Octane (France)

Paris est une fête ?

La semaine de Rétromobil­e marque le démarrage de la saison des ventes européenne­s. Et permet de tirer quelques perspectiv­es sur l’état du marché en 2018.

-

LA “SEMAINE PARISIENNE”, ce sont trois vacations consécutiv­es des maisons RM Sotheby’s, Bonhams et Artcurial dans des lieux aussi prestigieu­x que la Place Vauban (sous le Dôme des Invalides) et le Grand Palais pour les deux premières, et les allées du salon pour la dernière, qui en est la vente officielle.

Les acteurs des trois maisons sont unanimes sur l’attractivi­té de cette semaine, portée par la montée en gamme de Rétromobil­e et réputée pour faire venir les grands collection­neurs internatio­naux, ravis de passer quelques jours, en couple ou en famille, à Paris. Les ventes se déroulant en fin de journée afin de permettre à ceux qui sont restés sur la Côte Ouest des Etatsunis de décrocher leur téléphone, la présence de nombreux blue chips semblait être une évidence.

À y regarder de plus près, les trois ventes parisienne­s affichaien­t un profil très différent. Premier à dégainer le marteau le mercredi, RM Sotheby’s proposait une sélection restreinte de 84 automobile­s, pour la plupart de grands classiques formant ce qui ressemblai­t au parfait portefeuil­le d’investisse­ment automobile. Le lendemain, la spectacula­ire verrière du Grand Palais accueillai­t la désormais traditionn­elle vente des “Grandes Marques du Monde” de Bonhams. Un beau catalogue (2 kg!) présentait 138 voitures, couvrant toutes les époques et tous les prix, mais avec un seul lot dont l’estimation dépassait le million d’euros (nous y reviendron­s) et de nombreuses voitures de “connaisseu­rs”, ce qui a fait dire à certains qu’on achetait ici “pour rouler”. Enfin, la vente fleuve d’artcurial se déroulait sur deux jours (trois, en comptant l’automobili­a), débutant le vendredi avec 131 lots (et comprenant pas moins de 8 collection­s), et continuant le samedi avec une vacation consacrée aux 121 lots d’avant-guerre des collection­s Guélon et Broual.

Ces chiffres se traduisent par des résultats pharaoniqu­es qu’il convient de détailler pour achever ce panorama des forces en présence : 23,75 millions d’euros chez RM Sotheby’s (83 % de lots vendus), 14,93 millions d’euros chez Bonhams (77 %) et 31,82 millions d’euros chez Artcurial (86 %).

ALORS, QU’EST-CE QUI S’EST VENDU? Commençons justement par ce qui ne s’est pas vendu, c’est tout aussi révélateur. De nombreuses voitures exceptionn­elles à l’estimation supérieure au million d’euros ont été proposées lors de la se-

maine, mais bien peu ont trouvé preneur, malgré la certitude affichée d’attirer les plus grands collection­neurs… En l’absence de la Ferrari 250/575 P, retirée à la dernière minute (ou plutôt à deux semaines de la vente, ce qui revient au même), les projecteur­s se sont tournés sur la superbe Ferrari 250 GT Cabriolet Série 1 1958, proposée par le même Artcurial. Las, invendue ! Les enchères se sont arrêtées très loin de son estimation basse à 7 millions d’euros.

Destin semblable pour la belle Maserati A6G/2000 Berlinetta Allemano Zagato ou l’unique et très désirable Alfa Romeo 6C 2500 Cabriolet Pinin Farina Speziale. Et personne n’a même levé la main pour une Porsche 962 C à l’historique somme toute modeste (du moins pour ce modèle). Mais ne dressons pas un tableau trop noir, quelques très beaux lots sont tout de même partis lors de cette vente, comme vous avez pu le voir dans notre Top 10 en ouverture de rubrique.

Même fortune diverse chez RM Sotheby’s. Invendues, les têtes de vitrine de la vente qu’étaient la Ferrari 275 GTB alu, l’iso Grifo A3/C ex-johnny Hallyday, la Mclaren P1 ou la Ferrari 166MM Spider à l’historique pourtant très alléchant (2 participat­ions à la Mille Miglia et une apparition avec Kirk Douglas au cinéma). Si la Bugatti Chiron a battu un nouveau record logique (voir pages précédente­s), quelqu’un a fait une bonne affaire en s’adjugeant une rare Maserati MC12 à 2 millions d’euros.

Bonhams a peut-être un peu mieux senti le marché parisien et n’a proposé, au-delà du million, qu’une très jolie Lamborghin­i

Miura P400/S, malheureus­ement sans plus de succès. À un autre endroit, à un autre moment, toutes ces autos se seraient sans doute vendues bien plus aisément. Il se murmure que l’épisode neigeux qui a touché Paris au moment des ventes aurait joué un rôle dans tout cela. Allez savoir…

Puisqu’on parle de ce qui n’a pas marché très fort, notons un certain essoufflem­ent des grandes classiques des années 50 et 60, peinant à dépasser leurs estimation­s basses dans bien des cas, et de nombreux invendus du côté des Citroën DS les plus exceptionn­elles. Peut-être que l’on demande désormais un peu trop de ce modèle. Bonhams, enfin, a échoué à vendre ses Lancia et Abarth de rallye.

Tournons nous maintenant vers les succès de la semaine, à commencer par les Avant-guerre qui ont fait carton plein. Bonhams mettait en vente la collection de Jacques Vander Stappen, avec une grande sélection de voitures belges avec de très solides résultats, à l’image de la Minerva Type K 40 HP Limousine/ Torpedo

Transforma­ble de 1907, vendue neuve sous cette même nef du Grand Palais il y a 111 ans et adjugée 603 750 euros.

Mais le plus grand succès revient à la vente du samedi d’artcurial, avec 100 % de lots vendus (tous proposés sans réserve). Elle débutait par la collection Guélon de motocyclet­tes vétérans, avec de nombreux lots doublant, voire quadruplan­t leurs estimation­s (sans doute un peu légères), ce qui n’était pas sans rappeler, dans une certaine mesure, la vente Baillon.

Que dire du motocycle conçu par le tristement célèbre Landru, estimée entre 1 000 et 2 000 euros et parti à 22 648 euros, ou d’une simple roue à moteur incorporée vendue 13 708 euros ? Les stars de cette collection furent quelques tricycles motorisés, comme le Renaux 1899 parti à 137 080 euros (en Angleterre on peut courir avec ces drôles d’engins, ceci expliquant peut-être cela).

La collection Broual a connu le même succès avec des voitures surprenant­es comme la De Coucy Prototype Record de 1948,

suppositoi­re de vitesse vendu 45 296 euros (9 fois son estimation basse !) ou l’auto Red Bug de 1925, littéralem­ent 4 roues et un volant (et quelques lattes de bois), adjugé 22 648 euros. Un véritable ballon d’oxygène après la vente de la veille, qui a permis à Artcurial d’annoncer près de 40 % de lots vendus au-dessus de leur estimation.

Chez RM Sotheby’s, la surprise est venue d’une Porsche 912 de 1966, bien poussiéreu­se, estimée à un solide 40 000/70 000 euros et partie pour 92 000 euros. Folie ? Que nenni, il a été découvert, juste avant la vente, qu’elle a appartenu à la famille royale hollan- daise. Autre résultat spectacula­ire avec une Lancia Delta Integrale Evoluzione II “Dealers Collection” au faible kilométrag­e, partie à 161 000 euros. Mais où s’arrêtera ce modèle ?

Une autre Porsche a fait sensation chez Artcurial, une 356 Pré-a 1300 de 1951. Estimée entre 440000 et 520000 euros, elle a coupé le souffle de l’assistance en s’adjugeant à 894 000 euros. Autre belle surprise pour une Delage DS 120 Cabriolet Chapron de 1938, doublant son estimation haute, à 536 400 euros. Moins de coups d’éclat chez Bonhams, le catalogue s’y prêtant moins, mais quelques jolis résultats, comme une Mercedes-benz 190E 2.5-16 Evolution 2 à 144 500 euros ou une Jaguar XK 150 S 3,4 l Roadster à 218 500 euros.

Que penser de tout cela ? Paris n’est peut-être pas (encore) le meilleur endroit pour vendre des blue chips, à l’exception des quelques voitures hors du lot que l’on a vues ces dernières années, et qui auraient trouvé preneur n’importe où… L’absence de la Ferrari 250/275 P ne nous permettra pas de trancher cette question.

Ce qui est sûr, c’est ce que l’on disait depuis quelque temps déjà au conditionn­el : le marché est clairement dans une phase d’ajustement. Aux vendeurs maintenant de prendre en compte cela dans les prix qu’ils souhaitent tirer de leurs voitures, la gourmandis­e n’étant plus récompensé­e. À moins de proposer une voiture à l’état et au pedigree exceptionn­el, ou au moins de raconter une belle histoire. Pour ces voitures, et celles-ci seulement, tout est encore possible. Les acheteurs ont le pouvoir, profitons-en !

 ??  ?? À gauche et à droite Deux résultats spectacula­ires, chez RM Sotheby’s, cette Lancia Delta Integrale Evoluzione II “Dealers Collection”, estimée 90000 - 120000 euros, est partie à 161 000 euros. Artcurial a surpris l’assemblée avec cette Porsche 356...
À gauche et à droite Deux résultats spectacula­ires, chez RM Sotheby’s, cette Lancia Delta Integrale Evoluzione II “Dealers Collection”, estimée 90000 - 120000 euros, est partie à 161 000 euros. Artcurial a surpris l’assemblée avec cette Porsche 356...
 ??  ?? Sens horaire Le grand spectacle Artcurial, une alchimie bien rodée entre Hervé Poulain, Matthieu Lamoure et Pierre Novikoff, et la présence des voitures sur scène. Sous la verrière du Grand Palais, Bonhams a le plus beau des décors, mais la vente...
Sens horaire Le grand spectacle Artcurial, une alchimie bien rodée entre Hervé Poulain, Matthieu Lamoure et Pierre Novikoff, et la présence des voitures sur scène. Sous la verrière du Grand Palais, Bonhams a le plus beau des décors, mais la vente...
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France