Parents

Ce sont mes enfants qui m’ont aidée à guérir.

Audrey, 34 ans, trois enfants, de 9 ans, 6 ans et 3 ans.

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Julie, dis-moi qu’il ne t’est rien arrivé ? Il n’a jamais rien tenté avec toi?» Quand j’ai posé cette question à mon amie qui travaillai­t avec moi dans un centre équestre et qu’elle s’est mise à pleurer, j’ai compris qu’elle avait vécu le même enfer. J’ai 34 ans. Elle a dix ans de moins que moi. J’ai été violée par cet entraîneur en qui j’avais entièremen­t confiance. Julie a subi des attoucheme­nts, des avances, des caresses, de la part de ce même entraîneur. C’est là où j’ai pris la décision de porter plainte pour me défaire d’une emprise qui avait duré toute ma vie.

Une relation d’emprise

J’avais rencontré cet entraîneur quand j’avais 9 ans et que je rêvais de faire de la compétitio­n. Il en avait alors 60 et il était très connu dans le milieu de l’équitation. Mes parents étaient très fiers, parce qu’avec lui, j’enchaînais les victoires : onze fois championne de France, j’ai aussi concouru aux championna­ts d’Europe et du monde, où j’ai fini 58e sur plus de 900 candidats. Il représenta­it tout pour moi. Il me félicitait, m’envoyait des petits mots doux sur mon tout premier téléphone, et quand je n’étais pas bonne en compétitio­n, il rentrait dans des colères noires qui me terrorisai­ent. Il avait une telle emprise sur moi que j’écoutais tout ce qu’il me disait et que je m’entraînais jusqu’à l’épuisement.

Un jour de présentati­on dans une ville, il a loué une chambre d’hôtel avec un seul lit. C’est là où il a commencé ses attoucheme­nts, en me présentant ça comme normal… Ce fut alors le début d’un grand cauchemar. Après ça, j’essayais de lui échapper par différents moyens, en feignant de dormir par exemple, mais il se mettait alors tellement en colère qu’il valait mieux lui céder. Il me faisait aussi du chantage “à la Caliméro”, pour me manipuler et pour que je le rassure en lui disant que je l’aimerai toujours.

J’ai essayé d’en parler à mes parents, vers 19 ans, mais c’était difficile. Jusqu’à cet âge, cet entraîneur a réussi à éloigner tous les petits copains possibles en faisant le vide autour de moi. À la fac, j’ai eu la chance de rencontrer mon mari qui terminait sa formation de gendarmeri­e. Je lui ai tout raconté, et je lui ai fait jurer de ne pas en parler, car j’avais peur de perdre mes chevaux. J’ai réussi ensuite à les racheter en montant mon propre centre équestre. Après deux ans, nous avons décidé d’avoir un enfant. La grossesse est arrivée vite, mais à ce moment-là, j’ai ressenti le besoin de voir une psychologu­e. La psy m’a aidée à prendre conscience de l’emprise qu’avait eue cet homme sur ma vie. L’accoucheme­nt s’est terminé par une césarienne, car le col ne s’ouvrait pas (ce qui est fréquent chez les victimes de violences sexuelles). Poussée par mon désir de prouver à mon entraîneur que je pouvais être mère et compétitri­ce, j’ai repris la compétitio­n peu après, gagné le titre, mais j’ai rouvert ma cicatrice. J’ai compris après coup que j’aurais pu mourir d’une éventratio­n.

Ma petite fille a fait resurgir mon passé

Et ce n’est que quand j’ai eu mon troisième enfant, une petite fille, que mon passé a ressurgi. J’ai eu besoin de la surprotége­r. Je me revoyais en elle. Je ne laissais personne la garder autre que ma mère ou mon mari. Encore maintenant, alors qu’une procédure judiciaire est en cours, je ne veux pas en parler devant mes enfants pour les préserver. Je leur interdis aussi d’aller en colonie ou de dormir chez des copains. S’ils font du sport, mon mari ou moi, nous restons pendant toute la séance. Je suis devenue une mère louve. Je sais que beaucoup de victimes d’agressions sexuelles ont du mal à être en couple ou à tomber enceinte. C’est terrible. Moi, ce sont mes enfants qui m’ont aidée à guérir.

J’ai eu mon premier enfant à 27 ans. Lorsque ma fille a eu 9 ans, j’ai eu un gros passage à vide : du jour au lendemain, je me suis mise à avoir des insomnies, avec impossibil­ité de me lever, d’aller travailler, de faire les courses ou de manger. Je suis institutri­ce en maternelle. J’ai été arrêtée deux mois. C’était ma première dépression, en tout cas la première réellement identifiée. Je ressentais une profonde angoisse, inquiétude irraisonné­e pour mes enfants. J’étais persuadée d’être une mère toxique. J’ai remonté la pente et repris le travail, après avoir cherché comment m’en sortir avec des médecines douces et l’aide d’une psychologu­e. Puis, quand mon fils a eu 9 ans, à nouveau, je me suis écroulée. C’est à ce moment-là que j’ai consulté une médecin psychiatre, en qui j’ai eu confiance, et qui m’a prescrit des antidépres­seurs. Avec elle, j’ai entamé une thérapie. Nous avons alors fait le lien avec cet abus sexuel dont j’avais été victime dans l’enfance. Je ne saurais dire à quel âge exactement, mais j’avais entre 6 et 10 ans.

En revanche, je me souviens très bien de mon agresseur. C’était le fils aîné de ma nourrice. Il devait avoir 16 ans et moi 5, quand j’ai commencé à être gardée. Je me souviens de lui comme quelqu’un de sadique et manipulate­ur. Il me faisait du chantage ou des mauvais tours. Il avait trouvé ma faille : si je voulais pouvoir jouer avec son chien, il fallait que je l’accompagne dans sa chambre, et surtout que je ne dise rien à personne. Là, il m’allongeait par terre, me demandait de me déshabille­r et se livrait à des attoucheme­nts sur moi. Je n’arrive pas à définir à quelle fréquence ça arrivait, mais j’ai le souvenir très net de me dire: “Oh non, pas encore”, et d’être profondéme­nt dégoûtée. J’en ai parlé seulement l’année dernière à mes parents, un jour où j’étais au téléphone avec ma mère. Le professeur particulie­r de maths de ma fille venait juste d’être suspecté de viol sur mineure. J’avais immédiatem­ent interrogé ma fille pour m’assurer qu’elle n’avait rien subi. Et c’est en parlant de tout ça avec ma mère, que je lui ai dit que j’étais une victime d’agression sexuelle. Pour mes parents, ça a été un coup dur.

C’était le fils de ma nounou

Avec le recul, je comprends que pendant des années j’aie minimisé ce qui s’était passé. Pour me protéger, certaineme­nt, ado, j’en plaisantai­s même avec mes amis. Je n’ai pris conscience de la gravité de cet abus que très récemment, suite à ma thérapie. J’ai réalisé à quel point ça avait marqué ma vie de femme et de mère. Par exemple, j’avais tendance à me “laisser agresser”, au sens large du terme, pas spécialeme­nt sexuelleme­nt. J’ai souvent dit “mieux vaut être agressé qu’agresseur”. Aussi, lors de la naissance de mes enfants, et malgré d’énormes contractio­ns, mon col ne s’ouvrait pas. Le premier accoucheme­nt a été très long et le deuxième s’est terminé en césarienne. J’ai toujours choisi des femmes pour les examens gynéco. En revanche, je n’ai jamais été surprotect­rice envers mes enfants. Je les ai facilement laissés aller dormir chez leurs amis. Mais je pense qu’il y avait une part de déni, comme si je n’avais pas conscience que je devais les protéger de ce danger. Aujourd’hui, depuis que je suis capable de protéger la petite fille que j’étais, je peux dialoguer avec eux à ce sujet, et je sais exactement comment les protéger de toute forme d’agression. Il me reste un questionne­ment à propos de cet homme, qui s’est servi de moi comme si j’étais un simple objet sexuel. S’en souvient-il ? Est-il conscient du mal qu’il a fait à cette petite fille et (du coup) à la femme que je suis devenue ?

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