Billet d’humeur Julien Blanc-Gras : Comment le papa lâche prise (mais pas trop)
L’Enfant demande plus d’autonomie. C’est légitime. Mais le papa poule acceptera-t-il de voir son fils s’éloigner ?
« Papa, à la rentrée, je pourrais aller à l’école tout seul? »
Mais il est fou, lui. Il a 7 ans. Il entre en CE1. Il croit vraiment que je vais le laisser marcher 350 mètres tout seul dans la rue ? C’est tout simplement inconcevable.
Voilà ma réaction primitive, viscérale. Alors que je sais très bien qu’au même âge, je rentrais de l’école tout seul. Et qu’il y avait plus de 350 mètres à parcourir. Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui s’est passé pour que ma génération d’enfants insouciants soit devenue une génération de parents si protectrice avec sa descendance. Je vais vous le dire. La réponse tient en deux mots. Marc. Dutroux. Bien sûr, les prédateurs ont toujours existé. Mais depuis cette affaire, comble de l’horreur ultramédiatisée, on le sait.
Alors, on fait quoi? `
J’ai demandé conseil à un ami dont le fils fréquente le même établissement que le mien.
« Jamais ! Il n’ira pas à l’école seul avant d’avoir 15 ans. »
Je le trouvais un peu radical. Puis mon ami m’a expliqué qu’une gamine de sa classe avait été kidnappée quand il avait 8 ans. Je ne l’ai plus trouvé si radical.
On veut protéger nos enfants, c’est normal, nous sommes des mammifères. On sait aussi qu’en les protégeant trop, on ne leur rend pas service. Car on risque de les enfermer dans une bulle qui ne les prépare pas à la réalité de la vie.
Alors on fait quoi?
On les géolocalise en permanence en leur collant des trackers ? Hum, pas terrible, on dirait un épisode de Black Mirror. Je suis parent, pas espion.
On leur file un téléphone ? Un copain de mon fils en a un, depuis le CP. Et devinez ce que m’a demandé mon fiston, du coup ?
« Papa, je pourrais avoir un téléphone ? »
Il est fou, lui. Il a 7 ans. Il croit vraiment que je vais lui filer un outil qui lui donne accès à tous les cauchemars contemporains (sans même parler du fait que les prédateurs rodent en ligne). Jamais, il n’aura pas de téléphone avant ses 15 ans ! J’ai partagé mon point de vue avec une amie, mère d’une fille de 12 ans. Elle m’a ri au nez. - C’est mission impossible. Nous non plus, on ne voulait pas qu’elle ait de téléphone. Mais elle était la seule de sa classe à ne pas en avoir. On a dû céder, on ne pouvait pas faire autrement. Sinon, elle était exclue socialement.
Nos enfants, constamment cornaqués, étouffent sous le poids de nos inquiétudes – qui ne sont pas les leurs. « Lâchez-nous la grappe », nous disent-ils en substance, du haut de leur 1,20 m. Et où trouvent-ils leur espace de liberté personnelle, sans parent sur le dos ? Devant les écrans.
Alors on fait quoi? (Ça fait trois fois que je demande.) On les laisse courir le monde avec tous ses dangers ? On les laisse devenir des légumes décérébrés sur leur téléphone ? Autre possibilité : on peut aussi leur faire confiance. Les responsabiliser, à l’âge approprié. Accepter de les voir s’éloigner, progressivement. Non mon fils, tu n’iras pas à l’école tout seul cette année. Mais on en reparle à la rentrée prochaine.