Parents

Je l’ai vécu…

“Enceinte deux fois… et licenciée deux fois !”

- PROPOS RECUEILLIS PAR JESSICA BUSSAUME

Je voulais bien faire les choses. Il n’y a pas de règles en Belgique, mais j’ai prévenu mon employeur après un mois et demi.

J’étais déléguée pharmaceut­ique pour un grand laboratoir­e. Nous avions tous été recrutés par une agence externe et nous devions être évalués avant notre intégratio­n. C’était le parcours normal. Tout s’est bien passé, jusqu’au jour où j’ai compris qu’on m’avait saquée. Au final, tous mes collègues ont été engagés… sauf moi. Je me souviens de l’explicatio­n qu’on m’a donnée : « On est sûrs de toi à 90 %, mais on voudrait l’être à 100 %. » J’avais donc le droit de rouler dans une plus petite voiture que mes collègues et de gagner 500 € de moins chaque mois ! J’ai fait savoir que je n’étais pas d’accord et que je m’estimais discriminé­e parce que j’étais enceinte. D’ailleurs, un autre commercial, arrivé après moi, avait déjà été intégré. On m’a alors répondu que si je continuais à protester, ce serait un licencieme­nt immédiat. Interdicti­on même de hausser le ton. J’ai appris du même coup que je ne convenais plus pour le poste et que mes appréciati­ons étaient négatives. Heureuseme­nt, j’avais gardé chez moi tout mon dossier, sans compter mes mails. Mon avocat avait donc toutes les preuves en mains pour engager des poursuites: j’avais informé mon employeur de ma grossesse par lettre recommandé­e et j’avais de bonnes évaluation­s. J’ai donc gagné. Quelques milliers d’euros. Mais seul m’importait le résultat et je me serais contentée d’un euro symbolique. Un euro pour affirmer que je refusais cette discrimina­tion… J’ai eu l’impression que le monde s’écroulait: plus de travail, plus de voiture, plus d’argent. Tous les voyants étaient soudain passés du vert au rouge. Il fallait attendre la naissance du bébé pour penser à retravaill­er. En attendant, je mangeais, je m’ennuyais, je ne gagnais pas d'argent. Mon compagnon gagne correcteme­nt sa vie, mais je ne voulais rien lui demander. Je suis bien trop fière pour ça! Il partait chaque matin pour ne rentrer qu’à 20 h 30. Et moi, j’étais perdue.

Quand on a toujours travaillé à temps plein, on vit très mal cette situation. Je n’avais rien d’autre à faire que d'attendre.

Charles est né le 24décembre. Mon cadeau de Noël pour la vie. Au début de ma grossesse, j’avoue que je lui en ai voulu… Mais dès que je l’ai vu, tout était derrière moi, évidemment, et je m’en suis voulu de l’avoir pensé. Tout ce qui me semblait important avant est devenu très relatif. Quelques mois plus tard, j’ai recommencé à travailler comme infirmière à mi-temps dans un centre de prélèvemen­ts, ce qui m’a permis de m’occuper de Charles. Là, je me suis dit que j’étais désormais capable de tout gérer et je suis passée à temps plein dans un centre hospitalie­r. Ils proposaien­t des CDD de six mois, voire d’un an, surtout aux femmes. Après trois CDD, j’ai eu envie d’un deuxième enfant. Mes collègues m’ont mise en garde: «Attention, tu risques de perdre ta place, attends d’avoir un CDI pour tomber enceinte… » Un autre laboratoir­e pharmaceut­ique est alors venu me chercher. Après deux mois d’entretiens, j’ai été engagée comme “product specialist”, un poste très pointu pour lequel j’ai suivi six semaines de formation et passé de nombreux tests. J’en éprouvais une grande fierté. Si on échouait à l’un des tests, on ne pouvait pas accéder à l’étape suivante. J’ai réussi les

“Mon crime ? Faire des bébés ! Si j'avais été un homme, rien de tout ça ne serait arrivé ! Je pense à toutes ces collègues de travail qu'on a épuisées à la tâche…”

deux premiers haut la main, mais au troisième, la situation s’est corsée. J’avais appris que j’étais enceinte et je ne me sentais pas très bien. Cette fois-ci, je n’avais rien dit, mais tout le monde voyait que je virais du vert au gris, du chaud au froid, et mes nausées ne passaient pas inaperçues, même si j’échappais aux déjeuners en prétextant un surcroît de travail. Un jour, tandis que je ne me sentais pas bien, j’ai pris mon visage entre mes mains. Nous étions en cours, ma “product specialist” m’a fixée et son regard a changé. J’ai compris que la suite risquait d’être difficile pour moi, mais j’étais résolue à me taire.

Je voulais attendre la fin de la formation, je voulais pouvoir dire que j’avais tout donné même si j’étais enceinte.

Voilà comment ça s’est passé. Après le cours, je suis rentrée chez moi. C’était un mercredi soir. Là, ma formatrice m’a téléphoné pour me dire que mon prochain test, qui était normalemen­t prévu dans quatre jours, était avancé au lendemain. Coupant court à mes protestati­ons, elle m'a dit : « On part du principe que tu as eu tout le weekend pour travailler. » J’ai eu beau expliquer que Charles avait été malade, rien à faire. J'ai donc passé la soirée à travailler tant bien que mal. Kenneth m'a conseillé de survoler mon cours. Mais, même si je ne répondais pas à l’intégralit­é des questions, je voulais au moins obtenir un score de 60 %. Finalement, je n'ai séché que sur deux questions parmi les dix-sept. Le lundi, on m'a convoquée à propos du test. Et là, j’apprends que je l’ai complèteme­nt raté. En fait, j'ai découvert plus tard que mon score avoisinait les 60 % J'ai été licenciée sur-le-champ, C'était au mois de février 2018. J'étais absolument révoltée. J’ai expliqué à mes interlocut­eurs que cet enfant n’était pas prévu.

Alors que j’avais décroché le job idéal, on a à nouveau saccagé ma vie.

J’ai passé mes tests avec succès, je me suis conduite de façon irréprocha­ble, je suis toujours arrivée à l’heure et je n’ai jamais rechigné à travailler le weekend. Mon crime? Faire des bébés! Si j’avais été un homme, rien de tout cela ne serait arrivé. Je pense également à toutes ces collègues de travail qu’on a épuisées à la tâche pour s’en débarrasse­r… Mon avocat a reçu des courriers mensongers de mon employeur, qui prétendait que j’étais démotivée! J’étais pourtant entièremen­t concentrée sur mon intégratio­n, sur les produits et les process ! Évidemment, on m'a refusé une copie de mes exercices. Quelle honte ! En Belgique, on joue sur les petites failles. Nous sommes voisins de la France, mais il y a deux poids deux mesures. Et maintenant, comment expliquer sur mon CV que je me suis fait licencier une première fois et que j’ai dû prendre un avocat ? Puis une deuxième fois ? A 34 ans, estce que je dois arrêter de travailler et m’occuper de mes enfants? Malgré mes diplômes et ma motivation. En 2018, je me demande tout simplement s’il est possible de mener une carrière profession­nelle tout en ayant des enfants.

“On est sûrs de toi à 90 %, mais on voudrait l'être à 100 %.”

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Une histoire de vie hors du commun ? Confiez-la nous sur redaction@ parents.fr

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