La stupéfiante croissance
Tout au contraire des pêcheries mondiales qui stagnent depuis une vingtaine d’années, l’aquaculture se développe fortement. Cependant, son rythme de croissance s’est stabilisé ces dix dernières années... à 6 % “seulement” par an !
L’aquaculture a dépassé le record de 90 millions de tonnes en 2012 selon la FAO. Dont 66,6 pour les “poissons” de consommation, terme qui inclut dans ses statistiques les crustacés comme les crevettes, les mollusques comme huîtres et moules, amphibiens, tortues, etc. Par ailleurs, la culture des algues porte sur 23,8 millions de tonnes. Elle évoque pour nous le saumon atlantique ou les crevettes, ou encore les élevages traditionnels de mollusques, les huîtres et les moules qui éclipsent la carpiculture ou la salmoniculture en rivière. Surprise, nous avons faux à l’échelon mondial ! Au contraire des pêcheries de poissons qui sont essentiellement marines, les poissons d’eau douce surpassent complètement la pisciculture marine. Ils totalisent 38,6 millions de tonnes quand les élevages en mer en sont restés à 5,5 millions de tonnes. Si les élevages marins ne font que 12 % du tonnage, ils représentent cependant 26 % en valeur, car ils sont surtout des carnivores comme les salmonidés et les mérous, mieux valorisés sur le marché. Les poissons devancent largement les mollusques qui font 15 millions de tonnes, et les crustacés (crevettes et genres voisins) avec 6,5 millions de tonnes. La Chine est la championne incontestée de l’aquaculture avec 41 millions de tonnes dont 23,3 millions pour les poissons d’eau douce, utilisant un large éventail d’espèces qui approvisionnent un vaste marché intérieur. Le pays ne produit qu’un million de tonnes de poissons marins, dont moins de la moitié dans des cages flottantes. Il fournit également plus de 12 millions de tonnes de crustacés, écrasant le reste du monde ; ainsi que 13,5 millions de tonnes d’algues marines, la moitié du total mondial. D’ailleurs, c’est en Asie de l’est que l’aquaculture s’est le plus développée. Alors qu’elle se réduit par exemple aux États-Unis, ou qu’elle stagne en Europe. Parmi la quinzaine de pays qui totalisent plus de 90 % de la population mondiale, il
se trouve dix pays asiatiques. Et deux pays européens, avec la Norvège, au sixième rang pour plus d’un million de tonnes de saumon atlantique – devançant le Chili avec son saumon également – et la Fédération de Russie. Dans son ensemble, l’Asie produit davantage de poisson d’élevage que de poisson sauvage depuis 2008. La croissance asiatique, suivie tout récemment par celle des pays africains, contraste avec le recul aux USA, en Espagne, France, Italie, mais aussi Japon et Corée, sans doute pour des raisons de concurrence économique. La FAO a recensé près de six cents espèces élevées ou cultivées. Dont 350 espèces de poissons, une centaine pour les mollusques, une soixantaine de crustacés, quelques reptiles (dont les crocodiliens) et amphibiens…, et une petite quarantaine d’espèces d’algues. À elle seule, l’aquaculture chinoise élève plus de deux cents espèces ! « En Chine, au moins trois espèces de carpes sont dans le top 20 mondial » , remarque Philippe Cury. Six espèces seulement représentent 85 % de la production : la carpe, le tilapia, le chanos ou poisson-lait (espèce marine asiatique), le poissonchat, le saumon et l’anguille. Ce n’est d’ailleurs pas l’élevage du saumon qui est le plus important, mais celui de la carpe et surtout du tilapia, présent dans 135 pays au moins. À noter que pour l’anguille, scientifiques et éleveurs n’ont toujours pas réussi à maîtriser la reproduction, malgré des décennies de tentatives. Il faut toujours prélever les juvéniles dans le milieu naturel. Les techniques et l’économie des élevages sont très diverses. Le tonnage produit par chaque aquaculteur s’élève à 194 tonnes en Norvège, 55 au Chili, contre 7 tonnes en Malaisie, ou même 1 tonne seulement en Inde ou en Indonésie ! Par son développement toujours en cours, l’aquaculture fournit une contribution toujours plus forte à l’alimentation des humains, en surpassant désormais l’élevage bovin ! L’explosion de l’aquaculture en Chine permet de fournir plus de 35 kg de poissons et crustacés par an à chaque chinois. À l’échelle mondiale, l’offre en poissons a doublé en quelques années pour arriver à 19 kg en 2012, croissant plus vite que la population humaine – avec cependant de grandes variations selon les pays. La consommation reste la plus forte dans les pays développés, qui importent de plus en plus. Mais dans de nombreux pays en développement, l’aquaculture et la pêche ont une place de plus en plus vitale dans l’apport de protéines relativement bon marché pour les populations, fournissant en même temps des acides gras et des micronutriments essentiels. L’aquaculture va sécuriser l’alimentation d’une proportion importante des populations humaines – 7,3 milliards actuellement, sans doute 8,1 en 2025 et probablement 9,6 vers 2050 sous l’effet principal de la démographie des régions en développement.