Parents

Billet d’humeur Julien Blanc-Gras

Les enfants commencent par apprendre à compter. Puis ils apprennent à compter leurs sous. C’est là que les ennuis commencent.

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: Comment le papa répond aux questions sur l’argent

- Papa, est-ce qu’on est riches ?

Je me suis frotté le menton, je ne savais pas trop comment répondre à cette question. J’ai regardé mon compte en banque, ce qui m’a donné des éléments de réponse : a priori, non, je n’étais pas riche.

J’ai entrepris un discours sur la relativité de toute chose. Tu vois, fils, comparés aux gens qui dorment dans la rue, nous sommes incroyable­ment privilégié­s. Par rapport à Bill Gates, on est des crève-la-faim.

- Moi je suis riche, a affirmé mon fiston.

- Ah oui ?

- J’ai compté mes pièces dans ma tirelire. J’ai 11 euros et 20 centimes.

- C’est un bon début.

- Et avec, je vais acheter la Nintendo Switch que tu veux pas m’acheter.

C’était le moment de passer au chapitre « la valeur des choses ». Je lui ai expliqué qu’une console de jeux coûtait bien plus cher que ça et qu’il était judicieux de ne pas dilapider tout son argent dans un unique achat, superflu de surcroît :

- L’argent, on peut le dépenser raisonnabl­ement, mais il ne faut pas le gaspiller.

- Mais pourquoi ? Quand on n’a plus d’argent, il suffit d’aller en retirer au distribute­ur.

Il est marrant, lui.

- Un distribute­ur, ce n’est pas comme une fontaine. L’argent, il sort de la machine parce qu’on a travaillé pour le gagner.

- Bah t’as qu’à travailler plus.

À la crèche, les enfants se griffent le visage en hurlant « nan c’est mon jouet à moi », ce qui tend à démontrer que l’instinct de propriété est implanté chez l’être humain dès le plus jeune âge. Le rapport d’une personne à l’argent se détermine dès l’enfance et il n’est pas forcément corrélé au niveau de fortune des parents – on connaît tous des riches pingres et des pauvres généreux. J’ai tenté de refourguer à mon fils quelques idées sur ce qui me semble être un rapport sain au fric. Des banalités de type « l’argent est un bon serviteur et un mauvais maître » ou « l’argent ne fait pas le bonheur. »

- Fils, il faut gagner des sous pour s’assurer une vie agréable, mais ce n’est pas un but en soi. Sinon, avec cette mentalité, on finit président des États-Unis avec des cheveux orange.

Je ne suis pas sûr qu’il ait capté le message car, quelques jours plus tard, je l’ai entendu fredonner un de ces morceaux de rap qui tournent dans la cour d’école :

- Faut que je fasse de la moula, de la moula, de la moula.

Si vous n’êtes familiaris­és avec les codes du langage urbain contempora­in, la moula, c’est la thune. Dans mes souvenirs, quand j’avais 6 ans, je ne ressentais pas le besoin de faire de la moula. Dur de lutter dans cette époque si impitoyabl­ement matérialis­te. Recentrons la discussion sur les valeurs fondamenta­les de l’existence :

- À ton avis, c’est quoi le plus important : avoir ou être ?

Il a soufflé bruyamment pour signifier son exaspérati­on face à son vieux relou de père, puis il a tranché de façon très cash :

- Allez papa, on arrête de discuter. Maintenant va travailler et rapporte des sous.

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Papa et auteur de “Comme à la guerre” (éd. Stock) nous livre chaque mois son regard acéré.
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