Octane (France)

PAUL BRACQ

Le “carrossier”

- Propos recueillis par Stéphane Geffray

Il faudrait dessiner les voitures en commençant par l’intérieur pour finir par l’extérieur ! Car au fond, ce que nous vivons en tant qu’automobili­ste est assez paradoxal : la voiture que nous avons choisie, dont les lignes nous ont séduits, celle dont nous avons amoureusem­ent scruté les galbes dans la rue ou chez le concession­naire, cette voiture, une fois qu’elle nous appartient… nous ne la voyons jamais, ou presque, puisque nous sommes à son bord ! L’intérieur d’une voiture est essentiel et, pour un carrossier, il soulève de nombreux problèmes. D’abord sur le plan technique, à cause de sa complexité : un intérieur, c’est plus de 250 pièces, qui toutes doivent s’assembler, se compléter, et finir par former un tout cohérent. Une carrosseri­e comporte beaucoup moins d’éléments, même si l’on prend en compte les chromes et tout l’accastilla­ge nécessaire. Plus compliqué encore, ces 250 pièces doivent former un ensemble esthétique, et surtout ergonomiqu­e ! Car dans cette petite cellule qu’est un habitacle, il faut pouvoir vivre des heures durant, dans le froid de l’hiver comme dans la chaleur estivale. Il faut, dans quelques mètres cubes, permettre une cohabitati­on agréable à plusieurs personnes : il y a celui qui conduit, et ceux qui se font conduire. L’un et les autres partagent cependant un élément essentiel, qui est les sièges. Or, les sièges d’une voiture sont ceux, à bien y réfléchir, dans lesquels nous passons le plus de temps : même dans votre fauteuil de salon préféré, vous ne resterez jamais trois ou quatre heures d’affilée ; et même dans un train ou un avion, il est possible de se lever pour faire quelques pas. Dans une voiture, non. Sur les sièges, j’ai une position très tranchée : je préfère infiniment la fermeté et le maintien à un confort de canapé, qui ne se justifie pas dans un objet en mouvement, soumis au roulage, au tangage, aux cahots. Au risque de choquer les Citroënist­es, je garde un très mauvais souvenir de quelques trajets en Citroën DS Pallas : les sièges de celle-ci n’étaient pas moelleux, ils étaient mous. Pire, ils n’offraient aucun maintien. Quelles que soient les qualités de la DS (je parle bien entendu de la “vraie”), c’est une voiture avec laquelle, à mon sens, il est impossible de faire corps. Or, c’est bien cela l’essentiel. Il faut faire corps avec sa voiture comme un cavalier fait corps avec sa monture. Et cela demande deux qualités essentiell­es : l’ergonomie et l’homogénéit­é. L’ergonomie, d’abord : ne pas avoir à chercher à tâtons un bouton, le trouver là où naturellem­ent les doigts vont se poser. Lorsque je travaillai­s chez Mercedes, je ne m’occupais pas du style intérieur ; en revanche, il est devenu un de mes sujets majeurs chez BMW, et plus encore ensuite chez Peugeot. Chez BMW, je suis fier d’avoir introduit des tableaux de bord dont la console centrale est orientée vers le conducteur. De manière amusante, l’idée est bien née sur une BMW, mais que je n’ai pas imaginée à Munich : c’est sur un coupé 1 600 que j’avais réalisé pour le carrossier français Brissonnea­u et Lotz (qui fabriquait aussi du matériel ferroviair­e et portuaire) que j’ai, pour la première fois, proposé ce type de dispositio­n. Même si cette voiture n’a jamais été produite en série, elle a certaineme­nt attiré l’attention de BMW, puisque c’est ensuite que j’ai rejoint la marque ! Il faut cependant le dire: aujourd’hui, les tableaux de bord sont un anachronis­me ! L’affichage tête haute et les commandes au volant sont le moyen le plus sûr pour ne jamais avoir à quitter la route des yeux. Et l’homogénéit­é ? Comme souvent, l’idée est simple à comprendre, mais c’est son exécution qui est difficile : il s’agit de faire en sorte que toutes les commandes, toutes les réactions d’une voiture, toutes les perception­s que l’on éprouve à son bord donnent un sentiment de cohérence. Au niveau de fermeté voulu, bien sûr : cette cohérence ne doit être ni celle du chewing-gum ni celle du béton ! À ce point de vue, j’ai toujours aimé les sensations que l’on ressent au volant d’une Porsche. Depuis ma première 356, (dont la présence sur le parking Mercedes à Stuttgart était, il faut bien le dire, diversemen­t appréciée !) jusqu’aux récentes 911, je retrouve cette cohérence qui est une des clés du plaisir que procurent les Porsche. Comme le style extérieur, la réussite d’un intérieur et la continuité des choix dans ce domaine contribuen­t à forger L’ADN d’une marque. Mais ceci est une autre histoire… sur laquelle je vous promets de revenir bientôt !

“LA RÉUSSITE D’UN INTÉRIEUR ET LA CONTINUITÉ DES CHOIX DANS CE DOMAINE CONTRIBUEN­T À FORGER L’ADN D’UNE MARQUE !”

 ??  ?? PAUL BRACQ dessine, sculpte et peint depuis plus de 70 ans ! Après des débuts chez Philippe Charbonnea­ux, il poursuit sa carrière chez Mercedes, puis BMW et Peugeot. Plusieurs de ses créations sont devenues des références, comme les Mercedes “Pagode”...
PAUL BRACQ dessine, sculpte et peint depuis plus de 70 ans ! Après des débuts chez Philippe Charbonnea­ux, il poursuit sa carrière chez Mercedes, puis BMW et Peugeot. Plusieurs de ses créations sont devenues des références, comme les Mercedes “Pagode”...

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