Parents

Je l’ai vécu... « Après 40 longs jours de réa, Garance pèse 2 kg. »

Garance naît prématurée, à 30 semaines de grossesse… Récit du combat de sa mère pour accepter, comprendre et enfin dire merci à la vie.

- PROPOS RECUEILLIS PAR JESSICA BUSSEAUME

dégoulinan­t « Pendant que mes voisines de chambre deviennent les héroïnes d’un spectacle qu’on pose de tendresse, je tiens le premier rôle d’un film d’horreur. (...) La première fois enfin ma fille contre moi, je suis incapable de la regarder ou de lui parler. »

“Comment répondre à cette m’écrit que j’ai amie qui chance d’avoir tant de de son côté, accouché, car plus elle ne supporte ?” d’être enceinte

Je n’ai de “Garance” que la couleur de mon sang alors que mon bébé naît en urgence, suite à une hémorragie, trois mois trop tôt. Ce prénom romantique, Garance, que j’ai sorti à Pierre la première fois qu’il m’a embrassée, avant de lui confier le vrai… Évidemment, quand on se marie en grande pompe dans un château médiéval, on décline la bonne identité à son mari ! Ce bébé, nous l’avons espéré, et il a tardé à venir. Obsession pour moi, dont tout mon bonheur dépendait, et me voilà soumise aux ordres des autres: accoucher, tout de suite, et plus vite que ça, dans un hôpital de Thonon-lesBains, qui n’est pas équipé pour les urgences pédiatriqu­es. Un pédiatre réanimateu­r débarque en urgence pour s’occuper de ce bébé de 1,4 kg dont je ne sais encore rien. J’apprends quelques heures plus tard que c’est une fille, même si Pierre refuse de se mettre en tête qu’elle est vivante. Jusqu’à maintenant, on nous a plutôt préparés à l’inverse et sans doute ne veut-il pas nous infliger de faux espoirs. Pourtant, il part déclarer Garance, qui porte mon prénom préféré, mais que je n’ai pas encore vue puisqu’elle a été transporté­e sans moi à l’hôpital de Chambéry. Quelques heures plus tard, on me transporte à mon tour, et je découvre mon bébé, sondé, perfusé, intubé, entièremen­t livré aux machines qui l’animent. (...) Et voici tant de pas à faire, même si chaque jour est un jour de gagné, phrase que l’on me répète: bien maigre lot de consolatio­n ! J’affronte ce bébé tout jaune aux organes génitaux encore à l’extérieur, aux yeux globuleux, que l’on gave et que l’on met sous sédatif pour qu’il supporte ce qui lui est infligé. Pire, je l’affronte seule, quand Pierre doit rejoindre Paris où il vient d’être embauché. J’ai des montées de lait, et personne à nourrir. Le pire vient aussi de l’extérieur. (...) Comment répondre à ceux qui, maladroits, me demandent comment m’apporter de l’aide? Cette maternité porte la poisse, et pas seulement à nous. Elle dérange autour…

Au bout d’une semaine, on m’annonce un premier “peau à peau” mais hélas, le coeur de Garance s’arrête juste avant. On la réanime avec un massage cardiaque. Et j’appelle Pierre, sans doute pour lui faire peur, autant que j’ai peur. Mais désormais, il ne me répond jamais assez vite au téléphone, ni assez bien. Peut-il comprendre dans quelle solitude je me trouve, lui qui finit nos conversati­ons par des “Je t’aime” automatiqu­es qui, faute de m’atteindre, me blessent ? Notre couple se perd. L’idée que mon enfant souffre d’un handicap, s’il survit, m’est insupporta­ble. Je voulais un beau poupon joyeux et en pleine santé, et ma fille est difforme… Alors la première fois qu’enfin on la pose contre moi pour un temps de peau à peau, je suis incapable de la regarder ou de lui parler. Mon corps ressent l’attachemen­t, il le manifeste par ses menues vibrations, mais ma tête s’obstine à le refuser. Et si ma fille mourait maintenant ? Quand je dois quitter l’hôpital au bout de douze petits jours, la vie m’adresse un joli signe : 1,6 kg ! Début de la victoire ! Mais, bizarremen­t, plus l’état de notre fille s’améliore et plus Pierre s’effondre. C’est difficile pour lui d’être loin de nous, il ne sait pas gérer la peur que tout s’arrête, et je le rejette chaque fois qu’il m’approche, d’autant que les problèmes respiratoi­res de Garance arrivent exclusivem­ent en son absence, jamais le week-end en sa présence, alors le choc est à chaque fois pour moi. Après 40 longs jours de réa pour elle et d’oscillatio­ns nerveuses pour moi, Garance pèse 2 kg. Nous roulons vers Paris, en ambulance. Retrouver Pierre remet les pendules à zéro. Il nous attend, devant l’hôpital, heureux d’être avec nous au quotidien. Un quotidien qui commence à ressembler à celui des parents qui n’ont pas eu à affronter la mort. Quand Garance mesure 48 cm et pèse 2,8 kg, comme un bébé qui vient de naître, nous rentrons chez nous. Seulement trois semaines avant la date prévue de mon accoucheme­nt… Bien sûr, les peurs sont fréquentes, mais la vie a gagné. À tel point que je fais vite la promesse à Garance de lui donner un frère ou une soeur. Il faut trois ans pour que j’attende Théo, qui va aussi naître dans des conditions difficiles, mais tellement moins ! Aujourd’hui, j’ai trois enfants, tous nés prématurés. Je sais le coût humain et financier de telles épreuves… Je sais ce que ressentent les mères en culpabilit­é, en colère, en violence. Mais j’adresse à mes enfants le mot “merci”. Ils m’ont appris la vérité : que les petites victoires, celles de chaque jour, sont les plus essentiell­es.

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“PEAU À PEAU” d’Héloïse des Monstiers, éd. Buchet Chastel
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