Parents

Je l’ai vécu

Lucas, un peu moins de 20 ans, a besoin d’une greffe de rein. Son père et sa mère sont compatible­s et prêts à le faire. Mais des questions se posent sur le sens de ce don…

- PROPOS RECUEILLIS PAR JESSICA BUSSEAUME

“J’ai donné un rein à mon fils”

Ma motivation première est la même que celle du papa: la santé de Lucas. Mais je suis heurtée par d’autres questions: ne donnerais-je pas surtout pour moi ? Ne serait-ce pas un don quelque peu intéressé qui vient réparer une grossesse difficile puisque Lucas est né prématuré? J’aurais besoin d’échanger à propos de ce cheminemen­t intérieur avec mon futur ex-mari. Finalement, nous avons une discussion et je suis déçue et blessée par ce qui en ressort. Pour lui, qu’il soit donneur ou que ce soit moi, c’est “pareil”. Il évoque la chose exclusivem­ent du point de vue de la santé de notre fils. Heureuseme­nt, j’ai des amis avec qui je peux aborder des questions de spirituali­té. Avec eux, j’évoque la masculinit­é d’un organe comme le rein et je finis par en déduire qu’il serait préférable que le don fait à Lucas qui a besoin de couper le cordon avec sa mère, vienne de son père. Mais quand je l’explique à mon ex, il tique. Il m’a vue motivée, et soudain je lui démontre qu’il sera un donneur plus approprié que moi. Les reins représente­nt nos racines, notre héritage. En médecine chinoise, l’énergie des reins est l’énergie sexuelle. En philosophi­e chinoise, le rein stocke l’essence de l’être… Alors j’en suis certaine, lui ou moi, ce n’est pas pareil. Car dans ce don, chacun commet un geste différent, chargé de sa propre symbolique. Il faut voir au-delà de l’organe physique qui lui, est “pareil”. Je tente encore une fois de lui expliquer mes raisons, mais je le sens en colère. Il n’a sans doute plus envie de faire ce don mais il décide qu’il le fera. Sauf que sa mauvaise tension artérielle me place vite en donneur potentiel. Il est recalé. C’est moi qui vais donner. Je vois cette expérience de don d’organe comme un chemin initiatiqu­e et il est temps d’annoncer à mon fils que je serai donneur. Lui me demande pourquoi moi plutôt que son père: j’explique qu’au départ, mon émotionnel prenait trop de place et je développe mon histoire de masculin-féminin qu’il écoute d’une oreille distraite: ce n’est pas son truc ces interpréta­tions-là ! À vrai dire, je trouvais juste que son père ait la possibilit­é de “donner naissance” puisque c’est moi qui ai eu cette chance la première fois. D’autres questions se posent quand on donne un rein. Je donne, d’accord mais ensuite, c’est à mon fils qu’il reviendra de suivre ses traitement­s pour éviter tout rejet. Et je reconnais qu’il m’arrive de ressentir de la colère quand je le sens immature. J’ai besoin qu’il mesure la portée de cet acte, qu’il soit prêt à le recevoir, c’est-à-dire qu’il se montre mature et responsabl­e de sa santé. A l’approche de la greffe, je me sens plus angoissée. C’est un jour intense d’émotion. L’opération doit durer trois heures. Nous descendons au bloc en même temps. Quand j’ouvre les yeux en salle de réveil et que je croise son magnifique regard bleu, je baigne dans le bien-être. Ensuite, nous partageons les affreux plateaux-repas sans sel des soins intensifs et mon fils me traite de “mère-veilleuse” quand je m’arrange pour me lever et le serrer dans mes bras. Nous supportons ensemble la vilaine piqûre d’anticoagul­ant, nous rions, nous nous envoyons des piques, nous vivons l’un à côté de l’autre et c’est beau. Puis c’est le retour à la maison qui exige de faire quelques deuils. Temps mort après la bataille. Qu’est-ce que je vais faire maintenant que c’est fait? Survient alors le “rein-blues”: on m’avait prévenu… Il ressemble à une dépression post-accoucheme­nt. Et c’est toute ma vie qui repasse sous mes yeux: un mariage parti sur de mauvaises bases, insatisfai­te, une trop grande dépendance affective, une blessure profonde à la naissance prématurée de mon enfant. Je ressens le chevauchem­ent de ses meurtrissu­res intérieure­s et je médite longuement. Il me faut un temps pour me dire que je suis une maman, vraiment, que la lumière m’enveloppe et me protège, que j’ai raison, que j’ai bien fait Ma cicatrice sur mon nombril est belle. Ce qu’elle représente est magnifique. Pour moi, elle est un souvenir. Une trace magique qui m’a permis d’activer l’amour de soi. Certes, j’ai fait un cadeau à mon fils, pour lui permettre de devenir un homme, mais surtout un cadeau à moi-même parce que ce cheminemen­t est un voyage intérieur et une rencontre vers soi. Grâce à ce don, je suis devenue plus authentiqu­e et je suis de plus en plus en accord avec moi-même. Je suis en train de découvrir qu’au fond de moi mon coeur rayonne d’amour. Et j’ai envie de dire : merci la Vie !

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« Les reins représente­nt nos racines, notre héritage. En médecine chinoise, l’énergie des reins est l’énergie sexuelle. En philosophi­e chinoise, le rein stocke l’essence de l’être… Alors j’en suis certaine, lui ou moi, ce n’est pas pareil. »
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UNE PART DE SOI Cathy Brun Ed. Cathy Brun

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