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Je l’ai vécu... “Toi, mon vivant poème!”

Simon est né. Tout allait bien, jusqu'au jour où la directrice de la crèche, puis de l'école, mais aussi les amis, nous ont fait remarquer qu'il était différent. On ne nous parlait pas d'autisme, mais Simon vivait dans sa bulle…

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Après Tiphaine et Paul, j’ai eu Simon. Sa naissance a été une immense joie. En plus, tout s’est bien goupillé et j’ai pu retravaill­er, Simon ayant obtenu une place en crèche à 200 m de la maison. Tout allait bien et je n’ai prêté aucune attention aux premiers signaux. Son désintérêt pour le jeu, par exemple, ne m’a jamais inquiétée. Ni sa manière de refuser les activités de groupe et de ne se plaire que seul avec de la musique. Je n’ai rien vu. Timidité, rythme, personnali­té: Simon allait très bien et je ne comptais pas l’empêcher d’être original et d’évoluer à sa façon. Je n’ai donc pas entendu les éducatrice­s me conseillan­t d’aller voir “quelqu’un” et mon mari et moi nous sommes même opposés à la directrice de la crèche quand elle nous a conseillé une année supplément­aire plutôt qu’une entrée à la maternelle. Nous sommes partis en vacances et je n’ai pu m’empêcher, parfois, de penser à mon pédopsy préféré, Marcel Rufo. Il a l’habitude de dire qu’une maman sait avant tout le monde quand son enfant est différent. Et là, je dois avouer que malgré mes réticences devant le discours des autres, je m’étais mise à me poser pas mal de questions sur Simon. Mais quand à la rentrée, la maîtresse nous a convoqués pour nous signaler que Simon avait un vrai problème, soit de surdité soit de compréhens­ion générale, je lui en ai infiniment voulu de me parler en ces termes. À son tour, la directrice m’a fait part de ses observatio­ns. J'ai opté de mauvaise grâce pour un audiogramm­e chez un ORL. Tout était normal. Pour que l’école ne me menace plus de refuser d’accepter Simon dont le comporteme­nt parfois décalé pouvait gêner les autres, j’ai aussi pris rendez-vous dans un CMPP, un centre psychologi­que. Le rendez-vous a été fixé beaucoup plus tard, et ça m’allait très bien. Mais le temps a soudain été bousculé par Georgia, la femme du meilleur ami de mon mari. Nous passions les vacances chez eux et, à brûle-pourpoint, Georgia m’a déclaré un soir que je devais bien voir que Simon était différent. “L’amitié, c’est savoir dire des choses difficiles, aider l’autre à regarder ce qu’il ne veut pas voir, prendre le risque de faire du mal pour faire du bien.” J’ai reçu sa réflexion comme une claque mais c’est là que j’ai commencé à bouger. Le rendez-vous au CMPP a eu lieu, mais rien d’alarmant n’en est ressorti, à part que c’était à moi, moi la mère, d’avoir davantage confiance en mon enfant. Et puis le couperet est tombé. D’autres rendez-vous avec des spécialist­es ont précisé le verdict. Puis une psychologu­e m’a conseillé de “faire le deuil de mon enfant”. Elle ne me parlait pas d’autisme, mais de la bulle entièremen­t fermée dans laquelle Simon vivait. Elle nous a expliqué qu’une scolarité ne serait possible qu’avec la présence d’une AVS et qu’il lui faudrait bénéficier d’un suivi psychiatri­que et orthophoni­que. J’étais dévastée. Je n’avais aucune envie de me rendre à une soirée profession­nelle, et pourtant une petite voix m’a murmuré d’y aller. En arrivant à reculons, j’ai lâché ce que j’avais sur le coeur à une collègue, qui m’a littéralem­ent jetée dans les bras d’Anne Buisson, une femme qui a créé une associatio­n pour les familles d’enfants porteurs d’autisme. C’était ma première respiratio­n. Suite à cette nouvelle impulsion, le marathon a démarré et je n’ai plus voulu écouter que moi. Je suis passée à l’attaque, écoutant les conseils de l’associatio­n, nonobstant ceux d’un psy qui s’opposait fermement à ce que Simon suive plusieurs formes de thérapie à la fois. Dès lors, Simon a été très entouré. Plusieurs thérapeute­s ont changé la donne même si la directrice de l’école, toujours aussi méprisante face à lui, ne nous a pas simplifié la tâche. Un jour, fiers et joyeux, nous nous sommes aperçus qu’il avait appris à lire tout seul. Elle a opposé à cela qu’il ne comprenait rien à ce qu’il lisait… Il était grand temps de changer d’école. Il m’a alors été donné de tomber sur la bonne école,

« Un soir, une amie m'a dit : “Tu vois bien que Simon est différent. L'amitié, c'est savoir dire de choses difficiles, aider l'autre à regarder ce qu'il ne veut pas voir”.»

dirigée par une femme exceptionn­elle qui m’a redonné confiance en Simon, et en moi. Je dois reconnaîtr­e qu’il m’est arrivé de douter des capacités de Simon, de son avenir. Mais elle a commencé par le prendre pour modèle, mettant en avant le fait qu’il était le seul à savoir déjà lire. Grâce à elle et aux enseignant­s, il a franchi les échelons jusqu’au CM2. Oui, bien sûr, Simon est atypique, quand il ne comprend pas les jeux de ballon, ou quand il s’effraie du monde ou du bruit, à son propre anniversai­re. Plus tard, le monde a commencé à lui

faire moins peur. Maintenant, il prend du plaisir devant la joie des autres. Certaines amitiés deviennent possibles, mais hélas, elles sont brèves car Simon n’a pas la grammaire relationne­lle qui permet d’entrer en contact avec les autres et il se fait vite étouffant. Doser son sentiment, ses gestes, est un long apprentiss­age et nous nous y sommes tous mis : les éducatrice­s, les AVS, la psychologu­e de l’associatio­n. J’ai eu envie de transforme­r les moments en famille en vrais moments de détente et de joie, mais comment faire quand Simon clame “je m’ennuie!” à ceux qui l’entourent. À la fin de l’école élémentair­e, il avait des amoureuses. J’ai continué à le cadrer,

le couver devrais-je dire, en planifiant sa journée chaque matin à haute voix, mais il finissait par me répondre, comme un adolescent qui veut sa liberté, qu’il était au courant de son programme et que ce n’était pas nécessaire de radoter. Il était donc temps pour lui d’entrer au collège, mais les autres allaient-ils l’y autoriser? Ces autres, adolescent­s, qui rejettent si facilement la différence ? Simon vit de plus en plus mal qu’on le décortique ainsi. Il mérite, comme ses camarades, d’avoir ses secrets, son ADN, ses choses à lui. Aujourd’hui Simon a 11 ans, il est en 6e dans un collège bienveilla­nt. Il fait du

sport, adore la musique. J’ai écrit un livre qui raconte notre histoire, la sienne, je tenais à raconter mon expérience et à lui laisser par écrit le chemin qu’on a fait ensemble. L’été dernier, j’écrivais et chaque soir je lui lisais le chapitre du jour. Il a écouté, soucieux de perfection, et il m’a corrigée, souvent, et sans vergogne. Simon est mon vivant poème. Grâce à lui, je sais que chaque homme a sa musique et qu’il la joue avec ses propres instrument­s. Je ne sais pas jouer du violoncell­e mais je sais l’entendre avec bonheur. Voilà ce qu’est la différence, voilà ce qu’elle doit devenir. »

“La directrice de l'école ne nous a pas simplifié la tâche.”

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“TOI, MON VIVANT POÈME” de Frédérique Préel Éd. Leduc.s pratique,
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