Opera Magazine

RUSSELL OBERLIN

The Complete Recordings on American Decca

- Michel Parouty

Music of the Medieval Court and Countrysid­e (For the Christmas Season) ; The Play of Daniel : A Twelfth Century Musical Drama ; Sacred Music of Thomas Tallis ; Elizabetha­n and Jacobean Ayres, Madrigals and Dances ; Handel Arias ; Josquin des Prez : Missa Pange Lingua, Motets & Instrument­al Pieces ; Baroque Cantatas : Telemann, Buxtehude, Handel ; Russell Oberlin Recital/Songs from Musicals and Movies ; William Walton : Façade Orchestres et chefs divers

9 CD Deutsche Grammophon 486 4034

Malgré l’engouement actuel pour les contre-ténors, la France a tendance à oublier l’Américain Russell Oberlin (1928-2016) – il est vrai que les rééditions de ses enregistre­ments n’ont guère proliféré, l’album Handel Arias mis à part, reparu chez Deutsche Grammophon, en 2007 (voir O. M. n° 16 p. 72 de mars). Les amateurs et les curieux se réjouiront donc que la même firme propose, en neuf CD, reproduisa­nt les pochettes d’origine, l’intégrale des gravures effectuées, entre 1957 et 1964, pour la filiale américaine de Decca, par ce chanteur hors norme.

Né dans l’Ohio, Russell Oberlin se fait remarquer très tôt, en chantant à l’église comme soprano garçon, étonnant l’auditoire par la beauté de sa voix. S’ouvre alors, pour lui, une carrière d’enfant prodige tous azimuts. On lui fait enregistre­r des jingles publicitai­res radiophoni­ques, dont un pour le papier toilette Seminole, et il participe au fameux concours «Major Bowes Amateur Hour».

Étudiant ténor à la prestigieu­se Juilliard School, en 1951, il commence à étendre son ambitus vocal, se trouvant de plus en plus à l’aise dans l’aigu, sans jamais recourir au falsetto, comme le faisait son seul concurrent de l’époque, le Britanniqu­e Alfred Deller – donc, en conservant l’appui du registre de poitrine.

En ce début des années 1950, le chef de choeur Noah Greenberg fonde un ensemble dédié à la musique ancienne, le New York Pro Musica. Russell Oberlin en devient l’un des membres et enregistre, avec lui, plusieurs anthologie­s de pièces médiévales. Parmi celles-ci, Ludus Danielis, qui donne lieu, en 1958, à des représenta­tions dans le cadre de The Cloisters, départemen­t du Metropolit­an Museum of Art, situé au nord de Manhattan. L’écho de ces soirées figure dans le coffret, le titre de l’oeuvre étant traduit en anglais sur la pochette : The Play of Daniel.

Dans la même veine, avec la même spontanéit­é et la même fraîcheur dans l’interpréta­tion, il faut écouter quatre albums, qui sont des premières en CD : Music of the Medieval Court and Countrysid­e (For the Christmas Season) (1957) ; Sacred Music of Thomas Tallis, avec notamment The Lamentatio­ns of Jeremiah (1959) ; Elizabetha­n and Jacobean Ayres, Madrigals and Dances, où Russell Oberlin est, entre autres, le soliste inspiré de Flow, my teares de Dowland (1959) ; et Josquin des Prez : Missa Pange Lingua, Motets & Instrument­al Pieces (1960).

C’est avec plaisir que l’on retrouve le récital Handel Arias (1959), même si le manque de finesse de l’orchestre (Baroque Chamber Orchestra, dirigé par Thomas Dunn) et la rigidité des tempi portent leur âge. Plus rares que les extraits de Messiah, Israel in Egypt et Rodelinda, les airs de Muzio Scevola et Radamisto mettent en valeur les talents de l’interprète : l’élégante simplicité des récitatifs, la précision d’une ligne mélodique, dont chaque mesure est chargée d’émotion, et ce timbre unique, charnu, qui ne cesse de surprendre, à l’opposé des couleurs irréelles et diaphanes d’Alfred Deller, son exact opposé.

Même enchanteme­nt dans le disque, lui aussi inédit en CD, Baroque Cantatas : Telemann, Buxtehude, Handel (1961). Avec la joie d’entendre, dans Gott will Mensch und sterblich werden de Telemann, le violon du grand Alexander Schneider, ou, dans Deine Toten werden leben du même, la brillante flûte à bec de Bernard Krainis. Inédit, encore, l’album Russell Oberlin Recital (1960), qui passe sans complexe des anonymes St. Godric Songs du XIIe siècle à de merveilleu­x Wolf, via Robert Jones, Purcell et Schumann. Il est complété par quatre Songs from Musicals and Movies (1959), dont l’ineffable Love is a Many-Splendored Thing, tiré du mélo du même nom (en français, La Colline de l’adieu), tourné par Henry King, en 1955.

Encore un disque inédit dans ce format, et non des moindres : William Walton : Façade, pour récitants et orchestre de chambre (1964). Russell Oberlin y partage les poèmes d’Edith Sitwell, avec Hermione Gingold – la «Mamita» de Leslie Caron, dans Gigi de Vincente Minnelli, et, surtout, la créatrice de Madame Armfeldt dans A Little Night Music de Stephen Sondheim. La voix rocailleus­e de la comédienne britanniqu­e, d’un côté, celle, insolente de santé, du contre-ténor, de l’autre, impayable lorsqu’il découpe les mots au scalpel, avec une rapidité digne d’un personnage de cartoon: le pur bonheur ! En 1966, Russell Oberlin, âgé seulement de 38 ans, met fin à une carrière commencée à 6 ans, pour se consacrer à l’enseigneme­nt. Il s’éteint, le 25 novembre 2016, à New York. Le coffret Deutsche Grammophon a le mérite de ressuscite­r cette voix étrange et prenante, androgyne, voire asexuée pour certains, s’étendant sur deux octaves, pour atteindre des hauteurs fascinante­s.

Comme le disait, lui-même, cet homme aux allures de college boy bien sage : «J’ai simplement découvert que, plus je chantais des parties élevées, plus cela me devenait facile. Je peux utiliser le falsetto, mais sans aller plus haut, et la qualité n’est pas la même.»

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