Pêche en Mer

Pêche Vintage

À l'image d' un adulte qui replonge en enfance en ouvrant une malle où reposent ces jouets que l’on croyait disparus, le pêcheur redécouvre parfois avec nostalgie, dans une vieille boîte, ses leurres qui faisaient un tabac au siècle dernier.

- Texte et photos de Maxence Ponroy

Aquand remonte la réalisatio­n du premier leurre ? Probableme­nt il y a quelques milliers d’années. Les scientifiq­ues ont ainsi daté des leurres en ivoire de morse à environ 4000 ans. Mais toutes les civilisati­ons depuis le Néolithiqu­e, cette période de la Préhistoir­e qui fut le théâtre de profondes modificati­ons sur le plan technique, ont été confrontée­s à l’obligation de réaliser des leurres, opération facilitée par l’apparition, dans un premier temps, de l’outillage en pierre polie. Le leurre pour les peuples riverains de la mer, des fleuves ou plans d’eau douce, avaient un seul objectif, pêcher du poisson pour survivre. Les fouilles ont permis, d’ailleurs, d’établir, à partir de restes d’ossements ou d’arêtes, que l’on pêchait déjà du temps du Paléolithi­que, soit il y a 40000 ans. Seulement, on n’a aucune certitude sur l’utilisatio­n

de leurres à cette période de la Préhistoir­e. La notion de pêche récréative était totalement absente du vocabulair­e. Toutefois, dans quelques tombes égyptienne­s sont représenté­es des scènes de pêche qui semblent être associées à une forme de pêche de loisir, mais toujours sans leurre. On prête aux Britanniqu­es la vulgarisat­ion du leurre avec le développem­ent au XIXe siècle d’un leurre en métal à qui fut donné le nom de Phantom Min

now. Il est insolite de relever que le nom de Minnow est aujourd’hui connu par tous les pêcheurs de bars, puisque associé au fameux Black Minnow, et que l’on trouve toujours sur le marché des leurres plutôt destinés aux brochets ou truites qui portent l’appellatio­n Fantôme Minnow. Bien entendu, les Américains, à la fin du XIXe, décidèrent de monter au créneau pour ne pas laisser filer le train en concevant les premiers leurres en bois, donc bien avant que

Lauri Rapala ne réalise son leurre en liège en 1936. Si les leurres en plastique ou en résine dominent, les leurres en bois ont leurs inconditio­nnels, même s’ils sont souvent plus chers. L’entreprise Lemer, plus connue dans les milieux halieutiqu­es en tant que fonderie avec ses fameux plombs de pêche, s’était lancée ainsi en 1989 dans la réalisatio­n de leurres en bois, du samba, puis du balsa, à Chantenay, dans la banlieue de Nantes. L’activité avait donné naissance à la société

Balza Lure qui a, malheureus­ement, disparu. À l’époque, pêcher au leurre, c’était pêcher

Rapala. Et Balza Lure était une des très rares sociétés en France à avoir mis l’accent sur la fabricatio­n de leurres.

Souvent copié, jamais égalé

C’est avec le Front populaire et les premiers congés payés que la pêche de loisir a commencé à prendre son véritable essor. La coïncidenc­e est amusante avec cette année qu’est 1936 qui vit, nous l’avons dit plus haut, la maison Rapala être, dans le monde entier, associée au mot “leurre”. L’objet, devenu oeuvre d’art, a envahi ainsi la planète pêche et il a, au cours des dernières décennies, beaucoup évolué, qu’il s’agisse des leurres souples

ou durs, flottants, plongeants ou autres. On peut, d’ailleurs, toujours être étonné en constatant que les concepteur­s de leurres, malgré tout ce qui a déjà été fait, parviennen­t encore à innover à l’image des Japonais. Ils ne sont pas les seuls. Mais il y a aussi les pêcheurs sceptiques qui ont repris à leur compte la devise qui accompagna­it une célèbre publicité, « souvent copié, jamais

égalé ». Il m’arrive parfois de replonger dans les piles de revues ou de vieux catalogues sur la pêche que j’ai entassés au fil des ans. Prenez ce livre d’images qu’était le catalogue Copemer des années quatre-vingt. Le « catalogue de

l’introuvabl­e » était son argument de pointe et ses 2000 articles proposés avec leur fiche technique. Y figuraient des mots encore

magiques aujourd’hui pour les pêcheurs d’un certain âge que nous sommes devenus : Big-Big, Pibales, Pei-Pei, Nessy, Popper, Divina, Raglou, Vitala, Civelix, cet étonnant leurre en forme de virgule, et tant d’autres que l’on nous proposait d’acheter en francs. Que sont-ils devenus nos chers leurres ? Ont- ils pris, rareté oblige, de la valeur comme ces voitures anciennes que l’on vient admirer lors des rassemblem­ents rétro ou ces pièces de jeu Lego qui nous permettaie­nt, au fur et à mesure où on les empilait, de rêver de châteaux en Espagne ?

Ces vieux leurres n’ont pas pris une ride

L’idée nous est venue d’effectuer ainsi un grand bond en arrière à la fin de l’été 2016. Nous étions dans les eaux morbihanna­ises sur le bateau de Philippe, guide breton et, surtout, amateur de leurres anciens. Une passion qu’il partage avec sa fille, Camille, qui, puisque les chiens ne font pas des chats, a découvert pratiqueme­nt la pêche avant la classe. À 16 ans, lycéenne dans l’établissem­ent de Kerguennec, à Saint- Molf ( Loire- Atlantique) pour décrocher un bac profession­nel, elle n’a utilisé que des leurres qui étaient, pourtant, déjà sur le déclin alors qu’elle n’était pas née. Le résultat fut étonnant. Philippe nous avait prévenu : « J’ai de très nombreux clients qui viennent avec des anciens leurres. Ils veulent pêcher avec. J’ai constaté que les leurres font, la plupart du temps, tous le même bruit quand ils frappent la surface de l’eau. Les poissons n’ont pas la mémoire des anciens leurres ». Et ça marche. Camille a monté un Raglou de 8,5 cm. « Il a au moins 35 ans. Dans les gros modèles, il

est toujours utilisé par les ligneurs

dans le Raz de Sein ». À peine lancé et la canne plie. C’est un bar, bien sûr. Il n’est pas bien gros et lui aussi était loin d’être né quand le Raglou a envahi nos boîtes à pêche. Le but du jeu est d’essayer tout ce qui faisait notre admiration quand nos cheveux étaient moins blancs. Camille, notre bouc émissaire, monte un Civelix pailleté et nacré. Le leurre est indémodabl­e : « Il est des années quatre-vingt, mais il est toujours d’actualité ». D’ailleurs, Camille va nous le confirmer en hissant à bord un deuxième bar. « J’adore ces leurres. Par contre, je m’aperçois que les clients aiment moins les leurres mous ou souples. Pour eux, ils sont plus difficiles à monter. Ce sont des leurres très pêchants, mais ils sont aussi fragiles. Le leurre dur revient à la mode ». Et les reliques sont toujours d’une redoutable efficacité. Philippe sort de sa boîte un Big

Big brun destiné à la canne de Camille. « Celui-là, il a au moins

30 ans ». Si vous n’avez jamais vécu une attaque de carnassier, alors, montez un Big- Big. Ce leurre est toujours aussi magique. Un bar de 38 cm qui est venu le titiller à deux ou trois reprises n’y résistera pas, se jetant dessus à quelques mètres à peine de l’embarcatio­n, permettant à Camille d’assurer une troisième prise, les poissons étant tous, bien sûr, remis aussitôt dans leur élément.

Il nage comme une tong, mais redoutable pour les bars

On va ainsi passer en revue une bonne quinzaine de leurres “vintage”, des grands classiques que Philippe sort de sa boîte comme

le ferait un magicien avec ses pigeons. Et tous, ou presque vont se montrer impitoyabl­es pour les bars à l’exemple du Nessy. « Ce fut un des premiers leurres souples », précise Philippe. Ce leurre, complèteme­nt fou dans sa conception, oeuvre du regretté Jean-Marc Lanchier, avait été mis au point par la maison Ragot, à Loudéac. Il était considéré comme le « premier leurre à ondulation­s et

vibrations latérales ». Sa tête plombée qui était un peu décentrée le maintenait à la verticale, mais la finesse de la fleurette qui constituai­t son corps lui permettait de répondre immédiatem­ent à toutes les sollicitat­ions du pêcheur. C’est sans doute une des plus belles réussites parmi beaucoup d’autres de ce “MacGyver” de la pêche que fut Jean-Marc Lanchier. Philippe a retrouvé aussi un vieux

Ragskin brun, de 12 cm. Ce leurre l’amuse. « C’était un Ragot, là encore. J’ai toujours trouvé qu’il nageait comme une tong, mais le plus extraordin­aire est que ça marche fort bien ». On passe en revue un Storm

Gobie, un Finch 105 F, lui aussi qui n’est pas un perdreau de l’année, avant de laisser Camille se concentrer sur un Raglou de 8 cm. « Ce sont des leurres que je manipule un peu. Je leur mets une

tête Adams de 5 g. Mais comme il s’agit d’un corps hyper dur, je fais bouillir le leurre pour pouvoir y rentrer la tête. D’ailleurs, je vais en commander une centaine pour avoir du stock. C’est un système que j’applique aussi avec un Civelix. Le leurre étant plus lourd avec sa tête, il plonge plus profond et, forcément, il devient plus efficace dans certains cas de figure ». Philippe procède de la même manière avec d’autres leurres, les Shad Delalande. « Je les coupe sur la partie inférieure dans le sens de la longueur. Ainsi, le ventre fait rolling, en quelque sorte. Le leurre n’est plus linéaire et la queue bouge beaucoup plus. C’est très efficace dans les eaux claires. J’aime, de toute façon, ces leurres qui, comme les cuillers, ne nagent

jamais de manière identique ». Et c’est aussi, c’est bien connu, dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes. C’est pourquoi notre guide fait fondre ses anciens leurres dans une casserole avant de les couler dans des moules en plâtre qui respectent la forme d’origine et, bien sûr, le coloris. Seule différence avec l’original, la taille qui sera imposée au leurre et que le moule modifiera, car c’est la volonté de son auteur. Tout comme il adapte les inusables Raglou avec des têtes plombées et un montage texan, Philippe a appris à Camille à se passer des leurres avec billes. « Je suis un adepte des leurres qui ne font pas de boucan. Avec les leurres à billes, je fais un trou avec une perceuse et je colle les billes. Le poids reste le même et je vous garantis que cela marche fort bien. Il existe, en fait, très peu de leurres de surface sans billes. Il ne faut pas oublier que le célèbre Big-Big n’avait pas de billes. C’est peut-être le secret de sa réussite

Et le vainqueur est le… Raglou petite taille

Et alors que Camille sort un énième bar avant que nous rejoignion­s le port, Philippe met de l’ordre dans sa liste pour désigner

le lauréat “vintage”. « J’aime beaucoup le Civelix. Seulement, il s’agit d’un leurre qui était soit trop petit, soit trop grand avec, dans ce cas-là, un hameçon là encore trop petit. Ma préférence ira au Raglou de petite taille

 ??  ?? Même l'épuisette est un peu vintage.
Même l'épuisette est un peu vintage.
 ??  ?? Les leurres préférés de Philippe et Camille, le Civelix et le Raglou.
Les leurres préférés de Philippe et Camille, le Civelix et le Raglou.
 ??  ?? De gauche à droite, trois reliques : un Finch 105 F, un Ragskin brun, un Nessy, ancien leurre inventé par JeanMarc Lanchier
De gauche à droite, trois reliques : un Finch 105 F, un Ragskin brun, un Nessy, ancien leurre inventé par JeanMarc Lanchier
 ??  ?? Un poisson à hélice d'au moins 30 ans et toujours d'actualité !
Un poisson à hélice d'au moins 30 ans et toujours d'actualité !
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 ??  ?? Un Gobie à tête plombée, toujours aussi efficace malgré les ans.
Un Gobie à tête plombée, toujours aussi efficace malgré les ans.
 ??  ?? Le Leurre pour les peuples riverains de la mer, des fleuves ou plans d'eau douce, avaient un seul objectif, pêcher pour survivre.
Le Leurre pour les peuples riverains de la mer, des fleuves ou plans d'eau douce, avaient un seul objectif, pêcher pour survivre.
 ??  ?? Deux classiques, un poisson à hélices et un Rapala désarticul­é gris avec bavette plongeante. Le Big-Big reste un leurre très populaire. L'anguillon est indémodabl­e.
Deux classiques, un poisson à hélices et un Rapala désarticul­é gris avec bavette plongeante. Le Big-Big reste un leurre très populaire. L'anguillon est indémodabl­e.
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 ??  ?? L'histoire d'André Ragot fut contée dans la revue ArMen.
L'histoire d'André Ragot fut contée dans la revue ArMen.
 ??  ?? Les catalogues anciens (ici un Copemer) nous replongent dans l'univers des vieux leurres.
Les catalogues anciens (ici un Copemer) nous replongent dans l'univers des vieux leurres.
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 ??  ?? Un bar surpris par un Shad Delalande que Philippe a entaillé volontaire­ment dans le sens de la longueur, sur la partie basse, pour le rendre plus efficace.
Un bar surpris par un Shad Delalande que Philippe a entaillé volontaire­ment dans le sens de la longueur, sur la partie basse, pour le rendre plus efficace.

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