Pêche et Aquaculture, où va le monde ?
Que deviennent les pêcheries mondiales avec le dépeuplement des mers et des océans ? Suffisent-elles à l’alimentation des humains ? L’aquaculture prend-elle le relais ? Le dernier rapport de la FAO sur l’état des pêches permet de faire le point et de voir où va le monde.
Le dernier état de “La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture” concerne 2012. Organisme de l’ONU, la FAO veille à la sécurité alimentaire mondiale et suit en particulier les pêcheries et l’aquaculture. Ses rapports intègrent mollusques, coquillages, crevettes, etc., parmi les “poissons”. 2012 est une année encore forte avec 80 millions de tonnes capturées en mer. Elle vient après l’année record de 2011, encore supérieure et pratiquement au niveau des sommets des premières années 1990. Les pêcheries avaient augmenté depuis les années 50 jusqu’au début des années 90, pour se stabiliser à la baisse ensuite. En Europe, au contraire, la pêche ne s’est pas stabilisée, elle a diminué nettement ces dernières vingt années, passant de 20 millions de tonnes à moins de quinze.
Asie en tête
Près d’une vingtaine de pays capturent actuellement plus du million de tonnes, dont deux seulement sont européens, la Norvège et l’Islande. La plupart se situent surtout en Asie où la majorité des pays
progressent, certains continûment comme le Viet Nam, l’Indonésie, ou encore la Chine – le champion avec près de 14 millions de tonnes. « L’effort de pêche a véritablement explosé en Asie depuis dix ans. En particulier l’évolution de la Chine est hallucinante ! » , affirme Philippe Cury, Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, auteur des livres Une mer sans poissons et Mange tes méduses : réconcilier cycles de
la vie et flèche du temps. Cependant, les prises de la Thaïlande ont récemment diminué en raison de la surpêche. Celles du Japon aussi, après le tsunami de 2011 qui a
détruit des infrastructures de pêche. Les espèces capturées sont très diverses, puisque la FAO en recense 1600. Mais une bonne vingtaine représentent près de la moitié des prises. Ce sont d’abord de petits pélagiques. En tête, l’anchois du Pérou, dont les captures fluctuent fortement selon les années avec près de cinq millions de tonnes en 2012 contre plus de huit en 2011 ; l’espèce a beaucoup souffert de surpêche dans les années 60, et son abondance dépend des oscillations El Niño – Niña ; ces anchois servent principalement à fabriquer la moitié des farines de poissons au monde. On trouve d’autres petits poissons très recherchés : les sardinelles, l’anchois japonais, la sardine, le capelan, l’anchois et le chinchard du Chili. Les harengs sont également très prisés dans l’Atlantique, le Pacifique sud (hareng araucian) et nord (pilchard de Californie). Les thonidés le sont aussi avec le listao d’abord, puis l’albacore ; leurs tonnages sont en augmentation en 2012, seul le thon obèse est à la baisse. Le maquereau espagnol, puis le maquereau commun et les thasards sont également très courus. La morue ne figure qu’au onzième rang, loin derrière le lieu de l’Alaska, seconde espèce en tonnage capturé. On observe aussi un poisson semi-pélagique de grand fond, le poisson-sabre, et un mollusque, l’encornet géant. Enfin, l’ensemble des requins, raies et chimères, nettement en retrait, reste stable à 750 0000 tonnes dont 500 000 pour les seuls requins. L’essentiel des pêches alimente la consommation humaine, de façon plus ou moins directe et élaborée : poissons frais, séchés, salés, fumés, congelés, appertisés (conserves), panés, cuisinés, etc. Le surimi, par exemple, est une diversification récente. Mais près de 15 % des captures vont à d’autres utilisations. En particulier à la fabrication de farines et d’huiles
de poissons, qui entrent dans l’alimentation de divers élevages, y compris aquacoles. Plutôt en diminution, les farines et les huiles sont surtout élaborées avec l’anchois du Pérou et d’autres petits pélagiques, mais de plus en plus à partir des déchets de poisson qui étaient rejetés auparavant. Une fraction des captures et des déchets sert également à des productions très diverses, notamment médicamenteuses ou en parapharmacie, avec des gélules par exemple – c’est le cas des cartilages de requins, du collagène de poisson, des peaux utilisées en tannerie…
Captures stables, mais les chiffres sont-ils fiables ?
Les chiffres de captures sont à peu près stables depuis une vingtaine d’années. La FAO se base depuis des décennies sur les déclarations officielles d’environ deux cents États. Celles-ci ne sont pas
toujours certaines : chiffres délibérément modifiés, déclarations incomplètes dans divers pays à gouvernance défaillante ou en guerre... Il y a également la pêche illégale. Les “estimations sommaires” de la FAO pour cette activité appelée INDNR – pour Illicite, Non Déclarée et Non Réglementée – sont comprises entre 11 et 26 millions de tonnes. Selon l’organisme, c’est « une menace majeure à l’échelle mondiale pour la gestion durable des pêches et la préservation d’écosystèmes productifs et sains, ainsi que pour la stabilité socioéconomique de nombreuses communautés vivant de la pêche
artisanale ». Globalement les chiffres FAO sont- ils fiables ? Sans doute peu ! Une recherche publiée récemment montre qu’ils sont largement sous- estimés. Des scientifiques, notamment Daniel Pauly qui a codirigé l’étude avec des dizaines de collaborateurs, ont comparé leurs évaluations avec les chiffres de la FAO. L’écart atteint 40 % ! Pour 2010, la FAO estime les captures mondiales à 77 millions de tonnes, tandis que les scientifiques en trouvent 109 millions. Avec la répartition suivante : 73 millions pour la pêche industrielle, 22 millions pour la pêche artisanale, 4 millions pour la pêche de subsistance et 10 millions de tonnes pour les rejets de poissons. Pour ces scientifiques, le grand écart tient à la déclaration insuffisante des pêches artisanales ou de subsistance, à la mauvaise prise en compte des rejets de captures, et aux pêches illégales. « La FAO a un gros effort à faire. Surtout depuis cette publication de chercheurs montrant que l’organisation sous- estime les pêches de 40 %. Et depuis
la publication d’un atlas issu de vingt ans de travaux scientifiques. La FAO doit vraiment bouger et rénover son dispositif statistique qui souffre de biais importants. C’est sa mission, en particulier pour sécuriser l’alimentation des populations », déclare Philippe Cury. La relative stabilité des pêcheries est- elle durable ? « Les captures ne sont pas un indicateur totalement fiable du caractère durable de la pêche. Elles peuvent se maintenir même avec une baisse de la ressource en raison de l’augmentation de l’effort de pêche et de l’efficacité des techniques. Mais il peut y avoir ensuite un effondrement brutal des stocks de poissons exploités. Les indicateurs, ce sont les niveaux d’abondance des espèces, ce qui exige des observations scientifiques » observe Philippe Cury. L’évolution n’est pas du tout favorable. En 1974, selon la FAO, les stocks de poissons considérés comme pêchés à un niveau viable à long terme atteignaient 90 %. En 2011, ils ne sont plus que 70 %. Tandis que le pourcentage des stocks étudiés et qui ne sont pas exploités de façon durable en sont à 30 %. Les stocks exploités à leur maximum ont diminué de 1974 à 1989, mais ils sont ensuite repartis à la hausse. En revanche, les ressources “sous- exploitées” poursuivaient leur diminution. Les ressources marines sont de plus en plus utilisées. La durabilité est variable selon les zones géographiques et selon les espèces. En Méditerranée par exemple, la FAO estime que la moitié des stocks sont surexploités. Pour les sept espèces de thonidés par exemple, un tiers sont reconnues comme excessivement pêchées, non durables. Or, la demande de thon reste
forte et les flottes de pêches toujours en surcapacité. Sur la dizaine d’espèces qui font le quart des pêches mondiales, la plupart sont exploitées au maximum et quelques stocks le sont excessivement. Par exemple, les populations de morues de l’Atlantique sont surexploitées dans l’Atlantique Nord- Ouest, et plafonnent au maximum dans l’Atlantique Nord- Est. Les stocks ont pu être reconstitués dans quelques cas, notamment aux USA, en Nouvelle-Zélande, en Australie.
« Les bons résultats obtenus par les USA par exemple, montrent qu’on peut arriver à sauver les ressources si on veut vraiment bien les gérer. C’est le cas du thon rouge en Méditerranée, dont la situation s’est bien améliorée depuis l’effort important consenti pour diminuer les quotas jusqu’au niveau conseillé par les scientifiques. La remontée des stocks est effective, sans doute aussi avec un peu de chance. Ce n’est pas le cas pour la plupart des populations
de poissons en Méditerranée. Il faut une volonté politique suffisamment forte pour retrouver
une bonne gestion ! » Pour une meilleure gouvernance à l’avenir, la FAO propose aux États et organismes internationaux qui gèrent les pêches un “code de conduite” décliné dans près d’une tre ntaine de directives détaillées. Elles visent à baisser les ( sur) capacités de pêche, lutter contre les captures illégales, rendre les engins plus sélectifs, interdire les pêches et techniques destructives, protéger notamment les requins, assurer la traçabilité des prises, contrôler et surveiller, gérer les grandes zones océaniques situées hors des juridictions nationales… Il faut en même temps assurer la subsistance des pêcheurs et aquaculteurs – 12 % de la population mondiale ! – tout en protégeant les écosystèmes marins et leur biodiversité, y compris oiseaux et mammifères ! Un avenir incertain qui exigera un effort difficile de la part des gouvernants....