Glorieux !
Enregistré à Vienne, en 2021, avec la plus somptueuse distribution que l’on puisse réunir aujourd’hui, le nouveau Parsifal de Sony Classical crée l’événement.
nouvelle production de Parsifal, au Staatsoper de Vienne, confiée au metteur en scène russe, alors assigné à résidence, Kirill Serebrennikov, comptait parmi les événements les plus attendus de la saison 2020-2021, particulièrement pour son affiche, au sommet de laquelle trônait Jonas Kaufmann, entouré, pour leurs prises de rôles respectives, d’Elina Garanca et de Ludovic Tézier. Le Covid-19, lui, n’en avait cure, qui faisait rage depuis plus d’un an, et menaçait, chaque jour davantage, de provoquer son annulation.
Répétée et, finalement, rescapée, elle vit bel et bien le jour, le 11 avril 2021, devant les seules caméras d’Arte Concert, pour une diffusion, une semaine plus tard (voir O. M. n° 173 p. 56 de juin). Nous avions été captivé, comme rarement devant notre écran – alors seule fenêtre ouverte, ou presque, sur le spectacle vivant –, par une réalisation musicale et théâtrale parmi les plus fortes de cette période de triste mémoire.
Plutôt qu’un DVD – sans doute parce que le label avait, déjà, à son catalogue, le «chaste fol» de son ténor star, filmé au Metropolitan Opera de New York, en 2013 (voir O. M. n° 94 p. 75 d’avril 2014) –, Sony Classical a choisi d’éditer le seul reflet sonore de cette soirée d’exception, précédée, le 8 avril, d’une répétition générale, également captée par les micros.
Les photos du spectacle, qui illustrent abondamment un livre-disque luxueux, ne manquent certes pas d’attiser nos regrets de ne pouvoir revoir, avec le plateau d’origine, la mise en scène de Kirill Serebrennikov. Mais cette version constitue, bien plus qu’un lot de consolation, une référence moderne dans la discographie de Parsifal.
Faut-il relever, pour l’anecdote, que le minutage de chaque acte est idenrant
Ludovic Tézier (Amfortas) - Stefan Cerny (Titurel) - Georg Zeppenfeld (Gurnemanz) Jonas Kaufmann (Parsifal) - Wolfgang Koch (Klingsor) - Elina Garanca (Kundry)
Chor und Orchester der Wiener Staatsoper, dir. Philippe Jordan
4 CD Sony Classical 194399477427 tique, à quelques secondes près, à celui de la version dirigée par Christian Thielemann, dans le même théâtre, en 2006 (Deutsche Grammophon) ? À croire que c’est l’orchestre, l’un des plus augustes dépositaires d’une partition qu’il joue chaque année, qui impose le mouvement d’ensemble au chef, plutôt que l’inverse...
Son directeur musical, Philippe Jordan, qui compte parmi les wagnériens incontestables de l’époque, a, assurément, mûri son interprétation du « Bühnenweihfestspiel». Jusqu’à parvenir, dans une pulsation médiane – pour une durée totale d’à peine plus de quatre heures –, à cette ferveur sereine, cette volupté sonore, dans le hiératisme, qui trouvent la transparence au coeur même de la profondeur d’une phalange en état de grâce. Et qui chante, depuis la fosse, comme nulle autre – même si la prise de son privilégie le plateau, au risque d’un (dés)équilibre étranger à la réalité du théâtre.
Quelles voix glorieuses, au demeuLa ! Si le placement hors scène de Titurel tend à neutraliser Stefan Cerny, Wolfgang Koch, dont les moyens se sont, depuis, dégradés, projette encore son Klingsor avec mordant, à défaut d’une vraie noirceur. D’autres basses ont eu, dans les récits de Gurnemanz, davantage d’ampleur que Georg Zeppenfeld, mais l’éloquence, comme de soudains accès d’impérieuse autorité, tiennent supérieurement en haleine.
Immense est, d’emblée, Ludovic Tézier, qu’il était temps que le CD immortalise dans un rôle d’envergure – à quand un grand Verdi, à ce niveau, alors qu’il faut, pour l’instant, se contenter d’Amonasro dans Aida (Warner Classics) et de Macbeth, en français et modestement entouré (Dynamic) ? En Amfortas, le baryton déploie ce bronze aussi somptueux que malléable, dans lequel il modèle l’expression bouleversante de la blessure. Débuts magistraux, pour celui qui, chez Wagner, n’avait été, jusqu’alors, que Wolfram (Tannhäuser), et prépare, à présent, Wotan (Der Ring des Nibelungen).
En débuts, aussi, et tout aussi sensationnelle, Elina Garanca est aux antipodes des Kundry sauvages et égarées – peut-être parce qu’elles n’ont de timbre qu’écorché. Prenant appui sur le velours inépuisable du grave, elle fascine, tour à tour maman et putain, par le galbe de la ligne. Et soudain, au II, « lachte » éclabousse et transperce, d’une lumière de feu, laissant abasourdi, suffoqué même, bien après le long silence qui le suit. Jonas Kaufmann, enfin, réaffirme sa suprématie sur Parsifal, immédiatement reconnaissable, quoique assombri encore, mais avec une franchise d’émission qu’il n’a pas toujours, et comme puisant dans les ténèbres les élans d’un héroïsme irradiant. Indispensable, décidément !