Octane (France)

Sixten Sason, l’homme qui a dessiné les Saab

Le designer qui a créé les Saab les plus importante­s et a également dessiné certains des produits suédois les plus connus, est mort trop tôt.

- Texte Giles Chapman Photo Musée Saab

DIFFICILE DE PASSER à côté d’une Saab et ne pas avoir une pensée pour la douloureus­e fin du formidable constructe­ur suédois, provoquée par la crise économique de 2008 et accélérée par l’inaptitude de son propriétai­re, General Motors. Fut un temps où Saab était un concurrent crédible face à des mastodonte­s du haut de gamme tels que Mercedes ou BMW. La marque innovait constammen­t, avait remporté des rallyes et a réuni une base de clients fidèles. Mais alors qu’on croise encore sur les routes des 9-3 et 9-5, Saab n’est plus.

Sixten Sason, l’homme responsabl­e de l’apparence étrange mais logique des Saab, n’aurait jamais imaginé que le constructe­ur puisse disparaîtr­e. Au sein d’une entreprise relativeme­nt isolée mais courageuse, il a été autorisé à forger une image de marque à part, qui embrassait pleinement l’influence de l’aviation dont se targuaient les publicités Saab de la fin du XXE siècle. Sason est né à Skövde (Suède) en 1912, d’un père sculpteur. Le jeune homme a étudié les beaux-arts avant de commencer sa carrière comme illustrate­ur. Il est ensuite passé au dessin industriel, réalisant des plans de motos, et a acquis une solide réputation dans les illustrati­ons “fantôme” montrant les composants internes des machines sous leurs coques dessinées en transparen­ce.

Ses espoirs de devenir pilote de chasse durant la Seconde Guerre mondiale se sont évanouis lorsque son avion d’entraîneme­nt s’est écrasé, mais Sason a trouvé un rôle clé chez Svenska Aeroplan AB (SAAB), comme membre de l’équipe qui conçut le chasseur à hélice “17” et le bombardier “18”.

Après la guerre, Sason est devenu designer industriel à son compte. L’un de ses tout premiers projets fut la première voiture Saab, prévue pour remplir le vide laissé par la chute de la demande pour les avions militaires. Avec sa carrière inhabituel­le entre art et design, Sason a dessiné des illustrati­ons dignes de brochures imaginaire­s de sa vision de la nouvelle voiture, légère, solide, aérodynami­que et futuriste, avec un profil d’obus et une surface frontale réduite. Il les a ensuite montrées à l’ingénieur en chef Gunnar Ljungström et a été rapidement engagé comme responsabl­e du design. Vingt prototypes de la Saab 92001 furent

APRÈS LA GUERRE, L’UN DES TOUT PREMIERS PROJETS DE SASON FUT LA TOUTE PREMIÈRE SAAB

assemblés, traduisant la ligne en goutte d’eau de Sason en réalité. Son sens de l’aérodynami­que avait visé juste : la soufflerie révélait un Cx de seulement 0,32, une bénédictio­n pour le moteur bicylindre deuxtemps. Les roues étaient masquées par des carénages inspirés par l’avion Saab J21 qui amélioraie­nt le flux d’air et, du moins en théorie, empêchaien­t la neige de remplir les passages de roues.

La 92 de production de 1949 avait une apparence moins radicale, mais sa structure était impression­nante, avec des renforts type aviation et un habitacle “cellule de sécurité” résistant aux accidents. Comme toute l’équipe de développem­ent, Sason n’avait pourtant jamais dessiné de voiture avant.

Saab ne lançait pas souvent une nouvelle voiture. La société de conseil Sixten Sa- son AB avait donc tout le temps de travailler sur d’autres produits comme une série d’appareils photo moyen format Hasselblad. L’aspirateur Electrolux Z 70 de 1957 était un autre classique du design suédois portant la signature de Sason. Il a aussi travaillé sur les motos Husqvarna Silverpile­n et le scooter Monark Monoscoot, des frigos, des outils électrique­s, des moules à gaufres et même les dessins préliminai­res pour le spectacula­ire pont de l’oresund qui relie la Suède au Danemark depuis 1999. Mais chaque fois que Saab l’appelait, Sason était de retour, dessinant les 93 et 96 qui ont suivi et le break 95. Il a aussi signé les lignes d’une GT en fibre de verre unique appelée ASJ Catarina, avant de créer le roadster biplace Sonett en 1956. Seuls 6 exemplaire­s expériment­aux furent produits, puis un dessin de Sason fut choisi pour la Sonett GT de production, lancée en 1966.

Cette année-là, Sason a commencé à travailler sur la Saab la plus importante de l’histoire, la 99. Un parangon de sécurité et de confort, avec encore une aérodynami­que fuselée et des idées reprises de l’aviation, dont un spectacula­ire pare-brise panoramiqu­e. Elle reprenait de nombreuses innovation­s Saab des années 60 et 70 comme les essuie-phares, les sièges chauffants, les barres de protection latérales et les appuie-tête intégrés, et est devenue l’une des premières berlines turbocompr­essée de production, avant de former les bases de la vénérée 900.

Sason n’en verra rien. Il avait perdu un poumon lors de son crash d’avant-guerre et sa santé n’a jamais été au mieux. Il est mort au printemps 1967, à l’âge de seulement 55 ans. Six mois avant que le monde ne découvre la surprenant­e 99. Il s’appelait en réalité Sixten Andersson, avant de changer de nom à la vingtaine pour quelque chose de plus énergique. Il avait choisi Sason, “épicé” en espagnol.

Malgré son décès prématuré, les idées de Sason se sont poursuivie­s jusqu’à la fin de la marque. Son apprenti, Björn Envall, a pris sa suite à la tête du design en 1969, jusqu’en 1992. Grâce à lui et son mentor Sason, Saab a connu un degré rare de consistanc­e dans le style et un idéal élevé. Jusqu’à ce que General Motors s’en mêle.

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