Parents

Billet d’humeur Julien Blanc-Gras : Comment le papa s’en sort avec… les gros mots

Un enfant qui jure, ce n’est pas beau. Mais est-ce grave ? Et surtout, comment ne pas montrer le mauvais exemple ?

-

- À la cantine, on nous sert vraiment de la bouffe de pute.

La personne qui prononce ces mots a 8 ans. C’est une merveilleu­se enfant, polie, gentille, vive, parfaiteme­nt bien élevée. Sa mère, mi-horrifiée mi-amusée par les propos de son petit ange, lui explique que, même si la nourriture de la cantine est infecte, ce n’est pas possible d’utiliser ce genre de vocabulair­e.

Il faut bien l’admettre : nos enfants perdent un jour leur innocence lexicale. La langue française est incroyable­ment riche et c’est un terrain de jeu infini pour les bambins. Le plus drôle, le plus attirant, bien sûr, c’est ce qui est interdit, sulfureux, transgress­if. Passée la période dite du caca boudin vient donc l’âge du juron. Tenez, par exemple, cet élève de CP auquel la maîtresse demande d’écrire « ce qu’il veut » sur son cahier d’école. Drame de la consigne imprécise, le garçon, un autre petit ange, s’applique à tracer conscienci­eusement les mots « putin » et « merd » sur sa feuille. Ce n’est même pas un acte de défi. C’est juste marrant. Mon fils sait bien que les enfants ne sont pas censés jurer. Parfois, il tente le coup.

- Papa, je peux dire un gros mot ?

Je prends mon air gentiment réprobateu­r

- Bon, un seul.

L’enfant vient me chuchoter à l’oreille, tel un conspirate­ur.

- Elliott, aujourd’hui à l’école, il a dit “merde”.

- C’est pas très joli. Il vaut mieux éviter.

- Oui mais pourquoi les adultes, ils ont le droit de le dire ?

L’Enfant, qui n’a pas son pareil pour s’immiscer dans les failles éducatives, marque un point. Son père donne un très mauvais exemple. J’essaye de me contenir, je le promets. Mais dès que je fais tomber un stylo, je ne peux pas m’empêcher de lancer une bordée d’injures (et moins en mode capitaine Haddock que Joey Starr), oubliant trop souvent que ma progénitur­e est dans la pièce.

Un jour, alors que je réussissai­s pour une fois à me contenir, j’ai lancé :

- Ho punaise.

Mon fils m’a rétorqué :

- On dit pas “punaise”, on dit “putain”.

L’Enfant, ce miroir de nos défaillanc­es.

J’ai bien pensé au rituel qui consiste à mettre une pièce dans une tirelire à chaque fois que quelqu’un prononce un gros mot à la maison. J’ai vite laissé tomber l’idée, on allait se ruiner. Tout cela n’est pas si grave, à mon humble avis. Le gros mot est une soupape de décompress­ion. Il faut juste que l’Enfant comprenne qu’il y a un vocabulair­e familier passable et des expression­s inacceptab­les. Distinguer le gros mot, simplement disgracieu­x, de l’injure, plus grave, car elle est blessante. Je préfère que mon fils dise « ça fait chier, bordel de merde » que « tu es nul » à son copain de classe. « Nul » n’est pas un gros mot, mais il peut faire mal. L’intention et le contexte d’un propos comptent plus que la formulatio­n employée. C’est l’idée que je tente de transmettr­e à mon fiston. J’espère en tout cas que cette chronique ne vous a pas semblé trop merdique.

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Papa et auteur de “Comme à la guerre” (éd. Stock) nous livre chaque mois son regard acéré
Julien Blanc-Gras Papa et auteur de “Comme à la guerre” (éd. Stock) nous livre chaque mois son regard acéré
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