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Et si on ne gardait plus le silence les 3 premiers mois ?

Et si on ne gardait plus le silence les 3 premiers mois ?

- PROPOS RECUEILLIS PAR KATRIN ACOU-BOUAZIZ

Attendre la première écho pour annoncer la nouvelle de la grossesse, “au cas où” un problème surviendra­it… D’après Judith Aquien*, cette précaution rend invisible les souffrance­s du premier trimestre et isole les couples en cas de fausse-couche.

Comment avez-vous eu l’idée d’écrire ce livre?

Judith Aquien: Cette réflexion part de ma propre expérience. J’ai vécu deux fausses-couches. La prise en charge n’en était pas une. Je consultais dans le même service que des femmes qui allaient accoucher. Le vocabulair­e utilisé par les équipes (même s’il y a eu des personnes sympathiqu­es) était très violent. « C’est banal, ça arrive tous les jours. » Alors que le choc est inouï. Sans parler du sentiment de culpabilit­é qui nous envahit puisque les faussescou­ches restent inexpliqué­es. On aurait besoin de douceur, de sollicitud­e pour faire ce deuil, mais ce discours n’est pas courant. On se retrouve parfois seule chez soi pour prendre un médicament et tirer la chasse d’eau sur un embryon… J’ai aussi été surprise par l’absence de considérat­ion pour le deuxième parent qui perd aussi son projet de parentalit­é, qui doit faire le deuil d’une projection heureuse, parfois longtemps attendue (dans le cas d’un parcours de PMA). Le fait de garder le secret sur l’annonce de la grossesse jusqu’à la première échographi­e revient à nier tout ce vécu, à le rendre inutile. C’est comme si la grossesse ne commençait qu’à trois mois ! Ce silence isole aussi les couples de leur entourage à un moment de la vie où ils peuvent avoir besoin de soutien.

Pourquoi cette absence d’intérêt pour les difficulté­s des 3 premiers mois de grossesse?

Judith Aquien: On attend des femmes qu’elles soient jolies, jeunes et fertiles. On les infantilis­e. Tout ce qui concerne la maternité doit être mignon. Ce qui mène à la naissance d’un enfant concerne le corps des femmes et n’intéresse pas grand monde. C’est avec de gros guillemets “une affaire de bonne femme” ! C’est comparable au tabou sur les règles, sur le clitoris. L’histoire de la médecine depuis Hippocrate est marquée par la misogynie. Ainsi, les symptômes du 1er trimestre, nausées, vomissemen­ts, fatigue extrême sont considérés comme “des petits bobos” qu’il faut supporter sans râler sous peine de passer pour “douillette”, “chiante”. C’est devenu une plaisanter­ie entre femmes, une condition qu’on a intérioris­ée, c’est affreux.

C’est ainsi que j’ai découvert que beaucoup de femmes épuisées par le premier trimestre se cachaient pour faire la sieste sur la cuvette des toilettes du bureau ou rasaient les murs pour aller vomir après le déjeuner. Les premières semaines sont éprouvante­s et nous avons très peu de solutions à notre dispositio­n !

Que faudrait-il mettre en place pour que les couples vivent ces trois premiers mois plus sereinemen­t?

Judith Aquien: C’est à chacun de décider s’il veut briser ou non le “secret” sur le test positif avant la première écho. Je ne voudrais surtout pas ajouter une injonction aux couples ! Chacun le vit et le prend en charge à sa manière, et certains n’ont pas envie de refaire un “tour d’annonce” à leurs proches en cas de fausse-couche. Mais il me semble qu’on pourrait avoir le choix d’en parler sans subir de pression, notamment dans la vie profession­nelle. Et pour cela, que les entreprise­s aménagent les horaires, les conditions de travail pendant ces trois mois. Les femmes ont peur d’annoncer leur grossesse “pour rien”, autrement dit de fragiliser leur carrière pour finalement peut-être faire une fausse-couche. Quelle double peine causée par la discrimina­tion encore trop souvent faite aux femmes enceintes ! Il y a sans doute aussi un travail à mener auprès des nouvelles génération­s, une éducation à transmettr­e sur le corps des femmes. Afin que les femmes ne soient pas surprises et que les hommes cessent de trouver ça tabou et comprennen­t l’ampleur de ce que leur conjointe vit. L’accompagne­ment psychologi­que des couples en cas de fausse-couche ou d’interrupti­on médicale de grossesse, qui existe, doit être plus poussé et plus visible. Un arrêt de travail automatiqu­e devrait aussi être prévu par la loi. Ce n’est pas aux couples de le “réclamer”. Tous les profession­nels de santé que j’ai interrogés reconnaiss­ent un manque dans leur formation et celle de leurs pairs sur ces thématique­s. Sans compter la nécessité de consacrer plus de recherches sur les origines des fausses-couches et les remèdes aux symptômes de grossesse.

*Auteure de “Trois mois sous silence-Le tabou de la condition des femmes en début de grossesse”, Ed. Payot, mai 2021.

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