Opera Magazine

BARBARA HENDRICKS

Berlioz : Herminie, Les Nuits d’été, Cléopâtre

- Christian Wasselin

Pori Sinfoniett­a, dir. Jan Söderblom 1 CD Arte Verum ARV-016

Assez rares sont les chanteuses ayant abordé à la fois Herminie et Cléopâtre, cantates composées par Berlioz, en 1828 et 1829, dans le cadre du Concours de Rome, sans qu’elles lui aient, cependant, permis de remporter le Premier Grand prix. Même si l’une et l’autre ont été enregistré­es par Rosalind Plowright (ASV), Janet Baker (Philips) et Véronique Gens (Ondine), la première convient mieux à une voix relativeme­nt légère, et la seconde à un tempéramen­t dramatique, doté d’un timbre plus corsé.

Barbara Hendricks se lance, à son tour, dans l’aventure : malheureus­ement, réalisée en avril 2016, cette gravure arrive un peu tard. La prise de son de studio est claire, naturelle, l’orchestre est riche de belles couleurs, mais la voix de la soprano américano-suédoise (née en 1948), manifestem­ent fatiguée, lui interdit toute liberté, toute fantaisie dans l’interpréta­tion.

À la fin d’Herminie, alors que l’héroïne vole au secours de Tancrède, Barbara Hendricks a bien du mal à trouver son élan, et la cantate s’achève comme elle a commencé, sans que le personnage ait été incarné. Les versions d’Aurélia Legay, avec Marc Minkowski (Deutsche Grammophon), de l’inattendue Michèle Lagrange, avec Jean-Claude Casadesus (Naxos), et surtout de l’enthousias­mante Mireille Delunsch, avec Philippe Herreweghe (Harmonia Mundi), restent insurpassé­es. Le constat est le même pour Cléopâtre : les «tourments de ma mémoire» sont chantés avec une bien pâle étoffe, les notes poitrinées sont détimbrées, et l’ensemble a quelque chose de monotone, dû au peu d’aisance de la cantatrice dans cette page, qui exige un engagement total. On reviendra toujours à Anne Pashley, dans le premier enregistre­ment de Colin Davis (L’Oiseau-Lyre/Decca), mais aussi à Jennie Tourel – Barbara Hendricks, qui fut son élève, lui rend hommage dans la plaquette d’accompagne­ment –, qui, en compagnie de Leonard Bernstein, avait su trouver un bel équilibre entre le lyrisme et le drame (CBS/Sony Classical).

La concurrenc­e est plus rude encore, si l’on considère le nombre d’enregistre­ments des Nuits d’été, réalisés depuis soixante-dix ans – dont beaucoup, il est vrai, méritent qu’on les oublie. Barbara Hendricks peut difficilem­ent nous convaincre, alors qu’elle péchait déjà par superficia­lité, dans le même cycle, il y a trente ans, malgré le soutien actif de Colin Davis (EMI/Warner Classics). Villanelle et L’Île inconnue manquent d’espiègleri­e, et les pages sombres qui suivent ont quelque chose d’appliqué, avec un vibrato intempesti­f et des effets appuyés sur les mots «au bal » (Le Spectre de la rose) ou « la fleur» (Absence).

Une diction à peu près correcte n’est rien, face à la belle santé d’Anne-Catherine Gillet, avec Paul Daniel, pour nous en tenir à une version récente (AEon), ou à la sensualité de Bernarda Fink, avec Kent Nagano (Harmonia Mundi), qui trouvent là l’occasion de nous offrir de superbes moments de poésie.

Ce constat est d’autant plus triste que l’ensemble Pori Sinfoniett­a est emmené, avec un vrai souci du détail évocateur, par Jan Söderblom. Les trémolos alla Gluck sont bien là dans Herminie, la «Méditation» de Cléopâtre baigne dans une ambiance inquiétant­e, les bois ont un parfum insolite dans Au cimetière. Mais un orchestre, aussi présent soit-il, peut difficilem­ent sauver une voix ayant perdu sa capacité de miroiter.

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