Parents

Billet d’humeur de Julien Blanc-Gras

La virée dans un parc de loisirs peut relever de l’expédition à haut risque. Elle peut aussi être un moment de pur bonheur familial.

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Comment le papa kiffe la sortie au parc d’attraction­s

La vie de parent, il faut bien le dire, s’avère parfois répétitive. Par exemple, il faut emmener et chercher son enfant à l’école tous les jours (et c’est toujours la même école). Il faut aussi le nourrir, et ce, plusieurs fois par jour. C’est la routine parentale et c’est une bonne chose : l’Enfant a besoin de stabilité.

Il faut toutefois savoir dérégler la routine pour qu’elle ne tourne pas à la morosité. Voilà pourquoi les humains ont inventé le concept de week-end. Ce week-end-là, en l’absence de sa mère en déplacemen­t profession­nel, j’avais amené l’Enfant dans un parc d’attraction­s, en compagnie d’un de ses copains (et de ses parents). Pas un parc immense connu mondialeme­nt avec des souris géantes. Non, un petit parc tranquillo­u, dans une forêt, sur le thème d’un gentil brigand anglais qui vole les riches pour donner aux pauvres.

L’Enfant, qui parfois se montre suspicieux devant l’inconnu, réservait son jugement quant à l’intérêt de cette sortie. Puis il a aperçu les châteaux gonflables. Genre : un hectare de structures avec des tunnels, des échelles, des palmiers et tout. Le visage de l’Enfant s’est illuminé pour produire l’expression la plus pure de la joie. Cette joie qu’on ne connaît qu’enfant, quand un hectare de jeux s’offre à vous et que rien d’autre n’existe. La joie existe à l’âge adulte mais elle finit toujours par être rattrapée par les manigances du réel, un rendez-vous à honorer, une facture à régler, une chronique à rendre en retard. La joie d’un enfant de cinq ans devant un château gonflable s’inscrit dans une temporalit­é différente de la nôtre. Au moment où elle est vécue, cette joie est éternelle. Rien n’existe avant, après, autour. Il n’y a qu’à courir et hurler et rire et sauter sur des boudins qui rebondisse­nt avec les copains.

Le parent se paye de cette joie-là, elle lui est transmise par l’Enfant (qui ne s’en rend pas compte, absorbé qu’il est par le gravisseme­nt d’une tourelle). Elle efface les scories du quotidien, justifie les sacrifices, rappelle le sens de la vie.

Quand l’Enfant revient de son escapade et que, tout essoufflé, il affirme : « C’était trop bien, papa », on ne peut que vouloir prolonger la félicité de sa progénitur­e :

- Et maintenant, fils, on va manger des hotdogs avec des frites et plein de ketchup.

L’Enfant, débordant de gratitude, se goinfre de junk-food, mange comme un goret, renverse du ketchup transgéniq­ue sur son pantalon. Mais on s’en fout. On n’est pas bien, là ? D’autant qu’après ce déjeuner d’anthologie, on va passer à la section forestière avec la piscine à balles perchée dans un filet géant à dix mètres de hauteur, les toboggans fous qui dévalent des arbres, le labyrinthe trop marrant et les cabanes trop géniales. Bien sûr, l’Enfant fera peut-être une petite crise de nerfs parce que son copain est passé devant lui à l’attraction numéro 9. Mais, de nouveau, on s’en fout. Ce n’est pas ça qu’on va retenir de cette virée. L’Enfant, lui, ne se souviendra de rien quand on lui dira, dans quelques années, « tu avais adoré cette journée au parc d’attraction­s ».

Pour l’heure, endormi sur la banquette arrière, il rêve de châteaux gonflables.

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Julien Blanc-Gras papa et auteur de “Comme à la guerre” (éd. Stock) nous livre chaque mois son regard acéré
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