BERLIOZ ET PARIS
Sous la direction de Cécile Reynaud
Actes Sud/Palazzetto Bru Zane. 602 p. 45 €
Il y a différentes manières de mettre en scène Berlioz à Paris. L’une d’elles consiste à lancer un auteur sur les traces de l’artiste dans la grande ville. Une autre est de réunir différentes contributions, sous la forme d’un épais volume. C’est cette seconde solution qui a été choisie par Actes Sud et le Palazzetto Bru Zane, qui viennent de publier, sous la direction de Cécile Reynaud, les actes d’un colloque tenu à Paris, en décembre 2019, à l’occasion des 150 ans de la mort du compositeur. Une trentaine de contributions sont ainsi consacrées au rôle joué par Berlioz, au cours des cinq décennies qu’il a passées dans la capitale. En réalité, si l’on excepte ses voyages hors de France, la carrière de Berlioz a eu pour cadre essentiellement Paris, et traiter de «Berlioz et Paris», c’est envisager l’activité du musicien sous toutes les facettes qu’il a illustrées. On ne cherchera donc pas, dans ce volume, une évocation de l’attachement particulier de Berlioz à Paris, mais une série d’études sur son activité de compositeur, chef d’orchestre, journaliste et organisateur de concerts. Comme tout ouvrage de ce type, ce livre propose des contributions d’un intérêt varié. Un article essentiel est celui que consacre Frédérick Sendra à la Salle Herz, inaugurée en 1839 et aujourd’hui disparue, dont la Gazette de France affirmait qu’elle était le «plus beau temple musical de Paris» (Berlioz y donna, notamment, L’Enfance du Christ).
Tout aussi captivant est celui de Jennifer Walker sur l’architecture et l’acoustique de Saint-Eustache, l’église qui avait la préférence de Berlioz. On lira aussi, avec plaisir, l’article espiègle de Gunther Braam intitulé «Épisodes de la vie d’un chercheur», riche de nombreux tableaux chronologiques, à propos des oeuvres de Beethoven, Schumann, Mendelssohn et Wagner, que Berlioz a réellement entendues.
Avec autant d’humour que de perspicacité, Peter Bloom évoque les liens entre Berlioz et l’Institut de France, une autre idée fixe du compositeur. Hervé Audéon analyse, avec minutie, l’activité de Berlioz au sein de l’Association des Artistes Musiciens, que présidait le baron Taylor, cependant qu’Yves Rassendren évoque, lui, la manière dont les compositeurs français, qui ont suivi chronologiquement Berlioz, l’ont bien ou mal compris.
Catherine Massip livre une analyse fouillée des concerts donnés à Paris, au cours d’une année type (1857), dans la perspective de l’étude d’Étienne Jardin sur le jeune Berlioz, contraint de se faire entendre en dehors du circuit habituel. On apprend beaucoup sur Berlioz et les Expositions universelles, grâce à Emmanuel Reibel, dont la contribution étoffe celle de Laure Schnapper sur Berlioz et Isaac Strauss, «le Strauss de Paris». On se rappelle, avec D. Kern Holoman, la manière dont le centenaire de la naissance de Debussy (1962) a préparé celui de la mort de Berlioz (1969). Et l’on fait un pas de côté en compagnie d’Henri Vanhulst, qui traite de Berlioz dans la presse belge. Anastasiia Syreishchikova-Horn traite de la manière dont Berlioz a fait connaître Glinka, pour qui Berlioz était «le compositeur le plus génial de notre temps» ; Mariko Kiuchi consacre une analyse technique au Requiem ; Rosalba Agresta évoque les salons, que Berlioz a – et surtout – n’a pas fréquentés ; Lucas Berton traite de Berlioz et Liszt journalistes ; Michela Landi revient sur le trio Berlioz-Liszt-Wagner. Plus neufs, Yannick Simon fait de Charles Lamoureux « le plus berliozien des wagnériens» (avec, là encore, listes et tableaux à la clef !), et Stella Rollet enquête sur les différents emplois, de choriste à directeur, qu’a pu prétendre occuper Berlioz dans les théâtres parisiens.
Nizam Kettaneh évoque la polémique soulevée par Paul Scudo dans la Revue des Deux Mondes, mais rappelle qu’Ernest Reyer fut un infatigable défenseur de Berlioz, comme le souligne, aussi, Jacqueline Lalouette dans son article sur les statues représentant Berlioz, qu’on peut rapprocher de celui d’Alban Ramaut sur les tombes de Berlioz et de ses proches. Et Sabine Le Hir fait un point précis sur les études de médecine, entreprises par le musicien.
Plus inattendues sont l’étude que consacre Rainer Schmusch au méconnu Joseph-Esprit Duchesne, qui écrivit quelques articles sur Berlioz et le remplaça au Journal des débats, lorsque le compositeur était en voyage, et la contribution de Thomas Vernet sur les manuscrits et imprimés d’oeuvres de Berlioz (notamment Les Troyens), présents au sein de la collection du pianiste François Lang, qu’on lira parallèlement
à celle de Cécile Reynaud sur le piano-chant acquis, en 2014, par la BNF (qui nous apprend beaucoup sur l’apport de Pauline Viardot).
L’article «Berlioz, Paris et Lille» de Guy Gosselin s’imposait, car Berlioz voyait dans «la capitale des Flandres, la ville la plus musicale de France». De même, celui de Bruno Messina, directeur du Festival de La Côte-Saint-André, qui évoque l’arrivée de Berlioz à Paris et sa place parmi les Dauphinois de la capitale, «Dauphinois dont il se moque un peu, comme il se moque un peu de tout et de lui-même».
Cet ouvrage est illustré : l’une des photographies les plus émouvantes est, peut-être, celle qui représente un adolescent en la personne de Hugh Macdonald, rédacteur en chef de la «New Berlioz Edition» chez Bärenreiter, devant l’ancienne tombe de Berlioz, au cimetière Montmartre.