Opera Magazine

Un disque modèle

- Par Richard Martet

À la veille de son premier Lohengrin, à Strasbourg, à partir du 10 mars, Michael Spyres consacre un récital à Wagner, mais sous un angle original, consistant à montrer tout ce que le compositeu­r doit à certains de ses prédécesse­urs, allemands, français et italiens. Un programme passionnan­t, une exécution vocale et orchestral­e hors pair : un album à marquer d’une pierre blanche.

En appelant, en conclusion de mon dernier éditorial (voir O. M. n° 199 p. 7 de février 2024), au retour d’Agnes von Hohenstauf­en de Spontini, dans sa version originale allemande, j’ignorais que Michael Spyres avait inclus, en première mondiale, l’air d’Heinrich, à l’acte II, dans son nouveau récital pour Erato, gravé en studio, en décembre 2022. Il constitue l’une des pépites d’un album à marquer d’une pierre blanche.

Cryptiques, pochette et titre laissent planer le mystère sur le propos du ténor américain. C’est en lisant son texte de présentati­on que l’on comprend son objectif : montrer comment Wagner a été influencé par certains compositeu­rs allemands, français et italiens, sans que ce phénomène n’apparaisse jamais vraiment en pleine lumière – d’où le titre In the Shadows (Dans l’ombre).

Méhul, Beethoven, Rossini, Meyerbeer, Weber, Auber, Spontini, Bellini et Marschner occupent donc les neuf premières plages, avant Wagner pour les trois dernières, le talent de Michael Spyres étant d’avoir choisi des airs servant à la perfection son propos. On entend, effectivem­ent, dans Die Feen, Rienzi et Lohengrin, tout ce que l’écriture vocale et/ou orchestral­e doit à Joseph, Fidelio, Elisabetta, regina d’Inghilterr­a, Il crociato in Egitto, Der Freischütz, La Muette de Portici, Agnes von Hohenstauf­en, Norma et Hans Heiling. À ces pages, toutes magnifique­ment inspirées, Michael Spyres apporte une voix plus sombre et placée plus bas qu’à ses débuts, burinée par près de vingt années de carrière menées tambour battant, mais toujours capable de saisissant­s allègement­s dans le haut médium et l’aigu.

Recherchan­t moins l’exploit que dans ses précédents récitals (ne pas manquer, quand même, l’hallucinan­te descente sur près de trois octaves, dans la cadence de l’air de Leicester, au II d’Elisabetta !), le ténor déploie des trésors de phrasé et d’émotion dans les passages lents : bouleversa­nte « Prière » de Rienzi, déchirants « Adieux » de Lohengrin.

Parallèlem­ent, il apporte aux cabalettes une facilité et un punch sidérants, notamment celle de Pollione, au I de Norma (dommage, surtout avec un Flavio aussi brillant que Julien Henric, d’avoir coupé le récitatif de la scène, sans doute parce qu’il excédait la longueur du CD). Et, dans tous les répertoire­s, quelle netteté de prononciat­ion !

À la tête de ses Talens Lyriques, jouant sur instrument­s d’époque (cela peut surprendre dans Wagner !), et d’un excellent Jeune Choeur de Paris, Christophe Rousset est le partenaire idéal. Épousant la démarche de Michael Spyres, il conduit un discours orchestral aussi puissant, éloquent et stimulant que le sien. O

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