Parents

Je n’ai pas fait mes enfants pour les partager…

Benjamin, papa de Zoé, 8 ans et demi, et Arthur, 6 ans.

- PROPOS RECUEILLIS PAR ÉLODIE CHERMANN

J’ai toujours rêvé d’avoir des enfants. Alors quand ils sont arrivés, ils ont tout de suite été ma priorité, sur tout… et tout le monde. Je passe beaucoup de temps à jouer avec eux, à leur faire des câlins sans me soucier du reste. Un vrai papa poule. Quand leur maman et moi nous sommes officielle­ment séparés en juin 2018, je lui ai proposé de les avoir à temps “complet” et elle, un week-end sur deux, mais elle est revenue sur sa décision: nous avons donc signé une convention pour une garde partagée. Pour moi, ça a été un déchiremen­t: je n’ai pas fait mes enfants pour les partager… Nous faisons les échanges le vendredi soir.

Mon premier plaisir quand c’est “ma semaine”, c’est de les entendre hurler “Papaaaa” à la sortie de l’école, en me sautant au cou pour que je les porte.

Malgré tout, il nous faut toujours 24heures pour nous réadapter à vivre ensemble. Je fais en sorte d’être complèteme­nt disponible pour eux, ce qui étonne parfois mes proches qui, eux, “rêvent” d’avoir un peu de répit. Je refuse même, parfois, des sorties avec des amis qui ont pourtant des enfants, pour profiter de chaque instant avec les miens, car la semaine passe toujours beaucoup trop vite! Je préfère les emmener faire du vélo, leur proposer une partie de jeu de société ou jouer avec eux aux Lego. Les devoirs étant faits à l’étude, je n’ai pas tellement la pression du travail scolaire, heureuseme­nt.

Le moment que je redoute le plus, c’est le vendredi matin quand je les dépose à l’école pour ne pas les récupérer le soir : chaque fois, je sens mon coeur se briser.

J’ai le sentiment que leur maman me les “vole” et je mets environ 24 heures à digérer (avant, ça pouvait durer trois jours, voire la semaine complète). Bien sûr quand je suis seul, je peux me permettre de finir tard au travail, de faire des afterworks avec des collègues, des grasses matinées le week-end et de rencontrer des femmes! Mais c’est difficile de faire le “yo-yo” entre cette vie de célibatair­e et celle de papa. Je commence à être un peu moins intéressé de sortir pour faire des rencontres, je réalise que j’attends leur retour plus qu’autre chose… Même lorsqu’ils sont absents, je pense tout le temps à eux. Très souvent, j’ai envie de les appeler pour savoir comment s’est passée la dictée qu’ils appréhenda­ient ou l’exposé que nous avons préparé ensemble, mais le téléphone de la maman n’est pas forcément la solution ! Les fois où elle décroche, ils sont souvent occupés à autre chose, pas disposés à se raconter… C’est ce qui m’a donné l’idée de créer Mily. family, un objet connecté qui me permet de discuter avec eux en mode “WhatsApp”, mais sans écran! Pour moi, il était hors de question de rompre le lien de communicat­ion directe avec mes enfants.

Ma femme Agathe est décédée en mars 2020 d’une tumeur cérébrale. Malgré la maladie qui la rongeait depuis des années, elle s’est toujours beaucoup occupée de notre fille… Mais quand son état a commencé à se dégrader sévèrement à la rentrée 2019, sa mère a dû prendre le relais pour aller chercher Claire-Marie à l’école le soir. Le fait que cette routine soit déjà en place nous a aidés à trouver nos marques quand on s’est retrouvés tous les deux. Le premier confinemen­t aussi. Pendant deux mois et demi, nous nous sommes exilés dans notre maison à la campagne. Et comme je n’avais plus d’emploi à ce moment-là, je me suis occupé de ma fille à 100 %.

Nous avons profité de cette parenthèse très particuliè­re pour enregistre­r un canon en duo.

Ça a beaucoup renforcé nos liens, même si nous étions déjà très proches. Je n’ai pas changé ma façon de l’élever pour autant. Je nourris toujours une certaine exigence sur le plan de l’apprentiss­age, notamment de la musique, tout en m’efforçant d’exercer l’autorité avec bienveilla­nce et douceur. Je n’ai pas souvent besoin d’élever la voix. Claire-Marie est une petite fille très facile, à la fois docile, sociable et pleine d’entrain. Cela m’a aidé à reprendre le cours “normal” de ma vie après la rentrée de septembre. J’ai trouvé un poste d’ingénieur en informatiq­ue, qui me permet de ne pas finir trop tard le soir et de concilier facilement mon travail avec ma vie de papa solo. Je commence chaque journée en allant réveiller ma fille tout en douceur, en musique. Pendant le petit-déjeuner, j’ai l’habitude, depuis qu’elle est toute petite, de lui lire des histoires, le plus souvent des contes. Puis je l’accompagne à l’école. Le plus souvent, c’est sa grand-mère maternelle qui va la chercher l’après-midi et l’emmène au conservato­ire de musique. Moi, je la récupère en général avant le dîner.

Une ou deux fois par semaine, je la laisse dormir chez sa grand-mère.

Je sais que j’ai beaucoup de chance de pouvoir compter sur son soutien, ainsi que sur celui de ma mère pendant les vacances, et de tout le reste de la famille. Bien des parents veufs ou solos ne bénéficien­t d’aucun relais. Mais j’apprécie de garder un peu de temps pour moi pour faire des sorties. Je n’ai pas encore reconstrui­t ma vie amoureuse, c’est un peu tôt, mais j’en ai le désir. Pour moi-même d’abord, mais aussi pour ma fille. Je pense qu’elle se sentira plus libre, le moment venu, de s’envoler vers sa destinée si son papa dispose de la sienne propre. Cela me semble aussi important de ne pas avoir l’exclusivit­é des valeurs éducatives et de laisser d’autres adultes – grands-mères, tantes, professeur­s… – prendre soin de ma fille, même si je reste, bien sûr, le référent. C’est par exemple en discutant avec mon entourage que j’ai eu l’idée de lui offrir plusieurs livres sur la puberté, en lui disant qu’elle pourrait les lire quand elle le voudrait. Je veux qu’elle sache que je serai présent auprès d’elle lorsque son corps se transforme­ra, comme sa maman l’aurait été si elle avait été encore parmi nous.

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