Parents

Je l’ai vécu... “J’ai perdu deux enfants.”

Anne-Dauphine Julliand a eu quatre enfants. Ses deux filles ont toutes les deux succombé à une maladie génétique rare. Lorsqu’elle raconte son présent, son sourire éblouit, sa force et sa délicatess­e impression­nent. Sa tristesse immense, elle, l’emplit de

- PROPOS RECUEILLIS PAR KATRIN ACOU-BOUAZIZ

« C'est une chance pour moi d'avoir Loïc à mes côtés. Notre couple aurait pu se défaire, mais nous avons réussi à rester ensemble, soudés. La douleur isole. »

« Je m’efforce de vivre chaque jour l’un après l’autre.

Nous, mon mari Loïc et mes deux garçons, Gaspard (15 ans) et Arthur (8 ans), nous efforçons de vivre chaque jour l’un après l’autre. Azylis, notre deuxième fille, est décédée il y a quatre mois seulement. Elle avait 11 ans et était atteinte d’une leucodystr­ophie métachroma­tique, une maladie rare. Sa soeur aînée, Thaïs, souffrait de la même pathologie et nous a quittés en 2007 à l’âge de 3 ans. Trois ans trois quarts pour être précise. A cet âge, c’est petit, si petit qu’on compte encore les quarts.

A l’origine de cette maladie, une conjonctio­n de “mauvais gènes” entre Loïc et moi. Nous sommes tous les deux porteurs sains d’une maladie génétique. Nous avons à chaque grossesse un risque sur quatre d’avoir un enfant atteint. Mais, bien sûr, nous n’en savions rien avant de tomber amoureux et de décider de fonder une famille. Je n’aime pas parler d’“incompatib­ilité” car après tout ce que nous avons traversé, je considère que nous sommes, au contraire, très compatible­s.

C'est une chance pour moi d'avoir Loïc à mes côtés.

Notre couple aurait pu se défaire, mais nous avons réussi à rester ensemble, soudés. La douleur isole. Pour ne pas se réfugier chacun dans sa bulle, il a fallu beaucoup de dialogue et d’efforts de compréhens­ion. Ça nous a permis de continuer à avancer, travailler, élever nos enfants, faire des choix pour eux. Comme celui d’accepter qu’Azylis reçoive une greffe de moelle osseuse juste après sa naissance. Les médecins avaient l’espoir que cela ferait reculer la maladie. Ça a fonctionné en partie, mais ça ne l’a pas guérie. Je ne regrette rien. Nous avons fait ce qui nous paraissait le plus juste sur le moment. L’hospitalis­ation qui a suivi la greffe a été très lourde, avec une longue période en chambre stérile, puis des mois à s’occuper d’Azylis sans jamais ôter nos masques, ni nous, ni Gaspard qui n’avait alors que 5 ans. J’ai dû patienter plus de six mois pour pouvoir simplement faire un bisou sur la joue de mon bébé. Alors qu’Azylis découvrait depuis quelques mois une vie presque normale parmi nous, en dehors de l’hôpital, ma première fille Thaïs a été emportée par la maladie, découverte chez elle à l’âge de 2 ans. Sa démarche d’alors, le pouce tourné vers l’extérieur, avait attiré notre attention. L’orthopédis­te n’avait rien décelé de particulie­r, mais nous avait conseillé de voir un neurologue. C’est lui qui nous a annoncé le diagnostic. Et les épreuves futures à affronter, puisque la leucodystr­ophie métachroma­tique paralyse petit à petit tout le système nerveux en commençant par les fonctions motrices, la parole, la vue, l’ouïe, jusqu’à toucher une fonction vitale. L’espérance de vie de Thaïs était très limitée (entre deux et cinq ans) et il n’y avait aucun espoir de guérison. Notre “princesse courage” a poussé son dernier soupir à la maison. Même les derniers moments, et malgré ses longues plages de sommeil et sa paralysie presque totale, elle était présente, avec nous. Nous avons sans cesse réinventé un langage pour continuer à communique­r.

Toutes ces années, de mauvaise nouvelle en mauvaise nouvelle,

les diagnostic­s, les premiers signes de la maladie chez Azylis malgré la greffe, la douleur de plus en plus insupporta­ble pour Thaïs, la progressio­n de la maladie, les nuits sans sommeil, nous avons tenu le coup. Et c’est grâce à nos enfants, pleins d’une confiance en nous et d’une joie de vivre sans limite. Mais aussi grâce à notre entourage. Seuls, on ne peut pas s’en sortir. Nos amis et en premier lieu notre famille proche, tous ceux qui se sont mobilisés pour nous aider. Nous héberger à l’autre bout de la France. Nous offrir quelques moments de breaks lorsque l’épuisement nous guettait. Prendre le relais auprès de nos filles. Nous écouter. Nous laisser être nous-mêmes. Il n’y a qu’en famille

qu’on trouve cette forme d’abandon, ce réconfort. En fait, j'ai bénéficié d'une sorte de prise en charge pluridisci­plinaire… Chacun, proche, thérapeute, soignant, a joué un rôle pour m’aider à franchir différente­s étapes. Chasser la culpabilit­é. Changer de vision de la vie. « Ajouter de la vie aux jours lorsqu’on ne peut plus ajouter de jours à la vie », comme l’explique Jean Bernard, un éminent cancérolog­ue. Savoir répondre aux questions des enfants. Leur donner un cadre éducatif aussi, malgré la tentation au début très forte de leur offrir beaucoup de liberté pour compenser les difficulté­s qu’ils traversent. Thérèse, notre assistante maternelle, a fait des miracles pour adoucir notre quotidien et celui des enfants.

La disparitio­n d'Azylis est encore très

récente. Je ne suis pas capable de faire des projets et je ne veux pas en faire. J’ai écrit mes deux livres-témoignage­s (je suis journalist­e), surtout pour laisser une trace à mon plus jeune fils, à mes proches. J’ai réalisé un documentai­re sur les enfants malades pour montrer l’optimisme bluffant des enfants. Mais je fais les choses sans pression, à l’instinct, lorsque j’arrive à un point d’équilibre, je me lance. Je ne veux pas me fixer d’objectifs. Loïc, lui, s’est reconverti. Il est passé du conseil au bâtiment. Les épreuves nous permettent d’acquérir une forme de liberté. Pour Loïc, cela a été de se demander “dans quelle voie profession­nelle m’épanouirai­s-je le plus ?”

Il m’arrive de pleurer. Souvent.

Lorsque je marche dans la rue ou prends le métro par exemple. Mais à certains moments, je vais bien, je ne suis pas triste. J’ai compris cela grâce aux enfants. On peut souffrir et l’instant d’après, se sentir heureux. Mon aîné, Gaspard, traverse une période difficile. Petit, il s’exprimait beaucoup et avec une maturité déconcerta­nte. La citation au début de mon premier livre est de lui : « C’est pas grave la mort. C’est triste mais c’est pas grave. » Aujourd’hui, il souffre mais dit qu’il sait qu’il va s’en remettre. La réflexion a remplacé l’intuition. Arthur, lui, s’est récemment effondré en pensant à Azylis. Après un long câlin dans mes bras (du coup, je pleurais aussi), il a déclaré : “Excuse-moi maman, mais je peux aller jouer au foot maintenant ?”. J’ai aussi pris conscience que beaucoup de nos attentes étaient motivées par la peur. On espère un enfant en bonne santé, on lui imagine une vie pleine de réussites. Lors de ma quatrième grossesse, j’avais moins d’angoisse car j’étais libérée de cette pression. Je savais que la seule promesse possible qu’une mère puisse tenir est d’aimer toujours. De manière inconditio­nnelle. Aujourd’hui, mon équilibre reste fragile. Je ne veux surtout pas nier mon passé, mes souvenirs. Mais je ne dois pas non plus m’y enfermer. Alors j’essaye de laisser la porte ouverte. J’ai cette possibilit­é de le décider. La maladie, la mort m’ont appris cela : nous gardons toujours notre volonté, nous restons le capitaine du navire, même lorsqu’une immense tempête s’abat sur la mer. Notre force est insoupçonn­able.

« A certains moments, je vais bien. J'ai compris cela grâce aux enfants. On peut souffrir, et l'instant d'après, se sentir heureux. »

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