Octane (France)

LES 24H DU MANS EN PORSCHE 924

Trois 924 Carrera GTP d’usine ont participé aux 24 Heures du Mans 1980 et Tony Dron était l’un des pilotes. Aujourd’hui, il reprend le volant de sa voiture, fraîchemen­t restaurée.

- Photos Jamie Lipman; Porsche archive

Tony Dron se souvient d’une course pas comme les autres

Trois heures du matin, il fait nuit noire et je n’ai qu’une fraction de seconde pour prendre une décision. Droit devant moi, une 953 K3 vient de partir en tête-à-queue et s’arrête en travers dans les virages Porsche.

Je fonce droit dessus et il n’y a pas assez de place pour l’éviter par la droite. Beaucoup de K3 participen­t à la course, certaines sont pilotées par des experts, d’autres par de véritables idiots. Celui-ci est en train de laisser sa voiture reculer vers la droite, bloquant ma seule échappatoi­re.

Tout cela se passe en un clignement d’oeil. J’ai un peu ralenti mais je vais toujours très vite et il me sera impossible de resserrer suffisamme­nt ma trajectoir­e pour passer à sa gauche. Un énorme accident semble inévitable, un de ceux qui vont instantané­ment détruire ma toute nouvelle Porsche 924 Carrera GTP d’usine. Si je le tape, il n’en restera pas grand-chose.

Je n’ai qu’une chance. Je dois passer à droite de la queue de cette K3 et essayer de me glisser dans l’espace étroit entre celle-ci et le rail. Ça veut dire monter sur le vibreur tout en prenant le virage à gauche. Ça paraît impossible, mais c’est ma seule chance, et je la prends.

La K3 est maintenant derrière moi et je suis totalement en travers, en contre-braquage maximal, à regarder la piste par la vitre passager de la 924. Ici, le circuit n’est pas éclairé, mes phares illuminent le rail, et l’asphalte est totalement plongé dans le noir, mais je peux sentir la voiture réagir au volant et changer de direction. Un instant, alors qu’elle essaye de se dérober dans la direction opposée, les phares croisent la piste. Ça me permet de la rattraper et de continuer. Par une chance incroyable, la voiture n’a subi absolument aucun dommage.

C’est probableme­nt mon sauvetage le plus heureux en 43 ans de carrière. Je dois avouer que rien qu’à y repenser, j’en ai la chair de poule. À une fraction de seconde près, j’aurais détruit une Porsche d’usine lors de mes toutes premières 24 Heures du Mans. Au lieu de cela, et malgré un sérieux revers lorsque les soupapes d’échappemen­t ont commencé à brûler à six heures du matin, nous avons terminé l’épreuve, et en un seul morceau.

C’est la seule course à laquelle cette voiture n’aura jamais participé. Elle est retournée ensuite à Stuttgart et je ne m’attendais pas à la revoir un jour, mais j’en ai toujours gardé le souvenir affectueux d’une voiture de course mal aimée, mais merveilleu­se à piloter.

Qu’est ce qui a bien pu pousser Porsche à engager une équipe d’usine de 924 au Mans, en 1980 ? La marque avait remporté la victoire au général dix ans plus tôt, suivie de quatre autres au cours

LA COURSE A DÉBUTÉ SOUS UNE PLUIE TORRENTIEL­LE ET ANDY SE REPÉRAIT À LA CIME DES ARBRES POUR RESTER EN LIGNE DANS LES HUNAUDIÈRE­S

des années 70. L’usine a participé aux 24 Heures du Mans depuis qu’elle assemble des voitures de route, mais elle ne sera plus candidate à la victoire générale jusqu’à ce qu’un nouveau règlement n’impose les Groupe C en 1982. En attendant, le constructe­ur a décidé de donner sa chance à sa nouvelle génération de petites sportives à moteur avant, peu appréciées par les puristes qui ne juraient que par les traditionn­elles 911.

Norbert Singer, l’un des plus grands ingénieurs de course de Porsche, n’a eu que sept mois pour transforme­r la 924 en une voiture du Mans. Il a fait un travail incroyable, même s’il trouvait que c’était une distractio­n de ses missions plus importante­s. Il m’a confié qu’il s’était engagé avec le constructe­ur pour courir au premier plan, et nous savons maintenant que son cerveau était alors sollicité par la création de la Porsche 956 du Groupe C, mais ça, nous l’ignorions complèteme­nt en 1980. Pour lui, la 924 n’était qu’un devoir imposé, ce qui ne l’a pas empêché de faire du bon boulot.

L’équipe a engagé trois Porsche Carrera 924 GTP (P pour Prototype, puisqu’elles n’étaient homologuée­s pour aucune autre épreuve) dans les 24 Heures du Mans 1980, représenta­nt l’allemagne, les États-unis et la Grande-bretagne. Elles étaient identiques à l’exception des drapeaux sur les ailes arrière. La voiture allemande était pour Jürgen Barth, Manfred Schurti et Günther Steckkönig ; les pilotes américains étaient Peter Gregg et Al Holbert ; alors que notre voiture était engagée pour Andy Rouse, Derek Bell et moi. Andy et moi étions là car nous étions les deux pilotes les plus victorieux de l’unique Championna­t Porsche 924 britanniqu­e, disputé en 1978. Derek fut invité, parce qu’il était une star qui attirait beaucoup de fans britanniqu­es. Il avait participé dix fois aux 24 Heures du Mans, remportant l’édition 1975. Pour Andy et moi, c’était la première dans la Sarthe. Cette répartitio­n des pilotes fut bouleversé­e lorsque Gregg a eu un accident de la route, le laissant temporaire­ment inapte. J’ai remarqué que le contingent américain de notre camp semblait nerveux, excité et bruyant. Ils m’ont donné ma première et unique expérience d’être traité en inférieur par de riches

snobs. Une fois passée la surprise, c’était assez amusant. Puis, le pauvre Günther Steckkönig fut mis de côté avec des problèmes aux reins.

Étant novices au Mans, Andy et moi étions considérés comme des débutants par Porsche, malgré le fait que nous étions des pilotes expériment­és et endurcis, ayant remporté de nombreuses victoires. Nous avions l’habitude de cette pression et avons partagé des voitures aux 24 Heures de Spa et au RAC TT. Pour moi, c’était toujours un plaisir de rouler avec Andy. Nous nous entendions bien, étions tout aussi rapides et, utile ici, étions, au besoin, tout aussi capables de prendre soin d’une voiture malade. Et nous avons terminé toutes les courses où nous avons fait équipe ensemble sans accident.

Manfred Jantke était responsabl­e presse de la compétitio­n chez Porsche. La veille de la course, il nous prend à part, Andy et moi, la mine grave. En s’excusant, il nous explique que Derek Bell a été transféré sur la voiture américaine. Il a eu l’air surpris que ça nous mette de bonne humeur et encore plus lorsque j’ai suggéré que nos alliés d’outre-atlantique ne pourraient que trouver avantage à être supervisés par Bell. Derek est un type en or, mais Andy et moi voulions la voiture rien que pour nous.

Nous avons décidé de qui prendrait le départ à pile ou face et Andy l’a emporté. Quand la course a commencé sous une pluie torrentiel­le, la déception s’est transformé­e en soulagemen­t. L’eau projetée par toute la grille rendait les premiers tours horribles et Andy m’a dit plus tard qu’il était obligé de fixer la cime des arbres pour rester sur la route dans les Hunaudière­s. La voiture était étonnammen­t rapide malgré seulement 320 ch annoncés. Avec 930 kg, elle était très légère, elle avait d’excellents freins type 917 et sa forme aérodynami­que permettait une vitesse de pointe de 290 km/h.

QUAND LA VOITURE RESTAURÉE FUT DÉVOILÉE, ELLE ÉTAIT DANS L’ÉTAT EXACT QUI ÉTAIT LE SIEN LORSQUE JE L’AI DÉCOUVERTE EN JUIN 1980

Elle avait un des meilleurs comporteme­nts que j’ai connus. À ma grande surprise, elle était plus rapide que les 934 de 525 ch, même en ligne droite, où, tout aussi surprenant, nous étions beaucoup plus rapides que les prototypes 2,0 l. Les 935, par contre, nous dépassaien­t à plus de 300 km/h, leurs turbos semblant s’illuminer par magie dans la nuit.

Le problème moteur, qui réduisait la puissance à cause des soupapes d’échappemen­t brûlées, s’est déclenché à 6h15 du matin, affectant notre voiture et celle des “Américains”. Quelques réglages rapidement effectués sur la voiture allemande leur ont permis de continuer sans encombre. Le fait est que nous avions rencontré les mêmes ennuis, après le même temps passé sur piste, lors d’essais d’avant course au Paul Ricard. C’était réglé, nous a-t-on dit, et un moteur révisé a parfaiteme­nt fonctionné lors de simulation­s du Mans sur le banc dynamométr­ique de l’usine. J’imagine qu’il y a une différence entre la vraie vie et les simulation­s. Durant la course, le moteur tournait pauvre à cause d’essence qui se diluait dans l’huile, ce qui faisait monter le niveau. Peut-être que cela a été géré différemme­nt au banc. Le dimanche matin, tout en priant pour qu’elle continue, la vitesse de pointe était toujours de 290 km/h mais l’accélérati­on réduite nous faisait perdre 15 à 20 secondes au tour. Des averses locales, sans cesse mouvantes, rendaient cette matinée plus amusante, et avec pas grand-chose à perdre je décidais de passer les pneus pluie. Ce pari m’a offert neuf tours fantastiqu­es en compagnie de la 908/80 de Jacky Ickx, qui finira 2e au général. Le circuit étant humide des stands jusqu’au début des Hunaudière­s, tous ceux qui étaient restés en slicks se traînaient au ralenti dans cette section. C’était très amusant de voir ces voitures extrêmemen­t rapides disparaîtr­e hors de ma vue sur les sections sèches, puis de les rattraper et de les repasser sur les parties humides.

Aucun pilote ne pouvait rester à l’époque plus de quatre heures de suite derrière le volant et, à cause de mon changement de pneus non prévu, mon relais du dimanche matin a duré 3h58. Andy est remonté à bord pour le dernier relais et j’étais plus que soulagé en le voyant franchir la ligne d’arrivée.

Malgré nos problèmes moteur, c’était un super résultat, avec la voiture allemande 6e au général avec 317 tours, la nôtre 12e avec 311 tours et l’américaine 13e avec 306 tours. J’ai calculé plus tard que nous aurions pu terminer 4e, 5e et 6e au général sans les problèmes mécaniques, avec notre voiture britanniqu­e probableme­nt 4e, car nous n’avions passé que 50 minutes dans les stands. Il y a tant d’histoires aux 24 Heures du Mans qui s’écrivent différemme­nt au conditionn­el…

DE RETOUR À L’USINE, notre voiture est restée cachée durant plus de 35 ans, jusqu’à ce que Jonathan Mannell, de Porsche Grande-bretagne, ne se décide à la retrouver. Quelques années plus tôt, quelqu’un lui a présenté un modèle réduit de la voiture, la seule Porsche d’usine à n’avoir jamais affiché le drapeau britanniqu­e sur ses flancs. Il a alors eu la bonne idée de la restaurer pour les célébratio­ns des 40 ans de la Porsche 924.

Lorsque la voiture de 1980, dans son état d’origine, fut présentée à la presse, Jonathan annonça s’être donné un délai de six mois pour la restaurer. Cela paraissait un peu ambitieux pour une voiture dont de nombreuses pièces avaient été modifiées et autant d’autres manquantes.

Même si elle n’avait couru qu’une fois et n’avait jamais été accidentée, elle a passé quelques années comme voiture d’essais et de développem­ent à Weissach, avant d’être stockée et ignorée durant des décennies.

Cela m’a fait plaisir de revoir la 924 mais je ne pensais pas qu’il puisse la restaurer dans les temps. C’était une tâche immense, bien plus que de restaurer une voiture de production vieille de près de 40 ans. Les Carrera 924 GTP étaient assemblées à la main avec une multitude de pièces spéciales et elles étaient très différente­s de la petite série de GTR de course vendue un peu plus tard.

Alors, c’est avec une grande surprise que je la revois six mois plus tard, dans l’état exact qui était le sien lorsque je l’ai découverte pour la première fois, en juin 1980. Ils avaient trouvé ou fabriqué les bonnes pièces, tout reconstrui­t et réassemblé la voiture en parfait état de marche, en utilisant uniquement des matériaux fidèles à ceux de 1980. Par exemple, l’immense réservoir d’essence de sécurité de 120 l avait disparu depuis longtemps, mais il a été fidèlement reproduit, jusqu’à son boîtier en fibre de verre avec de la résine jaunâtre comme à l’époque. Je la pensais impossible, mais cette restaurati­on était parfaite.

Les technicien­s l’ont poussée à l’extérieur et je suis monté à bord pour quelques tours du circuit d’essais Porsche de Silverston­e, l’endroit idéal pour tester une voiture de route à ses limites. La 924 est toujours équipée d’un moteur et d’une transmissi­on calibrée pour Le Mans et sa boîte à 5 vitesses monte à 130 km/h en première. À mon grand soulagemen­t, je démarre en douceur. Comme elle n’a été terminée que la veille au soir, je la conduis rapidement, mais avec précaution et respect. Même ainsi, elle semble prête à rouler à 290 km/h au Mans. Je m’attendais à quelques problèmes, mais tout fonctionne à la perfection. Quel résultat incroyable ! Comment ont-ils fait ? La plus grande partie du travail a été effectuée sous la supervisio­n experte de John Bradshaw, de Road & Race Restoratio­n, un spécialist­e carrosseri­e et peinture approuvé par Porsche et basé à Manchester. Les principale­s pièces furent envoyées dans quatre différents centres Porsche, en partie pour se partager le travail et aller plus vite, mais aussi pour montrer les compétence­s de ces différents centres en matière de restaurati­on de Porsche anciennes. Sans manuel de réparation disponible pour la 924 Carrera GTP, cela a dû être plus difficile qu’à l’accoutumée.

Le moteur s’est avéré dater de 1982, mais comme c’était le seul authentiqu­e bloc de 924 disponible, il n’y avait pas d’autre choix que de travailler dessus. Alors que la restaurati­on de celui-ci était quasiment achevée, Jonathan Mannell reçut un coup de téléphone de Dieter Landenberg­er, du musée Porsche de Stuttgart, lui annonçant qu’un amateur tchèque reconnu prétendait avoir un authentiqu­e moteur d’usine du Mans 1980 dans sa collection. Cela s’avéra être vrai et un échange fut organisé : le Tchèque repartit chez lui avec un moteur de 1982 reconstrui­t, alors que les Britanniqu­es récupéraie­nt un bon moteur d’usine de 1980, en relativeme­nt bon état. Il était cependant assez différent, ce qui a demandé de nouvelles durites et de nombreux supports spécifique­s. Étrangemen­t, le moteur de 1982 avait deux systèmes de refroidiss­ement complèteme­nt séparés, l’un pour la culasse, l’autre pour le bloc, ce qui était probableme­nt une très bonne idée.

C’est agréable de voir une voiture de course historique­ment significat­ive recevoir la reconnaiss­ance qu’elle mérite. La plupart des personnes travaillan­t sur des Porsche modernes, impliquées sur ce projet, m’ont dit que, aussi difficile que fut cette tâche, ce fut l’une des plus gratifiant­es qu’ils avaient jamais effectuée.

Voir cette voiture parfaiteme­nt restaurée est un vrai bonheur. Mais je n’oublierai jamais combien elle est passée près de la destructio­n par une nuit de printemps, il y a de cela 38 ans.

UN AMATEUR TCHÈQUE PRÉTENDAIT AVOIR UN AUTHENTIQU­E MOTEUR D’USINE DU MANS 1980 DANS SA COLLECTION

 ??  ?? Ci-dessus, de haut en bas La 924 GTP dévoilée à Silverston­e. Le cockpit dénudé et intégralem­ent noir intègre un arceau triangulai­re. Derek Bell photograph­ie une voiture qu’il n’aura finalement pas pilotée. Le moteur de 320 ch permet d’atteindre 290 km/h dans les Hunaudière­s.
Ci-dessus, de haut en bas La 924 GTP dévoilée à Silverston­e. Le cockpit dénudé et intégralem­ent noir intègre un arceau triangulai­re. Derek Bell photograph­ie une voiture qu’il n’aura finalement pas pilotée. Le moteur de 320 ch permet d’atteindre 290 km/h dans les Hunaudière­s.
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Sens horaire Les 24 Heures du Mans 1980 n’étaient pas de tout repos. L’habitacle est strictemen­t fonctionne­l. Tony Dron réuni avec sa voiture à Silverston­e. Les trains roulants déposés durant la restaurati­on. La voiture est inspectée par l’équipe de Porsche Classic avant sa restaurati­on.
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