comme souvent sur les Aston, il n’est pas rodé, et une fois sur piste il se fait oublier.
Je le confesse, j’ai un peu de mal à croire ce qu’il m’arrive pendant les premiers tours de roues. Le moteur 4,2 l répond instantanément et grimpe avec entrain jusqu’à 6 000 tr/min. Avec les réglages actuels, la puissance se tasse vers 5 000 tr/ min mais ce n’est pas un souci ; les rapports sont parfaitement étagés pour Goodwood, et le couple est si présent qu’il n’est pas nécessaire de cravacher à la manière d’un pilote. Ce moteur est superbe : souple et agréable, il tracte sans efforts, me propulsant à 215 km/h dans la ligne droite de Lavant.
Grâce à ses faibles débattements, le maniement de la boîte est rapide et les rapports passent aussi facilement à la montée qu’à la descente, surtout en double débrayant. Les puristes s’attendaient peut-être à une boîte synchronisée, mais les crabots restent la solution la plus facile et la plus divertissante pour une GT de ce type, et ce même s’il était possible d’en faire un usage routier. La motricité est exemplaire pour une voiture dotée d’un essieu rigide, même sur des pneus froids, surtout comparée à d’autres DB4 GT. Elle a tout d’une vieille Aston, la vivacité en plus. En appui, dans les courbes moyennes, l’arrière accroche vraiment et vient figer la trajectoire. Dans les mauvais dévers, elle décroche de manière très saine, au point que cela devient un véritable plaisir. Aucun flou n’est perceptible dans la direction et la voiture se place bien. Cela dit, j’adopterais personnellement un réglage plus neutre là où l’actuel favorise le sous-virage (au besoin, il y a bien assez de poids sur l’avant pour la faire tirer tout droit). Les freins sont conformes à l’idée que je me faisais de la voiture d’origine : en l’absence d’assistance, il faut monter dessus, mais ils répondent présent, bien aidés par l’allégement.
La DB4 GT a brillé bien des fois à Goodwood pendant ses heures de gloires. Cette piste a une forte résonance symbolique pour la marque, et cette nouvelle GT s’y promène comme chez elle, affrontant les virages et les ondulations avec l’aplomb de rigueur.
J’ai le privilège d’avoir pris le volant d’une douzaine des DB4 GT originelles, plus ou moins affûtées, et je dispose donc de quelques points de repère. Je redoutais que cette refabrication ne soit, pour une raison ou une autre, pas à la hauteur. Il n’en est rien. C’est une nouvelle référence, mais toujours une ancienne gloire.