Parents

Billet d’humeur Julien Blanc-Gras : Comment le papa gère la phase “J’ai le droit”

C’est curieux, chez les enfants, cette manière de brandir en permanence leurs “droits” tout en ignorant le concept de “devoirs”. Comment appréhende­r ces situations ? Notre chroniqueu­r l’avoue : il n’a PAS la solution.

- Julien Blanc-Gras Papa et auteur de “Comme à la guerre” (éd. Stock) nous livre chaque mois son regard acéré

Nous rentrons de l’entraîneme­nt de foot, un samedi après-midi, avec l’Enfant. Dans la rue, je croise un camarade que je n’ai pas vu depuis longtemps. - Salut Grégoire, comment ça va, bla-bla-bla. Au bout de 24 secondes, l’Enfant commence à manifester son impatience.

- Papa, on y va !

Il ne dit pas « Papa, on y va ? » Il aboie « On y va ! », avec un point d’exclamatio­n.

- Je discute avec un copain. Attends une seconde, s’il te plaît. Alors quoi de neuf, Grégoire ? - Allez, on y va, papa ! Ça fait une seconde là. - C’est une expression. Attends DEUX MINUTES s’il te plaît. - Je veux partir. J’ai le droit. - Mais laisse-moi discuter avec mon ami, enfin ! - Non, si j’ai pas envie, j’ai pas envie !

L’Enfant se met à trépigner, puis à pleurer, puis à hurler, pendant que je pousse le plus long £soupir jamais poussé.

- Bon, allez Julien, je te laisse, hein.

Mon pote, qui a sûrement mieux à faire que d’assister au naufrage d’une éducation, s’éclipse sans que nous ayons eu le temps d’échanger autre chose que les banalités d’usage. Je suis furieux.

Mon enfant chéri est censé approcher de l’âge de raison.

- Fils, à ton âge, tu dois être capable de patienter un petit moment sans faire une crise. - J’ai le droit de pas vouloir ! cingle l’Enfant avec une ferveur rebelle dans le regard.

- Et moi, j’ai le droit de discuter avec un ami ! Je me rends compte, en prononçant cette phrase, que je suis en train de m’engueuler avec un enfant de 6 ans et demi.

À quel moment on a déconné ?

Car, je vois bien, et je ne suis pas le seul, que les enfants d’aujourd’hui ont une nette tendance à s’arc-bouter sur un individual­isme exacerbé et à se victimiser au moindre prétexte pour prendre le pouvoir. L’éducation positive, que je tente tant bien que mal de pratiquer, a bien sûr ses vertus. Respecter le « je » de l’enfant, c’est bien. Mais s’il oublie l’existence du « nous », on aboutit vite à la guerre de tous contre tous. Ne serait-on pas en train de créer une génération de tyrans autocentré­s et incapables de tolérer la moindre contrariét­é ? Une génération de Donald Trump en puissance. Où est le positif là-dedans ?

De retour à la maison, alors que l’Enfant est calmé, j’enclenche le rituel briefing post-crise.

- Fils, le monde est un endroit peuplé d’autres personnes que toi. La volonté des autres va parfois à l’encontre de la tienne, il faut prendre ça en compte. - Je suis pas obligé. - Ta liberté s’arrête là où commence celle des autres. - Si j’ai pas envie, j’ai pas envie.

Dialogue de sourds.

Ce n’est peut-être qu’une phase, après tout. Ça passera avec le temps, non ? Mais dans l’intervalle, que faire pour gérer ce pervers narcissiqu­e manipulate­ur de mauvaise foi qu’est l’Enfant (qui est aussi le plus merveilleu­x des trésors) ? Je vais être honnête : je n’ai pas la solution. Punir, c’est contre-productif. Reste le dialogue, toujours le dialogue.

- Fils, tu as des droits, mais tu n’as pas tous les droits. - J’ai le droit de pas t’écouter !

Et moi j’ai le droit de me servir un grand verre de vin.

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