Madrid entre tradition et modernité
Pour les touristes, Madrid, c’est d’abord une série de lieux et de musées incontournables : Plaza Mayor, Palacio Real, Prado, Thyssen, Reina Sofia... Opéra Magazine vous propose quelques lieux moins connus du grand public, pour certains davantage des amateurs d’opéra, qui vous permettront d’aller plus loin dans la connaissance de la ville, notamment sous l’angle d’une modernité dont elle est devenue l’un des phares, tout en assistant, en soirée, à des spectacles inoubliables.
Matadero Madrid. Ce gigantesque centre de création contemporaine, créé en 2006, est devenu, en moins de vingt ans, un repère majeur, tant pour les Madrilènes que pour les touristes. Occupant les espaces, fermés et à ciel ouvert, de ce qui était, jusqu’en 1996, un abattoir (« matadero » en espagnol) et marché municipal pour la viande, il est situé dans l’arrondissement d’Arganzuela, dans le sud du noyau central de la capitale, et facilement accessible en métro. Le parti pris des architectes en charge de la rénovation ayant été de conserver au maximum l’allure originale des bâtiments, à l’extérieur comme à l’intérieur, le Matadero est, d’abord, une réussite architecturale, dans laquelle on a plaisir à déambuler. Pour ce qui est de l’offre culturelle, elle est tellement diversifiée qu’on a peine à en faire le tour : bibliothèque, cinémathèque, auditorium, centre de résidences artistiques, centre d’expériences immersives, médialab... et, bien sûr, multiples salles d’exposition, toutes d’impressionnantes proportions. La création contemporaine s’y déploie sous toutes ses formes, en mettant l’accent sur l’interdisciplinarité et le dialogue entre peinture, sculpture, architecture, photographie, littérature, théâtre, musique, vidéo, mode... La programmation est régulièrement renouvelée, et l’on ne manquera pas, pendant la visite, de faire une pause dans les deux cafés-restaurants, au design particulièrement accueillant et servant une excellente cuisine.
Teatro Real. Présente-t-on encore le principal théâtre d’opéra de la capitale ? Opéra Magazine rend régulièrement compte des temps forts de sa programmation, l’une des plus prestigieuses et passionnantes en Europe, qui, à elle seule, justifie le voyage à Madrid. Inauguré en 1850, fermé en 1925, car menaçant ruine, rouvert en 1966, en tant que salle de concert, il ne retrouve sa vocation initiale qu’en 1997, après de gros travaux. Sa sévère et imposante façade fait face au monumental Palacio Real (le plus vaste palais royal d’Europe occidentale !). La salle, également très sobre, peut accueillir 1 746 spectateurs, la saison s’étendant de septembre à juillet.
Teatro de la Zarzuela. Inauguré en 1856, sa vocation, dès le départ, a été de programmer des « zarzuelas », ces ouvrages lyriques que l’on qualifie, souvent et improprement, d’«opérettes espagnoles». Mal connu hors d’Espagne et d’Amérique latine, le genre, avec ses intrigues bien ficelées et ses mélodies irrésistibles, est un véritable régal : lors de votre prochain séjour à Madrid, courez voir une « zarzuela » ! Plusieurs fois transformé, le bâtiment, à l’époque où le Teatro Real n’avait pas été rendu à l’opéra, accueillait les chefs-d’oeuvre de Bizet, Gounod, Haendel, Mozart, Puccini, Verdi... Aujourd’hui, il se consacre presque exclusivement au genre dont il porte le nom, dans une salle ayant retrouvé, en 1998, l’essentiel de ses caractéristiques d’origine.
Auditorio Nacional. Inauguré en 1988, sur des plans de José Maria Garcia de Paredes, c’est le principal temple de la musique classique à Madrid, hors opéra et « zarzuela ». Situé au nord-est du centre historique, où se nichent le Teatro Real et le Teatro de la Zarzuela, il borde la très longue Calle del Principe de Vergara. Plus fonctionnel que séduisant, tant dans son apparence extérieure que dans ses espaces d’accueil, il contient deux salles : l’une dédiée aux concerts symphoniques (2 324 places), l’autre à la musique de chambre (692 places). L’acoustique de la première, dotée d’un orgue impressionnant, est excellente, comme j’ai pu le constater, le 5 décembre 2023, en écoutant la Symphonie n° 3 de Mahler, dans un parfait équilibre entre orchestre et choeur. L’Orquesta Nacional de España, le Coro Nacional de España et le Joven Orquesta Nacional de España ont leur siège à l’Auditorio Nacional, qui accueille également les plus prestigieuses phalanges espagnoles et étrangères. La Troisième de Mahler, par exemple, était jouée par l’Orquesta Sinfonica de Madrid, que les habitués du Teatro Real connaissent sous son autre nom : Orquesta Titular del Teatro Real. Au pupitre, officiait Gustavo Gimeno, qui deviendra le directeur musical du théâtre, en 2025.
Fundacion Juan March. Fondée en 1955, par le banquier et homme d’affaires Juan March (1880-1962), à l’époque l’homme le plus riche d’Espagne, la Fundacion s’est installée dans ses locaux actuels en 1975. Le bâtiment, construit par l’architecte José Luis Picardo Castellon, dans le même quartier de Salamanca que le Museo Lazaro Galdiano, peut séduire... ou pas, quand on le voit de l’extérieur. Extrêmement lumineux et spacieux, l’intérieur, en plus d’un petit auditorium (283 sièges), d’une salle de conférences, d’une bibliothèque et d’un café, abrite l’un des espaces d’exposition les plus courus de Madrid. L’accent y est mis sur la modernité, sous toutes ses formes. À titre d’exemple, jusqu’au 10 mars 2024, la Fundacion explore, sous le titre « Antes de America», la manière dont ont été réinterprétées, dans toutes les disciplines artistiques, les civilisations et cultures anciennes du Nouveau Monde, de l’Alaska à la Terre de Feu. La programmation musicale est également attirante avec, en septembre-octobre dernier, la résurrection de Grilletta e Porsugnacco de Hasse (Naples, 1757), avec orchestre et mise en scène.
Museo Lazaro Galdiano. Si vous n’y êtes jamais allé, c’est «le» musée des beaux-arts à visiter en priorité à Madrid, quand vous avez fait le tour des quatre « grands » : Museo del Prado, Museo Thyssen-Bornemisza, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia et Museo Real Academia de Bellas Artes de San Fernando. Propriétaire d’une immense collection de tableaux et objets d’art, l’éditeur José Lazaro Galdiano (1862-1947) la légua à l’État espagnol, à sa mort. Sa magnifique demeure, en plein coeur de l’arrondissement chic de Salamanca, fut aménagée en musée, qui ouvrit ses portes en 1951. La collection, remarquablement présentée, peut paraître hétéroclite, reflet des goûts de son propriétaire, mais elle a un immense avantage : chaque pièce, des tableaux aux statues, monnaies et faïences, est un chef-d’oeuvre. Pour nous en tenir aux peintures, citons Méditations de saint JeanBaptiste de Bosch, Saint François d’Assise de Greco, Sainte Rose de Lima de Murillo, Tête de jeune fille de Vélasquez, huit fulgurants Goya (dont les célèbres L’Invocation ou les Sorcières et Le Sabbat), Lady Sondes de Reynolds...